Faisons un zoom sur cet article qui est paru en juin dernier dans plusieurs journaux notamment dans le support “The Conservation”. Il y est fait un lien direct entre les aspects médicaux et ceux psychologiques de la fertilité suite à une étude scientifique ! Des causes psychiques (conscientes ou inconscientes) peuvent donc être sous-jacentes à une infertilité, que des causes médicales aient été identifiées ou non. Une approche intéressante et qui va dans le sens de la prise en charge qui se développe aujourd’hui de plus en plus autour d’une démarche couplée entre médecine et psychologie. Il s’agit de penser l’accompagnement non pas comme une finalité dans les cas uniquement de détresse ou de fin de parcours mais plutôt comme un binôme indispensable pour pouvoir offrir aux patients une prise en charge globale lui permettant d’optimiser ses chances de réussites.
« Dans le monde, environ 80 millions de couples sont concernés par l’infertilité, qui est définie par l’OMS comme l’absence de grossesse après plus de 12 mois de rapports sexuels réguliers sans contraception. Et le problème ne fait que s’aggraver. »
En France, près d’un quart des couples ne parvient pas à concevoir un enfant après 1 an de rapports sexuels non protégés. Au bout de 2 ans, 8 à 10 % des couples sont toujours en attente de grossesse. Conséquence : dans l’Hexagone, 1 couple sur 6 consulte pour infertilité.
Depuis la naissance de Louise Brown, premier bébé conçu par fécondation in vitro, le 25 juillet 1978, au Royaume-Uni, de nombreux progrès scientifiques ont été accomplis. Les couples touchés par des troubles de la fertilité peuvent aujourd’hui avoir recours à diverses solutions de procréation médicalement assistée (PMA) : traitements hormonaux visant à favoriser la fécondation, insémination, fécondation in vitro, fécondation in vitro avec micro-injection (FIV-ICSI)… Grâce à elles, en 2014 un enfant français sur 32 avait été conçu par PMA (soit 25 208 naissances). On estime que chaque année dans le monde 350 000 enfants naissent grâce à la PMA, un nombre en constante augmentation.
Mais pour traiter l’origine des troubles de la fertilité, encore faut-il comprendre les mécanismes qui sous-tendent le fonctionnement du système de reproduction chez l’homme et la femme. Débutées initialement sur les organes génitaux et les gamètes, les recherches ont progressivement mené les chercheurs jusqu’au cerveau.
Le cerveau joue un rôle central dans la reproduction
Dans les années 1940, les scientifiques ont découvert que la fertilité dépend de l’hypothalamus, une glande située à la base du cerveau. Cependant, les chercheurs ne soupçonnaient pas, alors, à quel point le cerveau jouait un rôle central dans la fertilité. Les recherches menées en neuroscience ont progressivement révélé son importance.
L’hypothalamus régit et coordonne de nombreuses fonctions essentielles : la faim, la soif, la température corporelle, les cycles du sommeil, les émotions, le comportement sexuel et la fonction de reproduction. Cette dernière est contrôlée par des cellules nerveuses spécialisées, les neurones neuroendocrines. Ceux-ci produisent une hormone, la GnRH (gonadotrophin-releasing hormone, ou gonadolibérine), qui pilote la maturation sexuelle, l’apparition de la puberté, ainsi que la fertilité à l’âge adulte.
La GnRH assure ce rôle en provoquant la libération par l’hypophyse, glande située sous l’hypothalamus, de deux autres hormones : l’hormone lutéinisante et l’hormone folliculo-stimulante. Transportées par le sang jusqu’aux ovaires ou aux testicules, elles régulent la production des hormones sexuelles (œstrogènes et testostérone) ainsi que la production d’œufs matures et de sperme.
Mais si la fertilité est inscrite dans nos gènes, elle n’est pas figée à la naissance : les facteurs environnementaux peuvent fragiliser le cerveau et donc avoir un impact sur la fonction de reproduction, en affectant notamment la puberté.
Un acteur sous influence
On comprend encore mal comment se met en place la puberté. Toutefois, la découverte de diverses mutations au cours des dernières décennies a permis d’identifier quelques gènes impliqués dans ce processus. Cependant, seul le tiers environ des troubles de la puberté rencontrés peuvent être imputés à des modifications de ces gènes. En outre, les problèmes qui surviennent à cette période peuvent trouver leur origine bien plus tôt.
En effet, entre le premier et le troisième mois de vie, les nourrissons subissent une « mini-puberté » qui consiste en une première activation de l’axe reproducteur par le cerveau. Cette période, qui dure juste quelques jours, est critique pour le bon déroulement ultérieur de la maturation sexuelle et pour la puberté, qui surviendra des années plus tard.
On sait que cette étape cruciale repose sur la production de GnRH. Or des travaux récents ont montré que celle-ci est soumise à une régulation épigénétique, c’est-à-dire qu’elle peut être modifiée par des facteurs changeant l’activité des gènes sans modifier l’ADN (et qui peuvent néanmoins être transmis lors des divisions cellulaires). Si la production de ces facteurs est perturbée, la GnRH ne peut pas être produite, quand bien même son gène est intact. Ce qui peut empêcher la maturation sexuelle…
Or ces dernières années un nombre croissant de travaux ont montré que certaines substances ou un mélange de substances pouvaient interférer avec les systèmes hormonaux, et avoir des effets néfastes : ce sont les fameux perturbateurs endocriniens.
Le stress, un perturbateur endocrinien sous-estimé
Sucre, café, acides gras polyinsaturés, produits chimiques, tabac, ondes électromagnétiques, médicaments, obésité, chaleur… La liste des perturbateurs endocriniens est longue. Mais il existe un perturbateur endocrinien moins connu, peut-être parce qu’il se situe à la frontière du psychologique : le stress. Celui-ci est pourtant considéré par l’OMS comme l’une des causes des dysfonctions gonadiques d’origine centrale, tant chez l’homme que chez la femme.
Une étude publiée en 2016 par des chercheurs de l’université de Louisville, aux États-Unis, révèle ainsi que les chances de tomber enceinte seraient réduites de plus de 40 % chez les femmes ressentant un niveau important de stress au moment de l’ovulation. Les auteurs de cette étude soulignent la nécessité d’encourager le recours à des techniques de gestion du stress pour les femmes qui désirent un enfant.
Kira Taylor, épidémiologiste et responsable de ces travaux, espère que ceux-ci
« pourront provoquer la prise de conscience à la fois des médecins et du grand public que la santé psychologique et le bien-être sont aussi importants que les autres facteurs impactant la fertilité comme la tabagisme, la consommation d’alcool ou l’obésité quand il s’agit de concevoir un enfant ».
Des causes psychiques (conscientes ou inconscientes) peuvent donc être sous-jacentes à une infertilité, que des causes médicales aient été identifiées ou non.
Divers scientifiques défendent de ce fait la nécessité de dépasser le clivage entre l’infertilité biologique et l’infertilité psychogène (causée par le psychisme). Ainsi Marianne Dollander et Sophie Lallié, chercheuses au laboratoire de psychologie de l’Université de Lorraine, soulignent-elles que « les facteurs psychogènes peuvent être sous-jacents à une infertilité organique, dont les explications médicales ne sont pas à remettre en cause. »
On peut espérer qu’à l’avenir une meilleure prise en compte des phénomènes psychologiques accompagnant l’infertilité, jusqu’ici peu considérés, permettra de trouver les réponses à certaines des questions sur la fécondité qui restent en suspens.