Anomalies ano-rectales congénitales

MilleLes malformations ano-rectales concernent toute anomalie congénitale de mise en place de la filière ano-rectale. Ce sont des maladies rares en référence à la définition du Parlement Européen de 1999 et de l'OMS (moins de 1 cas sur 2000). Leur prévalence dans la population caucasienne varie selon les séries, de 1/2500 à 1/5000 naissances. Le sexe ratio est discrètement en faveur des filles de 1,6/1. Bien que la majorité des cas soit sporadique, 60% sont des formes dites « associées » à d’autres malformations, dont environ la moitié sont syndromiques.

Le processus malformatif se produit entre la sixième et la dixième semaine de développement embryonnaire et la sévérité de l’atteinte est corrélée au stade de développement auquel l’anomalie est survenue. Plus l'anomalie survient précocement, plus le retentissement fonctionnel sera sévère et les atteintes malformatives d’autres structures caudales de l’embryon associées fréquentes. L’embryogenèse des malformations ano-rectales est encore aujourd’hui l’objet de controverses, mais il est admis que les formes dites hautes seraient un défaut de déroulement du processus normal de cloisonnement du cloaque, qui laisserait persister une communication entre les filières digestive distale et uro-génitale, une fistule recto-urinaire chez le garçon ou la persistance du cloaque complet avec un orifice unique au périnée dans sa forme extrême chez la fille. Les formes dites « basses » résulteraient d’une anomalie d'ouverture de la membrane anale, à un stade plus tardif du développement de la filière digestive.

 

En période anténatale, le complexe sphinctérien ano-rectal n'est pas visualisé à l'échographie dans les formes de malformations sus-lévatoriennes. Son analyse et sa description nécessite un niveau de maitrise technique élevé à l’échographie. Le diagnostic est donc le plus souvent évoqué indirectement, devant un hydrocolpos chez la fille, un cloaque ou d'autres anomalies connues pour être fréquemment associées, dont le spectre malformatif VACTERL. Elles sont présentes dans 60 à 75 % des cas : 40% d’atteintes uro-génitales (hypospade, agénésie rénale, rein pelvien, utérus bicorne...), 45% d’atteintes musculo-squelettiques, en particulier du sacrum, 20 à 30 % d’atteintes cardiaques (tétralogie de Fallot, communication inter-ventriculaire…), 20% d’autres atteintes digestives (atrésie de l’œsophage…), 10% d’atteintes crânio-faciales et 20 à 30% d’anomalies du système nerveux central (cône terminal de la moelle) ou pariétales antérieures (qui doivent faire suspecter une exstrophie cloacale).

 

Près de 30% des malformations ano-rectales sont des syndromes clairement étiquetés : associations malformatives de type VACTERL (Vertebral, Anal, Cardiac, Tracheal Esophagal fistula, Renal, Limb), MURCS (MUllerian duct, Renal aplasia, Cervico-thoracic, Somite dysplasia) ou les séquences malformatives de régression caudale avec moelle tronquée, de sirénomélie, de Klippel Feil ou OEIS (Omphalocèle, Exstrophie vésicale, Imperforation anale et anomalies du Sacrum), en rapport avec des anomalies moléculaires de transmission autosomique dominante ou récessive dans certains cas ou avec des anomalies chromosomiques, les plus fréquentes étant la trisomie 21 et les anomalies du chromosome 22 avec le syndrome Cat-eye (tétrasomie 22q11) et le syndrome de Di George (del22q11.2).

 

Tableau 1 : Principales malformations ano-rectales syndromiques d’origine moléculaire

Autosomique dominant

Autosomique récessif

Récessif Lié à l’X-
Dominant Lié à l’X

 

Currarino (MNX1)

Pallister-Hall (GLI3)

Townes-Brocks (SALL1)

Okihiro (SALL4)

Ulnar-mammary (TBX3)

Rieger (PITX2)

Kabuki (KMT2D et KDM6A)

G-Opitz (MID1) Hirschsprung (RET)

 

 

Johanson-Blizzard (UBR1)

Cotes courtes-polydactylie (Type III de Verma-Naumoff)

 

Baller-Gerold (RECQL4)

Certaines Ciliopathies

Fraser (FRAS1, FREM2)

 

G-Opitz (MID1)

Lowe (OCRL)

Hétérotaxie (ZIC3)

Syndrome FG (FGS1)

Syndrome de Renpenning (PQBP1)

MIDAS (HCCS)

Christian Sutherland-Haan

STAR (FAM58A)

 

A la naissance, le diagnostic repose sur un examen clinique précis et un bilan radiologique ciblé si le diagnostic est confirmé. L'anus se situe normalement à l'aplomb d'une ligne virtuelle entre les deux tubérosités ischiatiques. Si l'orifice est discrètement antérieur et entouré de plis radiés, il s'agit d'un anus anté-posé qui nécessitera un simple suivi sans chirurgie. Chez la fille, on s’attachera à bien identifier les orifices au périnée pour ne pas ignorer une malformation cloacale (un orifice unique) ou une fistule recto vaginale (2 orifices) fréquemment associées à des malformations sacrées et médullaires. Il peut être difficile d’identifier une fistule périnéale si l’orifice fistuleux est vestibulaire ou situé à la fourchette vulvaire. Le diagnostic peut être retardé dans des formes mineures où l’orifice fistuleux est périnéal. L’absence de plis radiés circonférentiels bien formés, l’existence d’un sillon muqueux malformatif inter ano-vulvaire (« perineal groove ») et la situation antérieure de "l’anus" doivent faire suspecter ce diagnostic.

 

Figure 1 : Classification anatomique selon Stephens

Coupes sagittales du périnée chez la fille. Dans la forme basse, les 3 orifices sont présents au périnée : urinaire en avant, vulvaire au milieu et anal en arrière, plus ou moins antérieur à la position normale et au sphincter. Le cul de sac rectal (flèche) est en position basse. Dans la forme intermédiaire, 2 orifices sont visibles au périnée : urinaire en avant et une filière commune génitale et anale, avec un abouchement plus ou moins haut de la fistule anale. Le cul de sac rectal (flèche) est en position intermédiaire. Dans le forme haute, 1 seul orifice est visible au périnée avec un conduit commun plus ou moins long. Le cul de sac rectal (flèche) est en position haute. 

 

Chez le garçon, les formes basses se présentent comme une fistule périnéale plus ou moins antéposée, mais dans la majorité des cas, le cul-de-sac est sus-lévatorien et communique avec la filière urinaire, le plus souvent au niveau de l’urètre bulbaire ou prostatique. La constatation inconstante d’une méconiurie signe cette forme de malformations. Il faut également évaluer le développement des fessiers (sulcus gluteal), l'existence d'une fossette anale, d'une fossette sacrée et d'une déviation du pli inter-fessier.

 

Figure 2 : Anatomie chez un garçon

Coupe sagittale anatomique (à gauche). Cliché radiologique d’une opacification (à droite).

V : Vessie. R : Rectum. La flèche blanche montre la fistule rectale s’abouchant dans l’urètre. 

 

La classification des malformations ano-rectales a évolué pour devenir consensuelle en 2005, lors de la Conférence de Krickenbeck et tout récemment validée par le réseau européen eUROGEN et le consortium européen ARMnet en collaboration avec le centre de référence national MAREP (https://www.orpha.net/consor/cgi-bin/Disease_Classif.php?lng=FR&data_id=147&PatId=1058&search=Disease_Classif_Simple&new=1). Celle-ci repose sur l’existence ou non d’une fistule et sur son niveau, en séparant les formes fréquentes, des formes exceptionnelles.

 

Figure 3 : Formes basses fille/garçon

 

Formes avec fistule recto-vulvaire (à gauche), recto-vestibulaire (au centre) et recto- périnéale (à droite)

 

Figure 4 : Formes hautes fille/garçon

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Exemples de malformation cloacale

 

Formes avec fistule recto-bulbaire (à gauche) ou recto-prostatique (à droite)

 

EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

La forme anatomique de la malformation est un des éléments pronostiques essentiels en termes de mécanique défécatoire : plus le cul-de-sac rectal est haut situé, plus les structures musculaires et sphinctériennes, et potentiellement leur innervation, sont altérées. Même dans les formes dites basses, il existe une tendance à la rétention de selles qui altère les capacités de continence.

Le bilan systématique initial comprend : échographie de l'arbre urinaire, échocardiographie, échographie médullaire (ou IRM médullaire avec coupes axiales T1 après 5 mois de vie ou si doute sur un dysraphisme spinal associé), radiographie de rachis complet face et profil, et opacification du segment d'aval par la colostomie (colostogramme). Un invertogramme (radiographie tête en bas ou en décubitus ventral) peut être réalisé si suspicion de forme basse du garçon. Une cystographie rétrograde (suspicion de reflux vésico-urétéral, de malformation de l'arbre urinaire, non visualisation de la fistule) pourra compléter l’évaluation.

 

Figure 5 : Invertogramme (ou cliché de Wangensteen and Rice)

 MARhaute opacification

Radiographie standard réalisée entre H18 et H24 après la naissance, de profil stricte tête en bas (à gauche) ou en décubitus ventral (à droite) pendant 3 à 5 min. Ce délai permet de visualiser le niveau du cul de sac rectal aéré. Un repère radio-opaque (cercle blanc) est placé au périnée au niveau de la fossette anale pour estimer la hauteur du cul de sac rectal.

 

 

TRAITEMENT

La prise en charge chirurgicale des malformations ano-rectales est fonction de l’anatomie de la fistule et vise à reproduire une anatomie la plus proche possible de la normale.

Dans les formes basses, où seulement la partie terminale du canal anal est anormale (absente ou abouchée de manière anormale au périnée), une réparation chirurgicale en un temps peut être réalisée : proctoplastie de type anoplastie en Y-V ou cut-back.

La dilatation de l’orifice fistuleux (anal) dans les premiers jours de vie peut permettre de retarder la chirurgie lorsque l’enfant est prématuré ou doit subir d’autres interventions chirurgicales, en particulier cardiaques. Dans ce dernier cas, si le transit n’est pas parfait, il faut savoir réaliser une colostomie qui mettra l’enfant en situation confortable, le temps de régler les autres problèmes médico-chirurgicaux associés.

La chirurgie n’est en revanche pas indiquée s’il s’agit simplement d’un anus antéposé.

Dans les autres formes, une colostomie première est réalisée pour permettre à l’enfant de se développer avant d’effectuer la réparation chirurgicale qui a lieu vers l’âge de 3 ou 4 mois (en pratique lorsqu’un poids de 5-6 kg est atteint). La technique la plus pratiquée est l’ano-rectoplastie sagittale postérieure décrite en 1982 par Peña et De Vries, ou PSARP en anglais (Postero-Sagittal Ano-RectoPlasty) qui consiste en une voie d’abord postérieure dans le sillon interfessier permettant de lier la fistule et d’abaisser le cul-de-sac rectal en créant un néoanus sans délabrement de la région. Une voie d’abord abdominale (laparotomie ou coelioscopie) est nécessaire lorsque le cul-de-sac est très haut situé, dans le cas de fistule recto-vésicale chez le garçon notamment ou la persistance du cloaque de la fille. Avec le développement de la chirurgie mini-invasive, il a été décrit en 2000 une technique d’abaissement du cul-de-sac rectal par voie coelioscopique qui est aujourd’hui utilisée systématiquement dans les formes hautes par certains centres ou uniquement dans les cas de fistule haut située dans d’autres centres. Quel que soit la technique de réparation, la colostomie est fermée généralement 2 à 3 mois après l'abaissement.

Certaines anomalies anatomiques résultant du processus malformatif en cause dans les malformations ano-rectales sont définitives, notamment l'hypotrophie des releveurs et les atteintes nerveuses péri-rectales. Les résultats fonctionnels sont souvent variables, malgré une réparation « cosmétiquement » satisfaisante.

La maîtrise des techniques chirurgicales a permis depuis quelques années de se consacrer à l’amélioration de la prise en charge postopératoire afin d’obtenir - à défaut d’une continence normale - au moins une propreté contrôlée qui soit compatible avec une vie sociale satisfaisante. Cette stratégie thérapeutique repose sur un suivi à long terme pluridisciplinaire associant des chirurgiens mais aussi des pédiatres, des urologues, des gastro-entérologues, des neurochirurgiens, des cardiologues et des orthopédistes. La place des soins de support dans cette prise en charge est fondamentale, à travers les interventions du diététicien, du psychologue, de l’assistant social et du kinésithérapeute (ce dernier pas avant l'âge de 6 ans). L’acquisition d’une propreté contrôlée repose sur cet accompagnement médical pluridisciplinaire qui est fondamental et le garant d’un bon résultat fonctionnel à l’âge adulte, avec en complément des ateliers d'éducation thérapeutique. Les enfants porteurs d’une malformation ano-rectale basse, même si leur appareil sphinctérien est compétent, requièrent aussi un suivi rapproché et prolongé en raison d’une tendance à la rétention de selles pendant toute l’enfance, et même au-delà, pouvant conduire paradoxalement à un mauvais contrôle du sphincter anal. Il faut obtenir une évacuation quotidienne des selles, souvent complétée par des lavements pluri-hebdomadaires, voire quotidiens. L’implication active du patient et de sa famille dans le traitement, le suivi et la réalisation de certains actes thérapeutiques est indispensable pour tendre vers un résultat optimal. Sans une telle prise en charge, les patients sont exposés soit à un défaut complet de contrôle des selles, soit à une constipation opiniâtre conduisant au développement d’un mégacolon/mégarectum qui ne fait qu’aggraver la rétention et l’incontinence par regorgement. La labellisation du centre de référence national MAREP a permis de montrer l'importance de la place de la prise en charge « médicale » et paramédicale de cette pathologie chirurgicale et de développer des réseaux nationaux de soins médicaux et de soins de support indispensables à l'accompagnement de ces patients dans l'acquisition d'une propreté socialement acceptable.


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