Un enjeu majeur de santé publique
La santé sexuelle, définie par l’OMS il y a un demi-siècle, est aujourd’hui reconnue comme une composante à part entière de la santé globale, elle-même déterminant majeur du bien-être. Elle s’appuie sur les droits sexuels promus par la World Association of Sexual Health (WAS 2005), qui garantissent à chacun(e) la possibilité de vivre une sexualité libre, épanouissante et protégée de toute contrainte, discrimination ou violence.
Parallèlement, la libération sexuelle de mai 1968 a été avant tout celles des femmes. Leur sexualité est passée d’un modèle centré sur la reproduction à une revendication légitime de l’épanouissement sexuel. Aujourd’hui, la sexualité récréative, c’est-à-dire érotique hors reproduction, a un but similaire à l’homme : le plaisir et la satisfaction (seule ou en couple). Selon un sondage IFOP de 2024, près de deux femmes sur trois (62 %) estiment que leur vie sexuelle est importante.
Cependant, la santé sexuelle et intime ne s’improvise pas : elle s’apprend. Le manque d’éducation scolaire et universitaire, aggravé par les tabous et les idées reçues, entretient une franche méconnaissance tant chez les patientes que chez les soignants(e)s (Bondil & Salama 2024). Or toutes les enquêtes confirment une prévalence élevée de difficultés sexuelles chez les femmes ménopausées ou… non. Dans ce contexte, le médecin traitant, le gynécologue et la sage-femme occupent une place centrale : accompagner les femmes tout au long de leur parcours de vie sexuel et intime, quel que soit l’âge (Bondil 2023). Ce rôle est d’ailleurs clairement affirmé dans la Stratégie Nationale de Santé Sexuelle 2017-2030 qui a fait de la santé sexuelle une priorité de santé publique.
Ce que le gynécologue fait déjà
Les missions actuelles du gynécologue contribuent déjà à la santé sexuelle des femmes en incluant :
- Volet préventif (« défensif ») : dépistage des cancers gynécologiques (col, sein, côlon) par l’INCa, information et dépistage des IST (HAS 2018), repérage des violences et des traumatismes psychiques (recommandation HAS), etc.
- Volet positif (qui promeut bien-être et satisfaction sexuelle/intime) : contraception efficace, préservation de la santé vulvo-vaginale (équilibre du microbiote, prise en soins de la sécheresse, du syndrome génito-urinaire de la ménopause ou du lichen), information, accompagnement et traitement si besoins tout au long des étapes clés de la vie des femmes (adolescence, grossesse, post-partum, maladies gynécologiques, ménopause, vieillesse).
Compte tenu du caractère très particulier de la sexualité - domaine de l’intime et du privé - la consultation gynécologique n’est pas anodine. Au-delà de l’examen clinique, elle ne doit pas être appréhendée avec réticence, peur ou anxiété. Au contraire, elle doit être un espace de confiance, fondé sur le respect, le consentement et l’absence de jugement (charte d’éthique CNGOF de 2021). Un examen gynécologique vécu comme un traumatisme peut avoir des répercussions durables sur la vie intime.
Ce que le gynécologue peut (facilement) faire de plus
De nombreuses femmes souhaiteraient aborder leurs difficultés sexuelles avec leur médecin… mais n’osent pas. La plupart espèrent que le professionnel ouvrira la discussion. Or seule une minorité (10%) de gynécologues posent spontanément la question. Les freins évoqués sont le manque de temps, de formation ou la crainte de ne pas savoir répondre.
Pourtant, il suffit d’un geste simple : poser une question d’un ton naturel : « Et au niveau de votre santé sexuelle ou de votre vie intime personnelle ou de couple, comment ça va ? »
Quatre points clés doivent guider la démarche (Bondil 2023) :
- Être proactif : la majorité des patientes attendent que le soignant lance le sujet.
- Adopter une attitude ouverte et bienveillante, en parlant de santé sexuelle et d’intimité et jamais de sexe ou de sexualité afin de libérer la parole du soigné et faciliter celle du soignant.
- Dépister les difficultés, souvent masquées, en tenant toujours compte du contexte médical - maladies chroniques et cancers (à fortiori si génito-pelviens), troubles psychiques - et social - isolement, précarité, surmenage.
- Évaluer la souffrance, afin d’adapter la réponse aux besoins réels de la patiente.
Les troubles sexuels féminins sont fréquents et sous-estimés : baisse du désir (20–40 %), difficultés orgasmiques (33 %) ou de l’excitation (15 %), dyspareunies (15–20 %), vaginisme (2%). La ménopause, universelle, en aggrave souvent l’expression. Pourtant, ils restent encore peu étudiés et sous-traités à la différence du désir et du plaisir masculin.
Prise en soins et réseau de soins
La/le gynécologue est très souvent le premier acteur en santé sexuelle pour les femmes. Dans la majorité des cas, sa réponse soignante suffit : informer, rassurer, prescrire un traitement local connu (ex. sécheresse vaginale). En cas d’échec ou de trouble plus complexe, l’orientation vers un confrère spécialisé est nécessaire.
Ce travail en réseau coordonné est essentiel. De fait, nombre de référents en santé sexuelle, sexologues ou non, ne sont pas à l’aise (ex. psychiatre) ou autorisés à réaliser un examen gynécologique (ex. psychologues). La/le gynécologue peut aider en éliminant une organicité (ex : confirmation d’un examen gynécologique normal avant de traiter un vaginisme…) ou en prescrivant un traitement spécifique (ex : traitement oestrogénique local en cas de SGUM).
Il est également crucial d’être attentif si la patiente évoque des difficultés liées à un trouble érectile du partenaire (si < 70 ans). Réalité EBM, il faut informer qu’une évaluation cardiométabolique est recommandée - risque majeur d’accidents cardiovasculaires et de mortalité dans les 3 à 5 ans - tout comme la recherche de troubles de l’humeur (Bondil 2023 ; Huyghe 2025).
Quand le gynécologue devient sexologue
Grâce à une formation diplômante (Diplôme Inter Universitaire de sexologue ou DIU de sexologie, formations avec label officiel), le gynécologue ou la sage-femme peut devenir sexologue qualifié (comme quatre autres professions de santé). Ce titre, encore non protégé en France, distingue ceux ayant reçu une formation validée. Le sexologue diplômé a un rôle de référent pour les cas complexes, au sein de réseaux incluant gynécologues, sages-femmes, oncologues, psychiatres, infirmiers, psychologues et autres professionnels de santé.
Le sexologue conduit une consultation holistique pour un diagnostic précis du trouble sexuel et de ses causes (vaginisme, dyspareunies, troubles de l’orgasme ou du désir…). Une prise en soins de type sexologique est alors indiquée : en règle multimodale, elle associe dans un premier temps :
- Information et réassurance (lutter contre les fausses idées),
- Approche pharmacologique à visée sexuelle ou non (antalgiques, hormonothérapies, activité physique adaptée, soins esthétiques…),
- Sexothérapies individuelles ou de couple simples (type TCC, hypnose, …)
Des soins plus spécialisés (chirurgie reconstructive, traitements mécaniques vaginaux, psychiatriques…) seront indiqués dans un deuxième temps afin d’aider et accompagner la patiente.
Conclusion
Les gynécologues et les sages-femmes sont désormais des acteurs majeurs en santé sexuelle de première ligne, comme les médecins généralistes. Les besoins des femmes dans le domaine de la santé sexuelle et de la vie intime sont considérables, largement insatisfaits et caractérisés par une forte iniquité homme/femme.
Il suffirait pourtant d’un geste simple : poser une question sur la vie intime lors de l’interrogatoire de routine. Dans la majorité des cas, cela permet de répondre efficacement aux attentes et besoins des patientes. En cas de difficultés persistantes ou complexes, un réseau de soins coordonné, incluant des sexologues qualifiés, doit être mobilisé.
La santé sexuelle des femmes n’est pas un luxe : c’est un droit, une priorité de santé publique et une responsabilité éthique collective.
- Bondil P : Acteurs en santé sexuelle : pourquoi s’en préoccuper, pourquoi tous ensemble et qui fait quoi ? Mise au point de l’Association interdisciplinaire post-universitaire de sexologie (Aius) (première partie). Sexologies. 2023 ; 32 : 9-21. doi :10.1684/sexol.2023.0006
- Bondil P & Salama S: Anatomie et physiologie de la génitalité : que doit savoir le sexologue ?. Sexologies. 2023;32(4):280-300. doi:10.1684/sexol.2023.30
- Sex recession: https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2024/02/Infographie_Sex_Recession_2024.26.01-1.pdf
- https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/09/Infographie_Volet1_2021.08.31.pdf
- https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_nationale_sante_sexuelle.pdf
- https://www.has-sante.fr/jcms/p_3104867/fr/reperage-des-femmes-victimes-de-violences-au-sein-du-couple
- https://cngof.fr/app/uploads/2022/12/Charte-de-consultation-en-gynecologie-et-obstetrique.pdf?x13417
- Huyghe E et al. : Prise en charge thérapeutique de la dysfonction érectile : les recommandations AFU/SFMS. The French Journal of Urology 35 (2025) 102842
- World Association for Sexual Health. Déclaration des droits sexuels. Montréal : WAS ; 2005. https://worldsexualhealth.net/