Désescalade thérapeutique des traitements systémiques dans les cancers du sein localisés

Evolution des pratiques entre escalade et désescalade thérapeutiques

La prise en charge des cancers du sein a été bouleversée au cours de la dernière décennie. De nombreuses thérapies ciblées sont entrées dans l’arsenal thérapeutique utilisé au quotidien pour les patientes à plus haut risque de récidive :

  • Inhibiteurs de CDK4/6 dans les cancers du sein récepteurs hormonaux (RH) positifs, HER2 négatifs.
  • Anticorps monoclonaux et anticorps conjugués dans les cancers du sein HER2 positifs
  • Immunothérapie dans les cancers triple négatifs.

Parallèlement à ces avancées thérapeutiques, les plans cancers successifs n’ont cessé de mettre l’accent sur la prévention des séquelles du cancer. Une des stratégies les plus efficaces dans cet objectif est la désescalade thérapeutique, définie comme la diminution de l’intensité des traitements tout en préservant leur efficacité.

Dans l’ensemble des sous-types, la désescalade des traitements systémiques vise à améliorer la qualité de vie des patientes en limitant les effets indésirables tout en conservant une efficacité au moins équivalente en termes de survie globale ou survie sans rechute.

Les signatures moléculaires pour se passer de chimiothérapie adjuvante dans les cancers du sein RH+ HER2-

L’indication de la chimiothérapie adjuvante dans les cancers RH+ repose historiquement sur les critères histopronostiques classiques : taille tumorale, grade histologique et statut ganglionnaire. Le développement de signatures génomiques évaluant l’expression d’une combinaison de gènes tumoraux a profondément modifié les pratiques, tant pour l’évaluation du risque de récidive que pour la décision de chimiothérapie adjuvante.

Certaines de ces signatures ont été évaluées prospectivement, dans de grandes études internationales randomisées, afin d’estimer le bénéfice de la chimiothérapie adjuvante selon la catégorie de risque génomique. L’étude TAILORx(1) a inclus plus de 10 000 patientes atteintes d’un cancer du sein localisé RH+ HER2− sans atteinte ganglionnaire (N0), évaluées par la signature génomique Oncotype DX. Dans cette étude, il n’y avait pas de bénéfice de la chimiothérapie chez les patientes ménopausées avec un score de récidive (RS) ≤25 ni chez les patientes préménopausées avec un score <16.

Chez les patientes avec atteintes ganglionnaire limitée (N1, 1 à 3 ganglions positifs), l’essai RxPONDER(2), n’a pas retrouvé de bénéfice de la chimiothérapie adjuvante chez les patientes ménopausées avec un RS ≤ 25. En revanche, le sous-groupe des patientes préménopausées tirait un bénéfice de la chimiothérapie quel que soit le RS, possiblement en lien avec la suppression ovarienne induite par la chimiothérapie.

Des résultats similaires ont été retrouvés avec d’autres signatures génomiques (Mammaprint, Prosigna). Du fait du faible nombre de patientes de plus de 70 ans incluses dans ces études, et à la lumière des résultats de l’étude ASTER70(3) qui ne retrouvait pas de bénéfice de la chimiothérapie adjuvante chez des femmes de plus de 70 ans à haut risque génomique, ces signatures n’ont pas aujourd’hui d’indication généralisée après 70 ans. Dans cette population l’hormonothérapie seule reste la règle.

Ainsi, l’avènement des signature génomiques permet aujourd’hui d’éviter une chimiothérapie chez plus de la moitié des patientes avec un cancer du sein RH+ HER2-.

Désescalade thérapeutique dans le cancer du sein HER2 positif

Le cancer du sein HER2 positif, historiquement de mauvais pronostic, a vu sa prise en charge transformée par l’arrivée des thérapies ciblées anti-HER2. Pour les cancers HER2+ de plus de 2 cm ou avec atteinte ganglionnaire, la stratégie repose sur la chimiothérapie néoadjuvante associée aux anticorps anti-HER2 et l’adaptation du traitement adjuvant à la maladie résiduelle avec poursuite du Trastuzumab en cas de réponse complète ou utilisation d’un anticorps conjugué en cas de réponse histologique incomplète.

Dans les formes localisées à faible risque, le traitement comportait classiquement une chimiothérapie adjuvante à base d’anthracyclines et taxanes, associées à 12 mois de traitement anti-HER2. Bien qu’efficace, cette stratégie exposait les patientes à des toxicités à long terme, notamment cardiaques. En 2015, Tolaney et. Coll. ont publié les résultats de l’essai de phase II monobras APT(4) évaluant chez 410 patientes avec un cancer du sein HER2+ N0 de moins de 3 cm, une stratégie de chimiothérapie courte sans anthracyclines (12 semaines de Paclitaxel hebdomadaire) associé à 12 mois de Trastuzumab. Le critère d'évaluation principal était la survie sans maladie. Les résultats à 10 ans retrouvent une survie sans maladie de 91,3 %, et une survie globale de 94,3 %. Une diminution de la fraction d'éjection ayant conduit à l’interruption du traitement par trastuzumab a été observée chez 13 patientes (3%) et 0.5% des patientes ont présenté une insuffisance cardiaque symptomatique.

D’autres stratégies ont été étudiées pour réduire la cardiotoxicité à long terme dans les cancers HER2+, notamment la réduction de la durée du traitement par anti-HER2. L’étude PERSEPHONE(5) a comparé 6 mois à 12 mois de Trastuzumab et a montré une efficacité similaire et une cardiotoxicité et un cout moindres. A l’inverse, l’étude Française PHARE(6) n’a pas démontré la non-infériorité de 6 mois de Trastuzumab par rapport à 12 mois. En conséquence, 12 mois de Trastuzumab restent le standard même s’il est possible de rassurer les patientes ayant dû arrêter le traitement plus précocement en raison de comorbidités ou de toxicité cardiaque

Cancers du sein triple négatifs : prudence sur la désescalade

Bien qu’un rationnel biologique se développe autour du rôle pronostic des TILs (Lymphocytes Infiltrants la Tumeur) pour identifier des cancers triples négatifs de meilleur pronostic, la prudence reste de mise pour ces tumeurs globalement agressives.  Ces dernières années ont toutefois permis l’émergence de l’immunothérapie comme avancée majeure pour les patientes touchées par ces tumeurs à haut risque de récidive.

Sous-type

Objectif de désescalade

Axes évalués / Stratégies

Principaux résultats

Implication clinique

RH+ / HER2–

Réduction du recours à la chimiothérapie

Tests génomiques (Oncotype DX, MammaPrint, EndoPredict)

N0 : Absence de bénéfice de la chimiothérapie chez les femmes ménopausées avec Récurrence score (RS) ≤25 ou préménopausées avec RS <16.
N1 : Absence de bénéfice chez les femmes ménopausées avec RS ≤25

Environ 60-70 % des patientes peuvent éviter une chimiothérapie sans perte de survie

HER2+

Réduction de l’intensité de la chimiothérapie

Suppression des anthracyclines

APT : Paclitaxel + Trastuzumab suffisants pour T ≤3 cm, N0

Régime sans anthracyclines possible pour les petites tumeurs HER2+ N0

Table 1 : Principales indications de désescalades validées des traitements systémiques du cancer du sein

Conclusion

Grace à une meilleure connaissance de la biologie tumorale et l’avènement des thérapies ciblées, l’individualisation des traitements est aujourd’hui une réalité dans la prise en charge du cancer du sein localisé. La prise en compte du risque d’effets secondaires tardifs et des séquelles liées aux traitements permet désormais la mise en oeuvre de stratégies de désescalades thérapeutiques sécurisées. Cependant pour être réellement sécurisées, ces stratégies doivent impérativement s’inscrire dans une discussion pluridisciplinaire en RCP intégrant autres potentielles indications de désescalades des autres modalités thérapeutiques (chirurgie, radiothérapie).

Références
1.         Sparano JA, Gray RJ, Makower DF, Pritchard KI, Albain KS, Hayes DF, et al. Adjuvant Chemotherapy Guided by a 21-Gene Expression Assay in Breast Cancer. N Engl J Med. 12 juill 2018;379(2):111‑21.
2.         Kalinsky K, Barlow WE, Gralow JR, Meric-Bernstam F, Albain KS, Hayes DF, et al. 21-Gene Assay to Inform Chemotherapy Benefit in Node-Positive Breast Cancer. New England Journal of Medicine. 15 déc 2021;385(25):2336‑47.
3.         Brain E, Mir O, Bourbouloux E, Rigal O, Ferrero JM, Kirscher S, et al. Adjuvant chemotherapy and hormonotherapy versus adjuvant hormonotherapy alone for women aged 70 years and older with high-risk breast cancer based on the genomic grade index (ASTER 70s): a randomised phase 3 trial. The Lancet. 2 août 2025;406(10502):489‑500.
4.         Tolaney SM, Tarantino P, Graham N, Tayob N, Parè L, Villacampa G, et al. Adjuvant paclitaxel and trastuzumab for node-negative, HER2-positive breast cancer: final 10-year analysis of the open-label, single-arm, phase 2 APT trial. Lancet Oncol. mars 2023;24(3):273‑85.
5.         Earl HM, Hiller L, Vallier AL, Loi S, McAdam K, Hughes-Davies L, et al. 6 versus 12 months of adjuvant trastuzumab for HER2-positive early breast cancer (PERSEPHONE): 4-year disease-free survival results of a randomised phase 3 non-inferiority trial. The Lancet. 29 juin 2019;393(10191):2599‑612.
6.         Pivot X, Romieu G, Debled M, Pierga JY, Kerbrat P, Bachelot T, et al. 6 months versus 12 months of adjuvant trastuzumab in early breast cancer (PHARE): final analysis of a multicentre, open-label, phase 3 randomised trial. The Lancet. 29 juin 2019;393(10191):2591‑8.

 

 

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