Comme chaque année au mois d’Octobre, le nombre d’IVG pratiquées en France l’année précédente a été rendu public. En 2023, on a compté 243 600 IVG soit une augmentation de 3.7% par rapport à 2022. Et comme l’année dernière, les expert.e.s en orthogénie sont assailli.e.s par des journalistes qui cherchent à trouver des explications à cette augmentation du nombre d’IVG, comme si l’IVG était une maladie ou une épidémie.
On ne compte pas non plus les journalistes intéressés par la « récidive » des IVG, en utilisant un vocabulaire policier complètement inapproprié concernant un sujet de la santé reproductive. Après avoir largement applaudi à la constitutionalisation de l’IVG en 2022, on s’étonnerait donc qu’un certain nombre de femmes puissent exercer en toute sécurité ce droit dans notre pays ? S’intéresse-t-on avec autant de précision au nombre de personnes qui ont le droit de se nourrir ou de se loger ? Existe-t-il un nombre « normal » d’IVG que les françaises aurait le droit de pratiquer chaque année ? Que les femmes puissent avorter en France quel que soit leur nombre est une bonne nouvelle surtout quand on regarde ce qui se passe dans d’autres pays, en particulier les USA où on voit déjà la mortalité maternelle et infantile augmenter dans les états ou l’avortement est prohibé.
obsession sur le chiffre des IVG masque en fait une panique morale sur le fait qu’on n’a pas laissé vivre un certain nombre d’embryons et de fœtus. Mais comme la seule alternative serait d’obliger les femmes à continuer leur grossesse et accoucher d’un enfant non désiré - et que cette alternative n’est ni dicible ni acceptable - on préfère se focaliser sur la dynamique du nombre d’IVG chaque année pour rappeler au public qu’il y a « quand même un problème ». Or il faut répéter que l’IVG n’est pas un problème mais une solution à une grossesse non prévue. S’il y a un problème de santé publique, il s ‘agit des grossesses non prévues et pas des avortements.
C’est le rôle des professionnels de santé de donner les moyens aux femmes de choisir si elles veulent ou non avoir un enfant. C’est le rôle de la contraception d’éviter aux femmes d’être enceintes quand elles ne le souhaitent pas. Cette contraception peut être médicalisée ou pas ; elle peut être très efficace ou peu efficace. Peu importe, c’est aux femmes de choisir le type de contraception qu’elles veulent et pas au professionnel de santé d’imposer la contraception qu’il juge la plus appropriée ou la plus nécessaire car nous savons que cela ne fonctionne pas.
Nous sommes pourtant nombreux à nous désoler de l’hormonophobie » qui règne chez beaucoup de nos patientes, influencées par des livres à charge et des discours médiatiques fallacieux. Mais avant d’affirmer que cette « hormonophobie » est responsable d’une diminution de l’utilisation des contraceptifs oestroprogestatifs avec comme conséquence une augmentation des grossesses non prévues, nous avons besoin d’études précises. En attendant ces études et plutôt que de clouer au pilori ces femmes qui « ne veulent pas d’hormones », il faut au contraire les accompagner dans les méthodes qu’elles choisissent en prescrivant des préservatifs remboursés, en rappelant l’utilisation de la contraception d’urgence et en informant correctement sur la contraception vaginale et sur les méthodes dites « naturelles ».
Il faudrait ainsi éviter de vilipender les applications de suivi menstruel que de plus en plus de femmes utilisent aussi pour « calculer » leur période de fertilité. Ces applications représentent un outil potentiel pour dispenser aux femmes des informations précieuses sur leur santé sexuelle et reproductive : informations sur les maladies sexuellement transmissibles, stratégie pour un projet parental, accès à la PMA, à l'IVG, prise en charge en cas de violences conjugales etc. On ne peut que déplorer l'absence de procédures de contrôle sur la qualité des applications pour éclairer les consommatrices. Par ailleurs les femmes doivent obtenir une contraception permanente (ligature de trompes, salpingectomie bilatérale) sans entraves et sans jugement moral de la part des professionnels. Les hommes devraient s’impliquer de plus en plus dans la contraception que ce soit par la vasectomie, par l’utilisation des méthodes de contraception thermique (même si ces méthodes sont contraignantes et non officiellement approuvées) voire espérons dans un proche avenir par l’utilisation d’une contraception hormonale.
Enfin il faut obtenir des pouvoirs publics la mise à disposition sans ordonnance de la contraception progestative comme c’est déjà le cas au Royaume Uni.
Il y a donc beaucoup de pain sur la planche afin d’obtenir une baisse du nombre des grossesses non prévues dans notre pays. Il n’en reste pas moins que confrontées à une grossesse non prévue les femmes risquent de choisir de l’interrompre de plus en plus souvent en raison de l’avenir angoissant que nous réserve les guerres et le réchauffement climatique.