Gyneco online annonçait, en octobre 2010, dans cette tribune, un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, en commentant un arrêt rendu le 3 juin 2010. Il est donc utile de faire le point :
Le principe légal imposant l’information du patient :
Depuis l’entrée en vigueur de la loi dite Kouchner[1], l’article L. 1111-2 du code de la santé publique impose au médecin d’informer le patient sur « les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences éventuelles, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ».
C’est au médecin qu’il incombe d’apporter la preuve, par tous moyens, que l’information a été délivrée au patient.
En déontologie médicale, le médecin doit respecter essentiellement à ce titre les dispositions ci-après :
- article R. 4127-35 :
« Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.
« Toutefois, lorsqu’une personne demande à être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic, sa volonté doit être respectée, sauf si des tiers sont exposés à un risque de contamination.
« Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. »
- article R. 4127-36 :
« Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas.
« Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences.
« Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité.
« Les obligations du médecin à l’égard du patient lorsque celui-ci est un mineur ou un majeur protégé sont définies à l’article R. 4127-42. »
Les étapes de l’évolution de la jurisprudence :
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Avant 1990, la Cour de cassation imposait une réparation intégrale du préjudice résultant du défaut d’information (arrêts Teyssier et Michel).
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Puis la Cour de cassation a opté pour une réparation partielle du préjudice fondée sur une perte de chance : d’abord par un arrêt du 7 février 1990, dont les conséquences sont précisées par une décision du 7 décembre 2004. La réparation du préjudice est calculée en mesurant la chance perdue, il s’agit d’une fraction des différents chefs de préjudice.
Le juge introduit une probabilité dans sa recherche de la perte de chance, il se livre ensuite à un exercice de proportionnalité entre le degré de la chance perdue et le montant de la réparation.
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La Cour de cassation a ensuite jugé (arrêt de la 1ère chambre civile, 13 novembre 2002) qu’en l’absence de démonstration de ce que, informé du risque exceptionnel tenant à l’acte chirurgical nécessaire, un patient aurait refusé l’intervention, aucun préjudice indemnisable ne résulte d’un manquement du praticien à son obligation d’information.
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L’arrêt du 3 juin 2010 : opérant un revirement de jurisprudence, la 1ère chambre, en visant les articles 16, 16-3 alinéa 2 et 1382 du code civil a affirmé que le non-respect du devoir d’information cause à celui auquel l’information était légalement due un préjudice en vertu de l’article 1382 que le juge ne peut laisser sans réparation. Dès lors la réparation avait un fondement non plus contractuel mais adoptant comme fondement la violation d’une obligation légale découlant notamment de l’article 16-3 du code civil qui pose le principe d’un droit personnel à être informé et associé pleinement aux décisions portant atteinte à l’inviolabilité du corps humain, en totale indépendance de la notion de perte de chance.
L’arrêt du 23 janvier 2014 :
Dans l’affaire concernée, un médecin généraliste, le Docteur H., a administré ou prescrit à Madame A., entre 1996 et 1999, plusieurs injections vaccinales, dont 5 du vaccin GenHevac B contre l’hépatite B, produit par la société Sanofi-Pasteur MSD. Madame A. ayant présenté un état de fatigue persistant et une instabilité des membres inférieurs provoquant des chutes, des examens ont mis en évidence des anomalies neurologiques, puis l’existence d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA). Attribuant sa pathologie aux vaccinations, Madame A. a recherché la responsabilité de la société Sanofi-Pasteur MSD et du Docteur H., puis, s’étant désistée de l’instance d’appel à l’égard du laboratoire, a maintenu ses demandes envers le médecin.
L’arrêt du 23 janvier 2014 juge :
« Attendu qu’indépendamment des cas dans lesquels le défaut d’information sur les risques inhérents à un acte d’investigation, de traitement ou de prévention a fait perdre au patient une chance d’éviter le dommage résultant de la réalisation de l’un de ces risques, en refusant qu’il soit pratiqué, le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d’information cause à celui auquel l’information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice résultant d’un défaut de préparation aux conséquences d’un tel risque, que le juge ne peut laisser sans réparation. Ayant constaté alors que Madame A. exposait, sans être contredite par le Docteur H., n’avoir reçu aucune information sur l’intérêt de la vaccination ou sur ses risques, que les experts, comme la quasi unanimité des scientifiques, écartaient tout lien de causalité entre le vaccin contre l’hépatite B et l’apparition de la SLA, qui n’est pas une maladie auto-immune mais une dégénérescence des motoneurones, et que ni la notice du GenHevac B ni le dictionnaire médical Vidal ne mettaient en garde contre une éventualité d’apparition du SLA après une vaccination par GenHevac B, la Cour d’appel en a exactement déduit que la demande de Madame A. ne pouvait être accueillie. »
En l’espèce, la Cour de cassation portait en conséquence sur la nature du préjudice réparable en cas de défaut d’information sur les risques inhérents à un vaccin, lorsqu’il est établi que cette faute n’a fait perdre au patient aucune chance d’éviter le dommage.
La Cour de cassation ne vise plus « l’atteinte à un droit de la personnalité » comme dans son précédent arrêt du 3 juin 2010 mais un préjudice d’impréparation aux conséquences du risque, et l’arrêt mentionne que le juge ne doit pas laisser sans réparation ce préjudice.
En l’espèce, la patiente est donc déboutée de son pourvoi en cassation.
Aucun lien de causalité n’étant scientifiquement démontré entre le vaccin et la SLA, la patiente est également déboutée de sa demande fondée sur une perte de chance.
Cet arrêt est bienvenu et corrige l’excès des conséquences du précédent revirement du 3 juin 2010 qui permettait de voir un patient indemnisé alors qu’il n’avait subi aucun préjudice. Il serait en effet redoutable de considérer que toute violation d’un droit constitue en soi un préjudice réparable en tant que tel, particulièrement dans le domaine médical où la preuve de la qualité et de la quantité d’informations données s’avère très difficile à apporter, si on résiste à la tentation de faire signer, comme aux Etats-Unis, un fascicule complet décrivant les effets secondaires possibles d’une manière exhaustive, qui déstabilise le patient et peut le faire renoncer à une intervention pourtant bénéfique à son état de santé.
Il faut maintenant attendre l’application que feront les juges du fond (tribunaux de grande instance et cours d’appel) de cette jurisprudence très nuancée de la Cour de cassation qui impliquera pour les magistrats d’être eux-mêmes très informés sur l’information et le risque médical pour évaluer le « défaut de préparation aux conséquences d’un tel risque ».
De belles heures de plaidoirie en perspective. Merci à la Cour de cassation !
1- Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé