(arrêt Cour administrative d’appel de Nancy, 3ème ch., 9 janvier 2014, n° 12NC02068)
Gynéco online suit avec intérêt l’évolution de la jurisprudence sur la « faute caractérisée » mise en œuvre par l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles :« Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis de parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. » (cf. rubrique juridique « Affaire Perruche, suite … et fin ? », septembre 2010, puis commentaire de l’arrêt du 16 janvier 2013, rubrique de mars 2013 et enfin commentaire de l’arrêt du 14 novembre 2013, rubrique de décembre 2013).
Application des critères d’intensivité et d’évidence :
Dans ce dernier arrêt du 14 novembre 2013 (n° 21.576), la 1ère chambre de la Cour de cassation avait jugé que la faute caractérisée devait répondre à des critères d’intensivité et d’évidence.
Il est intéressant de signaler un arrêt prononcé par une juridiction administrative, et non plus civile, la Cour administrative d’appel de Nancy, appliquant à l’hôpital public l’article L. 114-5 susvisé, après que le Conseil d’Etat ait précédemment statué dans dossiers : Centre Hospitalier Emile Roux, le 9 février 2005 (n° 255990) et Centre Hospitalier Cochin, le 13 mai 2011 (n° 329290).
Dans l’arrêt de Nancy, ce sont les Hôpitaux Civiles de Colmar et les Hôpitaux universitaire de Strasbourg qui donne l’occasion au prononcé d’une jurisprudence utile en ce qu’elle vient confirmer que le seul constat d’une erreur ne saurait constituer une faute caractérisée dans le diagnostic prénatal. Les circonstances étaient les suivantes :
Mme KG a été hospitalisée le 20 août 2002, au cours de sa 2ème grossesse, dans le service de gynécologie obstétrique des Hôpitaux de Colmar, après que son médecin traitant ait observé un retard de développement du fœtus. Les examens échographiques ayant confirmé une hypotrophie fœtale, l’intéressée a été transférée le 22 août 2002 à l’Hôpital Hautepierre à Strasbourg, relevant des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, en vue d’y subir des examens spécialisés jusqu’au 31 août suivant. Mme KG a donné naissance le 29 octobre 2002 à une fille chez laquelle a été diagnostiquée une arthrogrypose, ainsi qu’un pied bot bilatéral et une fente palatine, entraînant chez l’enfant une invalidité de 80 %.
Mme KG et son époux ont recherché la responsabilité des deux hôpitaux au motif que, n’ayant pas été informés des anomalies observées au cours de la croissance fœtale, ils n’ont pas été mis en mesure de solliciter une interruption médicale de grossesse.
Ils ont fait appel d’un premier jugement du 6 novembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à la condamnation des deux hôpitaux à les indemniser des préjudices subis tant par leur fille que par eux-mêmes et leurs autres enfants. La CPAM du Bas-Rhin demandait le remboursement de ses débours à hauteur de 464 000 €.
Sur le fondement rappelé de l’article L. 114-5 susvisé, la Cour d’appel de Nancy considère premièrement que le régime de responsabilité de l’espèce concerne des faits intervenus postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002.
En deuxième lieu le handicap dont l’enfant est atteinte a une origine génétique et ne résulte pas d’un acte médical. Dès lors les époux KG ne sont pas fondés à demander pour eux et pour leur fille handicapée la réparation du préjudice résultant de la naissance de celle-ci et des charges particulières découlant de son handicap tout au long de la vie de l’enfant.
En troisième lieu, l’arrêt souligne qu’il résulte de l’instruction et notamment d’un rapport expertise ordonnée en première instance qu’après avoir constaté, à la suite d’une échographie réalisée à 25 semaines d’aménorrhée, un retard de croissance et une faible mobilité du fœtus, les praticiens des Hôpitaux Civils de Colmar et des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg ont fait procéder à un bilan de recherche des signes biologiques d’une pathologie vasculaire du placenta, de pathologies infectieuses et d’anomalies chromosomiques ou génétiques, susceptibles d’expliquer ce retard de développement. L’expert a estimé que ces médecins, prenant en compte les facteurs de risque présentés par Mme KG avaient rempli leur obligation de moyen, permettant à la patiente de bénéficier d’examens conformes aux données acquises de la science médicale. En particulier, les examens de doppler, qui permettent de déceler l’existence d’une maladie vasculaire du placenta, se sont avérés normaux. Des examens spécialisés ont confirmé que le caryotype ne présentait aucune anomalie et ont permis d’écarter l’hypothèse d’une délétion au locus du chromosome 4, cause recensée d’hypotrophie sévère selon l’expert. Les recherches effectuées n’ont par ailleurs mis en évidence aucune infection virale qui aurait pu se trouver à l’origine du retard de développement et de la faible mobilité du fœtus. Si les praticiens des deux établissements hospitaliers n’ont pas décelé de malformation du fœtus, malgré une mauvaise position des membres visible sur les échographies qu’ils ont réalisées, il ressort du rapport d’expertise que la réduction du liquide amniotique, observée chez la patiente, et l’immobilité du fœtus ont eu pour effet d’accentuer l’imprécision habituelle des images échographiques. Le centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, consulté par les médecins de l’Hôpital Hautepierre de Strasbourg, a estimé, dans son avis du 6 septembre 2002, que le bilan cytogénétique et infectieux de Mme KG ne permettait pas d’expliquer le retard de croissance du fœtus et recommandait une surveillance hebdomadaire de la patiente. Si l’expert indique que l’immobilisme du fœtus et son retard de croissance sévère, inférieur au 3ème centile, révèlent en tant que tels un risque de maladie grave chez l’enfant, il précise que les médecins des deux hôpitaux se sont trouvés confrontés à un dossier complexe, d’interprétation particulièrement difficile, et dans lequel aucun élément ne permettait d’orienter avec certitude un diagnostic vers une malformation du fœtus.
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, les praticiens des deux hôpitaux ont pu estimer que l’enfant à naître ne présentait pas d’affection de nature à provoquer un handicap. Dans ces conditions, les deux hôpitaux n’ont commis aucune faute caractérisée au sens des dispositions précitées de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles en ne parvenant pas à diagnostiquer le handicap dont l’enfant était atteint.
En conséquence, les époux KG ne peuvent utilement se prévaloir de la circonstance qu’aucune information appropriée ne leur aurait été délivrée, dans les conditions prévues par les articles R. 2131-16 et suivants du code de la santé publique, sur le risque de malformation présenté par leur enfant à naître, pour engager la responsabilité de ces établissements sanitaires.
La Cour administrative d’appel de Nancy confirme en conséquence le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté les demandes tant des parents que de la CPAM du Bas-Rhin.