Publicité des professionnels de la santé : les propositions du Conseil d’Etat

   Le Premier Ministre Edouard Philippe a demandé en décembre 2017 au Conseil d’Etat une étude sur les règles applicables aux professions de santé en matière d’information et de publicité, qui soulèvent de nombreuses questions notamment au regard de la compatibilité du droit interne français avec le droit de l’Union européenne.

   Le Rapport qui vient d’être rendu public rappelle d’abord que nos principaux voisins réglementent la publicité sans l’interdire totalement tandis qu’aux Etats-Unis celle-ci est libre tout en étant régulée (pages 50 et suiv.) :

   En vertu du principe du libre exercice de la profession (Grundrecht auf freie Berufsausübung), les médecins exerçant en Allemagne sont en droit d’informer le public de leur activité et de faire de la publicité pour les services qu’ils proposent. Mais, dans le même temps, la publicité peut faire l’objet de restrictions légales justifiées par l’intérêt général (Gemeinwohl). Le paragraphe 27 du « code-modèle » fédéral énonce que les dispositions qu’il prévoit visent à garantir la sécurité des patients au moyen d’une information objective et raisonnable et à éviter la « commercialisation » de la profession de médecin.

   En Italie, depuis 2006, les professionnels libéraux peuvent communiquer au public, par voie publicitaire, leurs titres et spécialisation, la nature des services offerts ainsi que le prix et le coût global des prestations, dans le respect de critères de transparence et de véracité du message délivré, ce qui a été confirmé en 2012 par le décret portant réforme des ordres professionnels. Aujourd’hui, les médecins peuvent également annoncer la présence de leurs éventuels collaborateurs et même faire de la publicité comparative, sous réserve que des indicateurs cliniques mesurables, certains et partagés par la communauté scientifique existent, afin d’éviter une comparaison mensongère.

   L’Espagne autorise également la diffusion d’informations concernant les activités des professionnels de santé, avec une obligation d’objectivité, prudence et sincérité.

   Au Royaume-Uni, les codes de la publicité et de la communication commerciale directe et promotionnelle sont applicables à la publicité et à l’information diffusées par les professionnels de santé. Le Good Medical Practice Guide de 2013 du General Medical Council leur recommande de s’assurer, lorsqu’ils font de la publicité pour leurs services, que l’information qu’ils publient est factuelle et vérifiable et n’exploite pas la vulnérabilité ou l’absence de connaissances médicales des patients.

   Les Etats-Unis, l’AMA (American Medical Association) a publié un Code of Medical Ethics disposant que tout médecin peut faire de la publicité pour ses activités en tant que médecin, au moyen de toute forme de communication publique, à condition qu’une telle communication ne soit pas de nature à induire en erreur en omettant de faire état d’informations importantes et nécessaires, ni ne contienne d’éléments faux ou trompeurs. Elle autorise l’inclusion de témoignages de patients mais considère une telle communication trompeuse lorsque ces témoignages ne sont pas représentatifs des résultats habituellement observés chez des patients montrant une pathologie similaire. De même, présente un caractère trompeur tout élément tendant à suggérer qu’un résultat positif est certain.

   Le Rapport décrit ensuite l’évolution récente de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), en s’attachant tout particulièrement à l’arrêt Vanderborght du 4 mai 2017, dans lequel la Cour a jugé que le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale interdisant de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins. A l’occasion de son raisonnement concernant des soins buccaux et dentaires en Belgique, la Cour a rappelé que l’article 2 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 dite « commerce électronique » couvre toute forme de communication destinée à promouvoir directement ou indirectement des services d’une personne exerçant une profession réglementée. De telles communications sont, en principe, autorisées sous réserve de respecter certaines règles, l’article 8 de la directive posant le principe selon lequel les Etats membres doivent s’assurer que les membres d’une profession réglementée peuvent faire de la publicité sur internet dès lors qu’ils respectent les règles de la profession, lesquelles protègent notamment l’indépendance, la dignité et l’honneur de la profession, ainsi que le secret professionnel et la loyauté tant vis-à-vis des clients que des confrères. Par cet arrêt, la Cour a conféré à la directive sur le commerce électronique une portée étendue, susceptible de fragiliser la réglementation française, écrit le Conseil d’Etat.

   Le Rapport présente ensuite la demande légitime et croissante du public d’informations générales sur la santé, dans un climat de défiance alimenté par les crises sanitaires et considère que les sites d’information en ligne répondent de plus en plus à cette demande. Le patient à la recherche d’un professionnel de santé peut légitimement souhaiter disposer, en amont de sa décision, d’un certain nombre de renseignements au premier rang desquels figurent les pratiques professionnelles – afin notamment de ne pas être renvoyé, lors de la consultation, vers un autre praticien – et le coût des soins restant à sa charge. La liste des données que les professionnels sont aujourd’hui autorisés à communiquer au public semble trop restrictive et source d’inégalités entre patients.
   En face de cette restriction, le référencement électronique des professionnels, par des sites de notation apparaissent sur les moteurs de recherche et une « e-réputation » ou « réputation en ligne » est susceptible de se propager sans même que le professionnel concerné ait prise sur le processus. En définitive, l’essor rapide du numérique tend à créer un environnement juridique incertain pour le praticien qui s’interroge sur ce qu’il peut ou ne peut pas publier en ligne et s’il doit ou non réagir à ce qui est écrit sur lui.
   Le Rapport souligne ensuite que les professionnels de santé sont également confrontés à la concurrence d’établissements de santé (cliniques etc.) et de professionnels non soumis à l’interdiction de la publicité (ostéopathe, etc.). Les établissements de santé bénéficient d’une forme de publicité, par exemple par le biais des classements effectués par des hebdomadaires destinés au grand public ou de publications ou annonces émanant de collectivités territoriales soucieuses de leur attractivité en matière d’offre de soins.
   Les professionnels exerçant dans les zones frontalières subissent également la concurrence de collègues installés dans les pays voisins dont la réglementation de la publicité est moins stricte.
   Le Rapport conclut par plusieurs propositions, notamment ci-après :

 

Proposition n° 1 :
« Prévoir la faculté pour les professionnels de santé, dans le respect des règles déontologiques, de communiquer au public des informations sur leurs compétences et pratiques professionnelles, leur parcours professionnel, des informations pratiques sur leurs conditions matérielles d’exercice ainsi que des informations objectives à finalité scientifique, préventive ou pédagogique et scientifiquement étayées sur leurs disciplines et les enjeux de santé publique. »

Proposition n° 2 :
« Rendre obligatoire, dès la prise de rendez-vous, la diffusion, sur tout support, des informations économiques précises dont l’article R. 1111-21 du CSP impose déjà l’affichage dans les salles d’attente ou lieux d’exercice. »

Proposition n° 3 :
« Favoriser le développement de la communication des pharmaciens auprès du public, afin de l’assister dans le parcours de soins, sur la gamme des prestations qu’ils peuvent délivrer et leur qualité, leur certification quant à la dispensation des médicaments, la validation de leur formation professionnelle continue ainsi que leur appartenance éventuelle à des groupements d’officines ou à d’autres réseaux professionnels. Ces informations à caractère objectif et informatif pourraient être diffusées par tout support, et en particulier sur les sites internet des officines. »

Proposition n° 4 :
« Imposer aux professionnels libéraux venus d’autres Etats membres, auxquels un accès partiel à l’exercice de certaines activités a été accordé au titre de l’article L. 4002-5 du CSP, d’informer préalablement le public, par tout support, de la liste des actes qu’ils ont été habilités à effectuer. »

Proposition n° 5 :
« Supprimer l’interdiction de la publicité directe ou indirecte dans le CSP et poser un principe de libre communication des informations par les praticiens au public, sous réserve du respect des règles gouvernant leur exercice professionnel. »

Proposition n° 6 :
« Imposer, par des dispositions expresses, que la communication du professionnel de santé soit loyale, honnête et ne fasse état que de données confirmées, que ses messages, diffusés avec tact et mesure, ne puissent être trompeurs, ni utiliser des procédés comparatifs, ni faire état de témoignages de tiers. »

Proposition n° 7 :
« Inviter les ordres à encourager les professionnels de santé à davantage communiquer au public, conformément à leurs recommandations, de manière à éviter toute « auto-proclamation » non vérifiée de spécialités, pratiques ou parcours professionnels. »

Proposition n° 8 :
« Prévoir que les nouvelles informations diffusées par les professionnels de santé le soient par tout support adéquat n’étant pas de nature à rendre cette diffusion commerciale. Les codes de déontologie pourraient confier aux ordres le soin de préciser, par des recommandations, les conditions dans lesquelles ces modes de publication seraient déontologiquement admis. »

Proposition n° 9 :
« Inciter les professionnels de santé, dans le cadre de leur formation initiale et continue, à davantage utiliser les outils numériques pour communiquer sur leurs expériences et pratiques professionnelles et intervenir efficacement sur tout support afin de répondre aux fausses informations ou approximations susceptibles d’affecter la protection de la santé publique. »

Proposition n° 10 :
« Moderniser et harmoniser les rédactions des dispositions des codes de déontologie relatives au contenu et aux procédés de diffusion des informations. »

Proposition n° 11 :
« Les pouvoirs publics pourraient inclure, en accord avec les professionnels de santé, sur leurs sites numériques, le cas échéant par des liens hypertextes, les informations que ces professionnels communiqueraient au public volontairement ou obligatoirement. Les professionnels de santé seraient autorisés à diffuser au public les informations les concernant rendues publiques par les sites numériques des administrations. Les sites d’information mis en ligne par les pouvoirs publics gagneraient à être davantage coordonnés afin d’en accroître le référencement numérique et d’en améliorer l’accessibilité. »

Proposition n° 12 :
« Veiller, au besoin en insérant des clauses en ce sens dans les conventions conclues avec l’assurance maladie, à ce que les établissements de santé ne placent pas les professionnels de santé qui y travaillent en contradiction avec leurs obligations déontologiques en matière de communication au public et puissent, le cas échéant, faire l’objet de rappels à la loi à cet effet. »

Proposition n° 13 :
« Suggérer aux ordres de proposer que soit ajoutée à leur code de déontologie une formule inspirée de l’article R. 4321-124 du CSP relatif aux masseurs-kinésithérapeutes, qui distinguerait les activités relevant du monopole, pour lesquelles la libre communication serait encadrée, de celles qui n’en relèvent pas, pour lesquelles la publicité serait autorisée sous certaines conditions. »

Proposition n° 14 :
« Mettre en place des outils d’évaluation des effets de la publicité ou de la communication commerciale sur les dépenses de santé ainsi que des effets induits, à terme, sur l’offre de soins en France par la concurrence entre prestataires au sein de l’Union européenne et dans le reste du monde. »

Proposition n° 15 :
« Proposer aux Etats membres de l’Union européenne une concertation en vue d’une meilleure coordination des législations nationales fixant les règles applicables aux professionnels de santé en matière de communication, à partir d’un livre vert de la Commission. »

   Puissent, dans l’attente de la réforme des codes de déontologie français des médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, masseurs-kinésithérapeutes, infirmiers et autres professionnels de santé, les instances disciplinaires saisies de plaintes pour publicité à l’encontre de ces professionnels qui, ce faisant, n’ont pas démérité au regard de leurs autres règles déontologiques, tenir compte de ces propositions en cessant de prononcer des condamnations parfois excessives, notamment en cas de récidive.

 
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