Procédure disciplinaire contre un expert judiciaire (procédure) (arrêt du 9 juin 2020, CAA de Paris, n° 19PA02945)

Une femme, estimant avoir été victime d’un retard de diagnostic de cancer du sein, à l’origine d’une mastectomie, a lancé plusieurs actions contre les établissements de santé et médecins intervenus, c’est un autre dossier.

Celui ayant donné lieu à cet arrêt intéressant concerne l’action qu’elle a introduite contre l’expert judiciaire nommé en référé, qui a procédé à sa mission et rendu un rapport qui ne convenait pas parfaitement à la patiente, laquelle a déposé une plainte à son encontre devant le Conseil de l’Ordre des médecins en lui reprochant de ne pas avoir renoncé à cette expertise alors que l’expert « entretenait des liens avec certains des médecins et établissements de santé mis en cause et a même exercé dans une des cliniques concernées ».
 

1. La patiente est irrecevable en sa plainte contre l’expert judiciaire, chargé d’une mission de service public :

Aux termes de l’article L. 4123-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée :

" Il est constitué auprès de chaque conseil départemental une commission de conciliation composée d’au moins trois de ses membres. La conciliation peut être réalisée par un ou plusieurs des membres de cette commission, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat.

Lorsqu’une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l’auteur, en informe le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme mis en cause et les convoque dans un délai d’un mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte en vue d’une conciliation.

En cas d’échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l’avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte, en s’y associant le cas échéant.

Lorsque le litige met en cause un de ses membres, le conseil départemental peut demander à un autre conseil de procéder à la conciliation.

En cas de carence du conseil départemental, l’auteur de la plainte peut demander au président du conseil national de saisir la chambre disciplinaire de première instance compétente. Le président du conseil national transmet la plainte dans le délai d’un mois.".

Par dérogation à ces dispositions, l’article L. 4124-2 du code la santé publique prévoit, s’agissant des « médecins (…) chargés d’un service public et inscrits au tableau de l’ordre », qu’ils « ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l’occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l’Etat dans le département, le directeur général de l’agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit (…) ».

Les personnes et autorités publiques mentionnées à cet article ont seules le pouvoir de traduire un médecin chargé d’un service public devant la juridiction disciplinaire en raison d’actes commis dans l’exercice de cette fonction publique. En particulier, le Conseil national de l’Ordre des médecins, autant qu’un Conseil départemental de l’Ordre des médecins, exerce en la matière une compétence propre.

En conséquence, la Cour administrative d’appel juge :

« 5. Il résulte de ce qui précède que Mme B… ne peut utilement invoquer les dispositions de l’article L. 4123-2 du code de la santé publique pour soutenir que le Conseil national de l’ordre des médecins était tenu de transmettre sa plainte contre le Dr F… à la chambre disciplinaire de première instance, dès lors que les faits qu’elle reproche à cette dernière ont été accomplis en sa qualité d’expert judiciaire, ainsi chargée d’une mission de service public au sens des dispositions précitées de l’article L. 4124-2 du code de la santé publique. Par suite, il appartenait au Conseil national de l’ordre des médecins, sur le fondement de ce seul dernier article, d’apprécier s’il y avait lieu ou non de traduire le Dr F… devant la juridiction discipline. »

 

2. Pas de conflit d’intérêts entre l’expert judiciaire et les médecins intervenus :

La patiente soutenait ensuite qu’en acceptant la mission d’expertise qui lui a été confiée par le Tribunal de grande instance de Versailles, l’Expert a violé les dispositions de l’article R. 4127-105 du code de la santé publique aux termes desquelles :

« Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services. »,

alors que l’Expert aurait exercé au sein de la Clinique Hartmann, établissement privé choisi par Mme B… pour le traitement de son cancer. La requérante reproche en outre à l’Expert d’avoir délibérément omis certains faits afin de dissimuler ses liens avec des établissements et praticiens intervenus dans le cadre de sa prise en charge, et d’avoir occulté dans son rapport des fautes commises lors du diagnostic de sa tumeur.

L’arrêt retient :

« Toutefois, si [l’Expert] a ponctuellement utilisé le plateau technique de la clinique Hartmann, ou rencontré certains de ses confrères lors de divers colloques, il ne ressort pas des pièces du dossier que les liens entre l’expert et les établissements médicaux et médecins mis en cause par la requérante auraient été de nature, par leur intensité ou leur régularité, à faire naître un conflit d’intérêts incompatible avec la mission d’expertise qui lui a été confiée. Par ailleurs, les éléments et conclusions de fond contenus dans le rapport du Dr F…, qui ont pu être discutés à l’occasion de l’action indemnitaire engagée par Mme B…, ne sauraient révéler un manquement de l’expert à ses obligations déontologiques. Dans ces conditions, le Conseil national de l’ordre des médecins a donc pu légalement estimer, par la décision contestée du 15 décembre 2016, qu’il n’y avait pas lieu de transmettre la plainte de l’intéressée à la chambre disciplinaire de première instance. La circonstance que le tribunal de grande instance de Paris a ultérieurement considéré, par un jugement du 18 décembre 2017, d’ailleurs frappé d’appel et dépourvu en l’instance de l’autorité de la chose jugée, que le Dr F… avait commis des manquements de nature à engager sa responsabilité, est sans incidence sur cette appréciation.

« Il résulte de tout ce qui précède que Mme B… n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. »

Cet arrêt rappelle clairement qu’un patient ne peut attaquer directement un Expert nommé judiciairement devant la juridiction disciplinaire.

 
Les articles sont édités sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Les informations fournies sur www.gyneco-online.com sont destinées à améliorer, non à remplacer, la relation directe entre le patient (ou visiteur du site) et les professionnels de santé.