L’intérêt du dosage de l’Hormone Anti-Mullérienne (AMH) plasmatique est une certitude chez la femme infertile du fait de son excellente corrélation avec le capital folliculaire ovarien, de même que dans certaines situations d’endocrinologie pédiatrique. Par contre, est-il justifié chez l‘homme infertile pour évaluer la qualité de la spermatogénèse ?
La question mérite réflexion car le dosage de l’AMH nous informe, au même titre que celui de l’inhibine B, sur l’intégrité de la cellule de Sertoli, spécialement impliquée dans le contrôle de la spermatogénèse.
Pourtant, comme son nom l’indique, le rôle princeps de cette glycoprotéine de la famille des TGFb, est de participer à la mise en place de l’appareil génital fœtal. Chez l’embryon, la présence du chromosome Y et du gène SRY induit la différentiation de la gonade primitive en testicule dont l’activité hormonale débute progressivement dès la 6-7ème semaine de gestation : les cellules de Sertoli primitives sécrètent l’AMH qui induit la régression des canaux de Müller tandis que les cellules de Leydig stimulent la formation des conduits et organes génitaux masculins grâce à une sécrétion croissante de testostérone, dont le taux atteint un maximum au début du deuxième trimestre de gestation.
A la naissance, le taux d’AMH chez l’homme est relativement élevé (20 ng/ml). La période d’activation gonadotrope, intitulée « mini-puberté » observée chez le nourrisson de 1 à 6 mois explique l’augmentation de l’AMH dépendante de la FSH et de la Testostérone plasmatiques sous l’influence de la LH. Ainsi, l’AMH augmente progressivement jusqu’à l’âge de 1 an pour atteindre un taux très élevé (environ 100 ng/ml), puis diminue à partir de l’âge de 3 ans. Pendant l’enfance, l’axe gonadotrope est au repos mais la sécrétion basale de FSH suffit à stimuler les cellules de Sertoli et à induire une petite augmentation du volume testiculaire (qui passe de 0.5 à 1.5 cm3) et ainsi qu’un maintien du taux d’’AMH sécrétée uniquement au pôle basal des cellules de Sertoli.
Lorsque survient la puberté, la situation hormonale est totalement bouleversée. En effet, l’activation pulsatile de l’axe gonadotrope induit
- D’une part une maturation FSH dépendante des cellules de Sertoli, comme en témoigne également la montée de l’inhibine B. Cette maturation permet la mise en place de la lignée germinale dans les tubes séminifères.
- D’autre part une production intra-testiculaire LH dépendante de Testostérone qui, par le biais du récepteur des androgènes alors présent dans les cellules de Sertoli, exerce un effet freinateur majeur sur la production d’AMH qui s’effondre (figure 1).
Figure 1 : variations des dosages sériques de l’AMH de la naissance à l’âge adulte
Le taux sérique d’AMH est ainsi corrélé
- Positivement à l’activité Sertolienne dans la période néonatale et le début de l’enfance.
- Négativement à l’activité leydigienne pendant et après la puberté du fait du retro contrôle négatif exercé par les androgènes.
- Dans tous les cas, le dosage d’AMH sérique permet une évaluation directe ou indirecte de la fonction Sertolienne
L’utilisation d’un immuno-assay double site a permis d’évaluer le taux sérique d’AMH chez l’homme adulte fertile à 4.43 +/- 0.43 ng/ml (31.6 +/- 3.07 pmol/L - facteur de conversion : 7.14) soit seulement 3 à 5 % des taux de la petite enfance (1).
L’AMH est-elle mesurable dans le plasma séminal ? oui mais uniquement après la puberté car, consécutivement à la maturation sertolienne et au développement des tubes séminifères, l’AMH est sécrétée préférentiellement au pôle apical de la cellule de Sertoli vers la lumière des tubes. Ainsi, l’AMH est détectable dans le liquide séminal de l’homme fertile à des concentrations de l’ordre 10 ng/ml [1]. De ce fait, on a espéré que la mesure de l’AMH séminale pouvait avoir un intérêt théorique, voire même supérieur au dosage sérique de l’hormone, pour évaluer la relation entre AMH et spermatogénèse.
Néanmoins, on manque de données scientifiques pour attribuer à l’AMH un rôle direct dans le contrôle de la spermatogénèse ? Il est bien établi que l’AMH induit son signal par l’intermédiaire de deux types de récepteurs à un seul domaine transmembranaire présentant des activités de type sérine thréonine kinase. Le récepteur primaire, dit récepteur de type II, se lie à l’AMH et active le récepteur de type I, qui à son tour se lie et active une protéine effectrice cytoplasmique, dite protéine Smad [2].
Un effet direct de l’AMH sur la prolifération et la division des cellules germinales n’a pu être démontré, ce qui n’exclut pas un éventuel effet paracrine au sein même de la cellule de Sertoli où le récepteur de l’AMH a été identifié (3). En effet, la FSH qui stimule la spermatogénèse induit parallèlement une augmentation de la production d’AMH du moins en situation d’hypogonadisme hypo-gonadotrope (4). Signalons, par ailleurs, que la présence du récepteur de l‘AMH (AMH-R2) a été démontrée au niveau de la pièce intermédiaire de spermatozoïdes éjaculés suggérant un effet potentiel de cette hormone sur la mobilité progressive (5). Donc pas d’évidence claire sur un effet direct de l’AMH sur la spermatogénèse mais son dosage permet d’évaluer l’intégrité de la fonction Sertolienne.
En pratique clinique, quel serait l‘intérêt du dosage séminal et/ou sérique de l’AMH chez l’homme infertile ?
- Les données les plus anciennes concernent l’AMH séminale.
La 1ère étude, publiée en 1999 par une équipe française (Nice), permit de démontrer que le taux séminal était indétectable dans les azoospermies obstructives, confirmant ainsi l’origine testiculaire de l’AMH (6). Parallèlement, les données obtenues en cas d’azoospermie non obstructive (ANO) ont montré que la présence d’AMH dans le plasma séminal était en général associée à une plus grande positivité de la biopsie testiculaire ce qui permit aux auteurs de conclure que le dosage séminal de l’AMH pouvait être un marqueur non invasif d’une spermatogénèse encore active. Néanmoins, une telle prévisibilité n’a pas été confirmée par les études ultérieures évaluant les chances de prélèvement positif chez les ANO (7,8). Pourtant, le taux séminal d’AMH est bien corrélé au volume testiculaire et une diminution de ce taux a été rapportée chez les hommes présentant une oligo-asthéno-térato-zoospermie (OATS) avec une bonne corrélation entre l’AMH séminale et la mobilité progressive des spermatozoïdes (9). Néanmoins, à ce jour, ces données sont encore insuffisantes pour justifier un dosage de l’AMH séminal en dehors d’études cliniques.
- Qu’en est-il de l’intérêt du dosage sérique de l’AMH ?
Probablement assez modeste du moins lorsqu’il s’agit d’une simple altération du spermogramme. Une étude récente réalisée au Danemark chez 400 hommes (10) a confirmé que l’AMH sérique diminue avec l’âge et le volume testiculaire mais a également montré que l’impact d’une varicocèle ou d’une cryptorchidie sur les taux sériques n’est pas évident. Selon cette étude, si un taux diminué d’AMH sérique est en général associé à une qualité dégradée du sperme avec notamment une mobilité progressive réduite, il n'est qu’un simple témoin d’une altération de la cellule de Sertoli sans pour autant en connaitre ni l’origine ni le pronostic en termes de fertilité.
A l’inverse, il existe un certain consensus actuel sur l’intérêt du dosage de l’AMH sérique dans les azoospermies non obstructives (ANO). On sait que celles-ci peuvent relever de causes génétiques (Klinefelter, délétions AZF du chromosome Y), cytotoxiques, d’une cryptorchidie ou être simplement idiopathiques. Dans tous les cas, le taux d’AMH sérique est diminué, en particulier dans les causes génétiques (11,12).
On sait, par ailleurs, que la seule thérapeutique efficace en cas d’ANO est le recour à une biopsie testiculaire avec extraction de spermatozoïdes (micro TESE) en vue de micro-injection ovocytaire ultérieure. Cependant, les chances d’obtention de spermatozoïdes ne sont pas supérieures à 50% ce qui signifie que, pour la moitié des couples, il n’y a pas d’autres alternatives que de répéter la biopsie (13) ou de recourir au don de spermatozoïdes qui n’est pas accepté dans toutes les sociétés. Par ailleurs, la réalisation d’une biopsie testiculaire n’est pas dénuée de risques médicaux (infection, hypogonadisme) sans compter sur la charge financière et psychologique.
De ce fait, la mise en évidence de facteurs prédictifs de biopsie positive a été un objectif important justifiant l’analyse de nombreuses facteurs cliniques (taille testiculaire…) et biologiques (dosages plasmatiques de FSH, testostérone, Inhibine B…). Pourtant, aucun consensus ne s’est vraiment dégagé au décours de nombreuses méta-analyses.
Plus récemment, un nouvel espoir a émergé avec la mesure de l’AMH sérique chez l’homme. Différents groupes ont cherché à identifier un seuil spécifique d’AMH, particulièrement pour les ANO idiopathiques dont le taux de biopsie positive est souvent plus faible que pour les autres étiologies. Dans ce contexte particulier, 6 études dont 3 réalisées en Italie (14-16) et 3 en chine (17-19), concluent de manière similaire sur le fait qu’une AMH sérique basse est un facteur pronostique de biopsie positive. Certes, le seuil retenu par chaque équipe n’est pas identique. Il varie de 4.62 à 2.6 ng/ml et mérite donc d’être affiné par des analyses complémentaires. Comment interpréter ces données ? Compte tenu des connaissances physiologiques, on peut penser qu’une AMH basse indique que la cellule de Sertoli est sensible à l‘effet freinateur de la Testostérone. Pour certains, un rapport AMH/Testostérone diminué aurait également une bonne valeur pronostique de biopsie positive et serait un marqueur attestant d’un dialogue préservé entre les compartiments endocrine et exocrine du testicule. Ainsi, la persistance d’un contrôle hormonal effectif de la cellule de Sertoli attesterait de sa capacité à réguler la spermatogénèse qui serait de ce fait moins altérée.
Conclusion : L’Hormone Anti-Mullérienne est sécrétée par la gonade masculine et son action princeps est la régression des canaux de Muller pendant la vie foetale. Cependant, son intérêt dans le domaine de la fertilité largement développé chez la femme, le devient chez l’homme. En effet, la cellule de Sertoli qui contrôle au sein des tubes séminifères la spermatogénèse, a l’exclusivité de sa production. Pourtant, La mesure de l’AMH séminale et sérique ne peut être recommandée à titre systématique dans le bilan masculin de l’homme infertile car les données publiées sont encore insuffisantes pour établir un pronostic de conception ou pour orienter la stratégie thérapeutique dans la majorité des cas, notamment des OATS. A l’inverse, lorsqu’il s’agit d’une azoospermie non obstructive, des données récentes permettent de penser que le dosage sérique d’AMH pourrait prédire la positivité de la biopsie testiculaire. Ces données méritent d’être confirmées par des études prospectives avec des effectifs significatifs.
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