(arrêt du 17 février 2023, Cour d’appel de Paris)
Un implant contraceptif posé par voie sous-cutanée au niveau du bras migre et est retrouvé dans le lobe inférieur du poumon gauche. La patiente assigne en référé le gynécologue et son assureur, la Clinique, l’ONIAM et la CPAM après avoir subi une lobectomie inférieure gauche, pour obtenir une expertise judiciaire. Le médecin et son assureur interjettent appel de l’ordonnance ayant ordonné l’expertise au motif que la décision enjoint aux parties défenderesses de remettre aux experts avant la première réunion : « les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l’exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à [la patiente], partie demanderesse, sauf à établir leur origine et l’accord du demandeur sur leur divulgation ; dit que toutefois, il pourra se faire communiquer directement, avec l’accord de la partie demanderesse, par tous tiers (médecins, personnels paramédicaux, établissements hospitaliers et de soins) toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraitrait nécessaire ».
Le gynécologue et son assureur réclament la possibilité de produire les pièces, « y compris médicales, nécessaires à sa défense dans le cadre des opérations d’expertise à intervenir, sans que les règles du secret médical ne puissent lui être opposées. »
La 8ème chambre, pôle 1, de la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt prononcé le 17 février 2023 (n° 22/10322), fait droit à la position du gynécologue avec une motivation intéressante :
« Il est reproché à l’ordonnance entreprise d’avoir, pour déterminer les modalités de communication à l’expert des pièces utiles à la réalisation des opérations d’expertise, conditionné la production des documents médicaux par la partie défenderesse à l’accord préalable de la partie demanderesse à la mesure d’instruction, Mme X et ce, au mépris des droits de la défense garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par les engagements internationaux de la France dont la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La cour relève que dans leurs conclusions les appelants n’ont plus critiqué les dispositions de l’ordonnance relatives à la communication à l’expert des pièces médicales détenues par les tiers et que l’appel incident de l’ONIAM ne porte pas sur ces dispositions.
En application de l’article 954, alinéa 2, du code de procédure civile, la cour ne statuera que sur les seules prétentions des parties énoncées au dispositif de leurs conclusions.
L’article L.1110-4 du code de la santé publique dispose, notamment, que 'toute personne prise en charge par un professionnel de santé (…) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne, venues à la connaissance du professionnel (…). Il s’impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. (…) La personne est dûment informée de son droit d’exercer une opposition à l’échange et au partage d’informations la concernant. Elle peut exercer ce droit à tout moment. Le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la communication de ces informations en violation du présent article est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende […]. »
L’article R.4127-4 du même code prévoit que « le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est à dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».
Le caractère absolu de ce secret destiné à protéger les intérêts du patient, qui souffre certaines dérogations limitativement prévues par la loi, peut entrer en conflit avec le principe fondamental à valeur constitutionnelle des droits de la défense, étant rappelé que constitue une atteinte au principe d’égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le fait d’interdire à une partie de faire la preuve d’éléments de fait essentiels pour l’exercice de ses droits et le succès de ses prétentions.
Au cas présent, en soumettant la production de pièces médicales par la partie défenderesse, dont la responsabilité est susceptible d’être ultérieurement recherchée, à l’accord préalable de l’autre partie au litige, alors que ces pièces peuvent s’avérer utiles voire même essentielles à la réalisation de la mesure d’instruction et, par suite, à la manifestation de la vérité, l’ordonnance entreprise a porté
atteinte aux droits de la défense du médecin gynécologue.
Cette atteinte est excessive et disproportionnée, au regard des intérêts protégés par le secret médical, en ce que l’une des parties au litige se trouve empêchée, par l’autre, de produire spontanément les pièces qu’elle estime utiles au bon déroulement des opérations d’expertise et nécessaires à sa défense. Elle l’est d’autant plus en l’espèce que [la patiente] ne s’est nullement opposée à la production de l’ensemble des pièces médicales relatives aux faits litigieux.
Il convient donc d’infirmer l’ordonnance entreprise de ce chef.
[…]
PAR CES MOTIFS
Infirme l’ordonnance entreprise en ses dispositions ayant limité la production des pièces par la partie défenderesse ;
Statuant à nouveau,
Dit qu’il est enjoint à [au médecin gynécologue] de produire à l’expert aussitôt que possible toutes pièces y compris les pièces médicales en lien avec les faits litigieux, indispensables au bon déroulement des opérations d’expertise sans que puisse lui être opposé le secret médical ; […] »
Le demandeur à un procès en responsabilité médicale (patient) ne saurait gouverner unilatéralement les pièces dont le défendeur (médecin) peut se prévaloir dans le cadre de sa défense !