Prévention de l’hémorragie de la délivrance par prise en charge active de la troisième phase du travail : la traction sur le cordon est-elle justifiée ?

Lecture critique de l’article : Deneux-Tharaux et al. Effect of routine controlled cord traction as part of the active management of the third stage of labour on postpartum haemorrhage: multicentre randomised controlled trial (TRACOR). BMJ 2013;346:f1541 doi: 10.1136/bmj.f1541.

Cette très belle étude prospective randomisée et multicentrique française qui vient d’être publiée dans le British Medical Journal (BMJ) a évalué l’impact de la traction du cordon lors d’une prise en charge active de la troisième phase du travail pour la prévention de l’hémorragie de la délivrance (1). Cette étude a été réalisée dans les maternités de cinq hôpitaux universitaires (CHU) : Port Royal et Saint Vincent de Paul à Paris et les maternités des CHU de Caen, Angers et Lille. Ont été incluses des femmes âgées de plus de 18 ans avec une grossesse monofoetale en travail à plus de 35 SA pour lesquelles un accouchement par voie basse était programmé. Les patientes ayant un trouble sévère de l’hémostase, un placenta praevia, une mort fœtale in utero, une grossesse multiple ou ne parlant pas français n’étaient pas incluses. Après inclusion, elles étaient randomisées en deux groupes. Un groupe bénéficiait d’une traction contrôlée du cordon réalisé immédiatement après la naissance lors de la survenue d’une contraction utérine : tandis que l’opérateur tirait sur le cordon d’une main, de l’autre il maintenait l’utérus en place en le tenant par le segment inférieur. Dans le groupe témoin, l’opérateur attendait que le placenta se soit séparé de l’utérus pour ensuite provoquer l’expulsion du placenta par efforts expulsifs maternels sans traction sur le cordon. Dans les deux groupes, les patientes ont bénéficié d’une prise en charge active de la troisième phase du travail selon les recommandations en vigueur avec injection systématique de 5UI d’ocytocine et clampage-section du cordon dans les deux minutes suivant la naissance. Un sac collecteur gradué était systématiquement mis en place après la naissance pour permettre la quantification précise des pertes sanguines maternelles. Enfin, toutes les patientes ont eu une numération formule sanguine à J2 et ont rempli un questionnaire de satisfaction. Le critère de jugement principal était la survenue d’une hémorragie de la délivrance définie par des pertes sanguines maternelles supérieurs à 500 mL. Le nombre de sujet inclus a été calculé pour permettre la mise en évidence d’une réduction d’au moins 30 % de l’incidence de l’hémorragie de la délivrance après traction du cordon, soit un nombre de sujet estimé à 3980 participantes. Au total, 4355 patientes ont été incluses entre Janvier 2010 et Janvier 2011. Après exclusion de 294 (6,8 %) patientes ayant finalement accouché par césarienne, 4058 patientes ont finalement été incluses et randomisées : 2034 ont bénéficié d’une traction contrôlée du cordon et 2024 dans le groupe contrôle.

Les résultats montrent que la réalisation d’une traction du cordon, réalisée dans un contexte de prise en charge active systématique de la troisième phase du travail, n’a pas d’effet significatif sur la réduction de l’incidence de l’hémorragie de la délivrance. Ainsi, une hémorragie de la délivrance (≥ 500 mL) est survenue dans 9,8 % des cas après traction du cordon et dans 10,3 % des cas du groupe contrôle (Risque Relatif (RR) : 0,95 ; Intervalle de Confiance (IC) à 95 % : 0,79-1,15). Les résultats étaient comparables lorsque l’on considérait les patientes ayant eu un saignement supérieur à 100 mL : 1,7 % vs. 1,8 % (RR : 0,92 ; IC à 95 % : 0,58-1,46). Aucune différence significative n’a non plus été observée pour le volume moyen de pertes sanguines à 15 minutes, le volume moyen des pertes sanguines totales, le recours à une transfusion sanguine, à une embolisation ou une chirurgie d’hémostase. Enfin, aucune variation significative du taux d’hémoglobine et de l’hématocrite n’a été observée entre les deux groupes. Par contre, la réalisation d’une traction du cordon permettait de réduire significativement la durée de la troisième phase du travail et la probabilité de délivrance artificielle. Enfin, probablement du fait de cette réduction de la durée de la troisième phase du travail et d’un recours moins fréquent à la délivrance artificielle, les patientes ayant bénéficié d’une traction du cordon rapportaient avoir expérimenté significativement moins d’inconfort, de douleurs, d’anxiété et de fatigue que les patientes du groupe témoin.

Cette étude apport de solides éléments de réponses quant aux mesures à recommander en pratique courante pour la prévention de l’hémorragie de la délivrance. Dans cet objectif, l’OMS, recommande une prise en charge active de la troisième phase du travail avec administrations d’ocytociques, clampage et section précoce du cordon et traction sur celui-ci (2). Cependant, très peu de données permettaient à ce jour une analyse indépendant de l’effet de la traction du cordon et seul l’effet bénéfique de la prescription d’ocytociques a été démontré avec un haut niveau de preuve (3). Cette étude est d’autant plus importante qu’elle apporte des éléments indispensable à l’élaboration de recommandations dans les pays développés avec une population qui, une fois n’est pas coutume, est celle que nous prenons en charge tous les jours dans nos maternités. En France, la pratique de la traction du cordon n’est pas recommandée, en partie du fait du risque théorique d’inversion utérine mais aussi du risque de rupture du cordon. Il est intéressant de noter qu’aucun cas d’inversion utérine n’a été observé dans cette étude et ce dans les deux groupes étudiés. Par contre, une rupture du cordon était observée dans un cas sur 22 en cas de traction du cordon, mais l’expulsion du placenta se faisait alors spontanément dans 52 % des cas et au final, le taux de délivrance artificielle était plus élevé dans le groupe témoin. Ces résultats montrent, en tous les cas, que la rupture du cordon ne doit pas être considérée comme un événement grave et ne justifie pas la réalisation d’une délivrance artificielle systématique.

Au final, s’il est justifié et recommandé de diriger la troisième phase du travail avec notamment l’utilisation systématique d’une injection d’ocytocine, il n’existe à ce jour aucune raison de recommander la réalisation d’une traction du cordon pour la prévention de l’hémorragie de la délivrance dans notre pratique quotidienne.

 

Pour en savoir plus :

1. Deneux-Tharaux et al. Effect of routine controlled cord traction as part of the active management of the third stage of labour on postpartum haemorrhage: multicentre randomised controlled trial (TRACOR). BMJ 2013;346:f1541 doi: 10.1136/bmj.f1541.

2. World Health Organization. Recommandations for the prevention of postpartum haemorrhage. WHO. 2007. http://apps.who.int/rhl/effective_practice_and_organizing_care/guideline_pphprevention_fawoleb/en/index.html.

3. Begley CM, Gyte GM, Devane D, McGuire W, Weeks A. Active versus expectant management for women in the third stage of labour. Cochrane Database Syst Rev 2011;(11) :CD007412.

 
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