Escalade, désescalade : rien n’est possible sans décisions concertées et partagées

L’évolution de la cancérologie mammaire au cours des deux dernières décennies s’est accompagnée d’un double mouvement, en apparence paradoxal, mais profondément convergent : celui de l’escalade thérapeutique, destinée à maximiser les bénéfices pour des sous-groupes de patientes à haut risque, et celui de la désescalade, visant à réduire la toxicité inutile pour les cancers biologiquement favorables ou bien contrôlés. Loin d’être antinomiques, ces deux approches constituent les deux pôles d’une même ambition : offrir un traitement plus personnalisé, plus rationnel et plus humain.

En situation non métastatique : répondre à l’hétérogénéité tumorale et aux pronostiques différents

Dans les formes non métastatiques, l’escalade thérapeutique est née d’un constat simple : tous les cancers du sein n’ont pas le même pronostic. L’identification précise des sous-types moléculaires – notamment les tumeurs HER2-positives et les cancers triple négatifs – a permis l’émergence de traitements ciblés capables de modifier significativement le pronostic.

L’exemple emblématique est l’ajout de thérapies anti-HER2 en situation adjuvante et néoadjuvante, dont les combinaisons (trastuzumab, pertuzumab, inhibiteurs de tyrosine kinase) ont permis d’augmenter considérablement les taux de réponse complète pathologique. De même, dans les cancers triple négatifs à risque élevé, l’intégration de l’immunothérapie et de certains agents de chimiothérapie intensifiés a redéfini les standards.

Ces stratégies d’escalade illustrent une dynamique : l’intensification doit être proposée lorsque le pronostic spontané est sombre, qu’un biomarqueur valide prédit le bénéfice et que la balance bénéfices-risques penche clairement en faveur de l’intervention. Ce paradigme a conduit à un affinement constant de la stratification du risque et à une adaptation de plus en plus fine du volume thérapeutique.

En parallèle, une autre révolution s’est imposée : celle de la désescalade. La prise en charge du cancer du sein a été marquée par un excès de prudence jusqu’au début du siècle, visant à réduire la mortalité, conduisant parfois à des traitements lourds dans des situations à faible risque. L’arrivée de signatures génomiques, l’amélioration de l’imagerie, l’optimisation de la radiothérapie et la validation d’études randomisées robustes ont profondément modifié cette approche.

Ainsi, certains cancers dit « luminal » à faible risque peuvent aujourd’hui éviter la chimiothérapie adjuvante au profit d’un traitement antihormonal seul, sans compromettre la survie. De même, la réduction de l’étendue chirurgicale – tant au niveau du sein que de l’aisselle – s’est imposée dans les situations où l’impact pronostique est marginal mais les séquelles fonctionnelles importantes. L’allégement des schémas de radiothérapie, notamment avec l’hypofractionnement ou l’omission chez des patientes très sélectionnées, s’inscrit également dans cette logique.

La désescalade n’est pas synonyme de moindre ambition thérapeutique ; elle traduit au contraire une sophistication accrue de la stratégie. Moins traiter lorsque c’est possible, mieux traiter lorsque c’est nécessaire : telle est la nouvelle équation de l’oncologie moderne.

 

En situation métastatique : entre chronicisation et volonté de préserver la qualité de vie

Le cancer du sein métastatique constitue un champ où l’équilibre entre escalade et désescalade se pose avec une acuité particulière. L’objectif principal y est le contrôle prolongé de la maladie, en évitant autant que possible l’épuisement thérapeutique et la dégradation de la qualité de vie.

Dans les sous-types agressifs (HER2+ ou triple négatif), l’escalade thérapeutique demeure pertinente, notamment par l’intégration de nouvelles générations de thérapies ciblées et d’immunothérapies ayant démontré un bénéfice en survie globale. Ces avancées ont contribué à transformer certaines formes historiquement défavorables en maladies potentiellement chroniques, voir curables.

À l’inverse, pour les cancers hormono-sensibles métastatiques, la désescalade relative – consistant à privilégier les thérapies antihormonales et ciblées avant toute chimiothérapie – s’inscrit dans une démarche de contrôle optimal avec moindre toxicité. Toutefois, certaines nouvelles thérapies dites ciblées ne sont pas toujours moins toxiques, ni dangereuses que certaines chimiothérapies. La gestion séquentielle, l’interruption raisonnée de traitements en cas de bonne réponse, ou l’adaptation des doses en fonction des comorbidités participent de cette stratégie centrée sur la qualité de vie.

 

Vers une médecine réellement personnalisée : l’importance de la décision partagée

L’enjeu majeur, au-delà des innovations thérapeutiques, réside dans l’intégration de ces deux logiques dans une pratique quotidienne. Cela suppose :

  • une évaluation précise du risque biologique et clinique,
  • une interprétation prudente et contextualisée des marqueurs théranostiques,
  • un échange d’expertise entre les différents acteurs de la RCP (Réunion de Concertation Pluridisciplinaire)
  • une communication claire et loyale avec les patientes concernant bénéfices, risques, alternatives et incertitudes.

L’avenir de la prise en charge du cancer du sein repose sur une articulation entre intensification et allégement thérapeutique, guidée par la biologie tumorale, l’évaluation du risque, les préférences des patientes et la qualité des preuves disponibles. Ce double mouvement, loin d’être contradictoire, témoigne de la maturité croissante de la discipline : une médecine à la fois exigeante et mesurée, visant le meilleur pronostic possible tout en préservant le vécu des patientes. La place de la RCP n’a jamais été aussi importante du fait de la complexité d’évaluation des risques liés à la maladie, mais également des bénéfices et des toxicités secondaires aux traitements. Elle est le fondement de la décision médicale partagée qui devient ainsi un pilier central de l’adéquation thérapeutique. Ni l’escalade ni la désescalade ne doivent être perçues comme des dogmes ; ce sont des outils au service de la pertinence et de l’individualisation des soins. C’est dans cette capacité à doser précisément la réponse thérapeutique que s’écrit aujourd’hui la cancérologie de précision.

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