Cancer du sein : quelles berges chirurgicales peut-on accepter ?

La prise en charge chirurgicale par un traitement conservateur d’une tumeur cancéreuse du sein pose le problème de l’attitude clinique face à la distance de sécurité entre la tumeur et les berges de l’exérèse : quels sont les risques de récidive locale ou de métastase, voire quelle est l’altération de la survie globale lorsque les berges sont atteintes, ou sont à 1 ou 2 mm, ou plus de 2 mm des limites de la tumorectomie. Une très importante méta-analyse vient d’être publiée dans le BMJ qui a étudié 68 publications portant sur plus de 112 000 patientes avec une surveillance minimale de 60 mois (en moyenne 89 mois) avec un âge moyen des patientes de 56.1 ans.

Les résultats montrent un taux global de berges atteintes (la tumeur touche la limite d’exérèse) de 9.4 % [95 % confidence interval 6.8 % à 12.8 %], tumeurs à 1mm des berges dans 14.7% [CI 6.7 % à 29.2 %], tumeurs à 2mm dans 17.8 % (CI 13.0 % à 23.9 %) et à 5mm dans 24.4% (CI 15.9 % à 35.5 %).

Les patientes présentant des berges atteintes (par des lésions in situ ou invasives) ont certes un risque de récidive locale de 15.9% (CI 10.5 % à 23.2 %) et mais surtout de récidive métastatique de 25.4% (CI 95% 14.5% à 40.6%), celles à moins de 2mm ont un risque de récidive locale de 8.8 % (CI 6.3 % à 12.4 %) et de récidive métastatique de 8.4% (CI 4.4 % à 15.5 %), en revanche celles présentant des berges négatives (à plus de 2mm) ont un risque de récidive locale de 3.9 % (CI 3.0 à 4.9 %) et de métastase de 7.4 % ( CI 3.9 à 13.6%), de récidive métastatique de 1.53 (CI 1.17 à 1.99 p< 0.001) entre plus de 1mm et moins de 1mm

Si l’on compare les berges négatives et celles atteintes par la tumeur quelque en soit la nature le risque relatif de récidive métastatique est augmenté de 2.1 (HR 2.1 CI 1.65à 2.69 p<0.001) et de récidive locale de 1.98 (HR 1.98, 1.66 à 2.36, p<0,001), en cas de lésion à moins de 2mm le risque de récidive métastatique est augmenté de 1.38 (HR 1.38 CI 1.13à 1.69 p<0.001) et le risque de récidive locale est augmenté de 2.09 (CI 1.39 to 3.13, p<0.001)

Quant au risque de surmortalité il est de 1.61 (CI 1.19 à 2.17 p<0.001) en cas de berges atteintes et, de 1.32 (CI 1.01 to 1.73 P=0.05 donc à la limite de la significativité) en comparant les patientes avec tumeurs à plus ou moins de 2mm des berges.

Cette méta-analyse a fait l’objet d’une évaluation de qualité par l’outil GRADE qui lui confère une faible probabilité de biais statistiques et de qualité scientifique modérée (pour l’appréciation de la mortalité globale et du risque métastatique ce qui est plutôt assez rare) et faible en l’occurrence pour le risque de récidive locale.

Les auteurs concluent donc qu’il est préférable d’avoir une pièce opératoire dont l’analyse histologique permet de retrouver des lésions à plus de 1mm des berges, en montrant cependant que plus de 2 mm donne en fait des résultats supérieurs.

Malheureusement dans cette étude rien n’est précisé sur la nature des lésions histologiques In situ ou invasives sur les berges de la tumorectomie, ni sur le grade de lésion, ni sur l’immunohistochimie des tumeurs, ni sur la taille des lésions initiales ou l’âge des patientes, de même sur les reprises chirurgicales qui ont pu être réalisées sans qu’elles soient précisées dans les études initiales ou sur les boost de radiothérapie qui ne semblent pas selon les auteurs modifier en réalité le risque de récidive à distance  ou de mortalité.

Il semble donc important avant d’envisager un traitement conservateur d’avoir une bonne imagerie mammaire afin d’apprécier la taille, le siège lésionnel et d’adapter son geste chirurgical afin de tenter d’obtenir des marges saines et ne pas hésiter à reprendre le lit tumoral en l’absence de marges de sécurité.

Rappelons les recommandations INCa publiées en octobre 21 :

« -En cas de chirurgie conservatrice, la chirurgie doit être réalisée en berges latérales saines correspondant à l’absence d’encre au contact du carcinome infiltrant ou canalaire in situ éventuellement associé (grade C).

-En cas de carcinome in situ ou infiltrant au contact des berges encrées une reprise est recommandée si techniquement possible (grade C).

-En cas de carcinome canalaire in situ associé à moins de 2mm des berges latérales, une reprise chirurgicale n’est pas systématique. Elle peut être discutée en RCP en fonction des facteurs de risque de récidive locale importants (âge jeune, présence de nécrose étendue, in situ extensif) (Avis d’expert) ».

 

Références

Margin status and survival outcomes after breast cancer conservation surgery: prospectively registered systematic review and meta-analysis.
Bundred JR, Michael S, Stuart B, Cutress RI, Beckmann K, Holleczek B, Dahlstrom JE, Gath J, Dodwell D, Bundred NJ.BMJ. 2022 Sep 21;378:e070346. doi: 10.1136/bmj-2022-070346.