Profil immunitaire de l'endomètre : Étude de Cohorte prospective

 

Lédée N., Petitbarat M., Prat-ellenberg L., Dray G., Cassuto G-N., Chevrier L., Kazhalawi A., Vezmar K., Chaouat G.

Institutions :
1- MatriceLAB Innove, Pépinière Paris Santé Cochin, Hôpital Cochin, 29 rue du faubourg St Jacques, 75014 Paris, France
2- Centre d’assistance médicale à la procréation, Hôpital des Bluets, 4 rue Lasson, 75012, Paris
3- Laboratoire Drouot, rue Drouot Paris
4- Institut National de Santé et de Recherche Médicale, INSERM UMR-976, Saint-Louis Hospital, Research Center, 1 Avenue Claude Vellefaux, 75010, Paris, France
* auteur pour correspondance : Nathalie Lédée, Pepinière Paris Santé Cochin, 29 rue du fauboug St jacques 75014 Paris

Introduction
Évaluer l'efficacité du profil immunitaire de l'endomètre comme méthode de conception de soins personnalisés pour améliorer le taux de grossesse. Nous avons émis l'hypothèse que certains échecs reproductifs pourraient être induits par une dérégulation immunitaire utérine qui une fois identifiée serait corrigée par un plan ciblé.
Le profil immunitaire de l'endomètre est une exploration innovante basée sur l'analyse de la réaction immunitaire locale se produisant dans l'endomètre au moment de la fenêtre d'implantation. L'hypothèse principale est que certains échecs (malgré la production d'embryons de bonne qualité) pourraient être la conséquence de dérégulations immunitaires utérines, qui pourraient être anticipées et corrigées par des thérapies personnalisées. Le profil immunitaire utérin vise à contrecarrer ce taux élevé d'échecs d'implantation d'embryons grâce à une meilleure compréhension de l'environnement immunitaire utérin. Notre objectif final est de promouvoir localement les mécanismes conduisant à une tolérance immunologique adéquate qui s'avère essentielle pour une placentation efficace.
Le profil immunitaire est basé sur la quantification par RT-qPCR dans l’endomètre prélevé en phase luteale moyenne (période de réceptivité utérine) de facteurs connus pour être intimement impliqués dans la préparation immunologique de l'endomètre sécrétoire vers l'état réceptif (CD56, IL-18/TWEAK, IL-15/Fn-14).

Conception : Étude de cohorte prospective conduite entre 2012 et 2019

Cadre : Étude multicentrique.

Intervention(s) et mesure(s) des principaux résultats
1738 patientes infertiles ont eu un profil immunitaire lors d'une biopsie de l'endomètre entre 2012 et 2018. Ce test a permis de documenter l'absence ou la présence d'un dérèglement immunitaire de l'endomètre et d'en identifier le type. En cas de dérégulation, un plan personnalisé ciblé a été proposé au clinicien. Un an après le test, le clinicien a été contacté pour fournir le résultat du transfert d'embryons suivant le plan suggéré appliqué.
En fonction du contexte clinique les patientes ont été divisée en 4 groupes distincts
- 1 145 patientes avaient des antécédents d’ecehcs d’implantation, définis comme l’absence de grossesse évolutive malgré les transferts cumulés d'au moins 6 embryons sur au moins deux collections d'ovocytes pour les patientes de moins de 43 ans.
- 210 patientes étaient de jeunes patientes infertiles (moins de 38 ans) avec une réserve ovarienne normale (AMH>1,5 ng/ml) évaluées avant leur premier cycle de FIV ou après un échec de FIV (bon pronostic).
- 91 patientes commençaient leur traitement de FIV avec don d’ovocytes (à l'étranger) et ont été évaluées soit avant leur premier transfert d'embryon, soit après un seul transfert d'embryon (DO).
- 128 patientes avaient des antécédents d’echec d’implantation en don d'ovocytes (plus de 4 embryons transférés sur deux ET) sans grossesse (RIF-OD).
- 164 patientes ont eu au moins trois fausses-couches spontanées répétées (FCS) consécutives.

 

Contexte Clinique

RIF

FIV/ICSI
Bon pronostic

FCSR

DO

RIF-DO

Nbre de patientes

1145

210

164

91

128

 Age moyen (A)
[min-max]

35.7
[22.3-42.8]

33.2
[24.9-38.8]

35.7
[24.8-42.7]

39.45
[25.6-47]

39.9
[27-50]

Rang de ponctions

3.6 [2-9]

0.86 [0-1]

0.23 [0-2]

-

-

Nbre cumulé d’embryons transférés
[min- max]

9
[6-35]

3.1
[0-6]

0.55
[0-3]

0.56
[0-3]

7.2
[4-25]

Nbre de FCS

0.55 [0-5]

0.21 [0-2]

3.87 [3-9]

0.61 [0-4]

0.69[0-4]

Tableau I. données cliniques des patientes incluses dans le suivi

Diagnostic du profil immunitaire de l'endomètre
Le profil immunitaire local a été défini en fonction de l'équilibre local de l'expression de l'ARNm des deux ratios IL-18/TWEAK, IL-15/Fn-14, et de l'immunomarquage ou expression de l'ARNm CD56 [16, 17].
Quatre types de profil immunitaire endométrial ont été diagnostiqués :

  1. Une activation immunitaire équilibrée de l'endomètre caractérisée par des rapports ARNm IL-18/TWEAK et IL-15/Fn-14 et un nombre de cellules CD56+ dans la même fourchette que celle définie précédemment dans la cohorte fertile.
  2. Un profil d'activation immunitaire endométriale FAIBLE est caractérisé par de faibles ratios d’ARNm pour l'IL-15/Fn-14 (reflétant les cellules uNK immatures) et/ou l'IL-18/TWEAK ou une absence de recrutement de cellules uNK.
  3. Une activation immunitaire endométriale EXCESSIVE est caractérisée par des rapports ARNm élevés pour l'IL-18/TWEAK et/ou l'IL-15/Fn-14 et/ou un nombre élevé de cellules CD56+.
  4. Un profil immunitaire endométrial MIXTE est caractérisé par un rapport ARNm élevé d’IL-18/TWEAK (excès de cytokines Th-1) simultanément avec un rapport IL-15/Fn-14 faible (reflétant une NK immature).

Suggestion de plan de traitement personnalisé
Sur la base du profil immunitaire utérin, le clinicien a reçu 3 semaines après la collecte de l'endomètre le type de profil immunitaire local (pas de dérégulation, faible activation immunitaire, suractivation immunitaire, profil mixte) et une proposition de plan personnalisé pour remédier au déséquilibre local s'il est diagnostiqué (tableau 2).

Suggestion de personnalisation en fonction du profil immunologique

Pas de dérégulation

Sous-
activation

Suractivation

Profil
Mixte

Scratching

Non

Oui

Non

Oui

Exposition à de fortes concentrations d’œstrogènes

Pas de recommandation

Non

Oui

Oui

Immunothérapie

Non

Non

Oui
(test thérapeutique)

Oui
(test thérapeutique)

Adaptation hormonale de la phase lutéale

Non

Non

Oui

Oui

Supplémentation avec hCG lutéal

Non

Oui

Non

Oui

Exposition au plasma séminal

Pas de recommandation

Oui

Non

Non

Tableau II. Adaptation des suggestions de personnalisation en fonction du profil

Résultat(s) :
16,5 % des patientes ne présentaient aucune dérégulation, 28 % une sous-activation immunitaire locale, 45 % une suractivation immunitaire locale et 10,5 % avaient un profil immunitaire endométrial mixte. aucune différence concernant la répartition entre les différents types de profils immunitaires en fonction du contexte clinique n'a été observée (p = 0,20).
En ce qui concerne les dérégulations immunitaires locales, les taux de grossesse étaient significativement plus élevés chez les patientes RIF et FCSR si une dérégulation était identifiée et si la personnalisation suggérée était appliquée, par rapport aux patientes non dérégulées (respectivement 38,4 et 57,6 % contre 26,9 et 25 %, p < 0,002).
En revanche, dans les sous-groupes FIV et DO de bon pronostic, aucune différence n'a été observée entre les patientes dérégulées et non dérégulées, mais les taux de grossesse les plus élevés ont été observés en l'absence de dérégulation.
La fréquence d'une nouvelle fausse couche était plus élevée et à la limite de la signification (24 contre 12 %, p = 0,057) dans le groupe FCSR sans dérégulation diagnostiquée.

Contexte Clinique

 % Grossesse
Global

Profil immunitaire utérin

Nbre de
patientes

Taux de FCS

% Grossesse évolutive

Pas de Grossesse

p
pour % Gross

RIF

 

36%

Dérégulation

948

8.40%

38.4%*

53.8%

0.002

Pas de Dérégulation

201

7..50%

26.90%

65.6%

-

FIV/ICSI Bon pronostic

 

56%

Dérégulation

184

7.60%

55%

38%

0.28

Pas de Dérégulation

25

4%

57.6%

36%

-

FCSR

 

50%

Dérégulation

132

12%

57.6%*

32%

0.001

Pas de Dérégulation

33

24%*

25%

52%

-

DO

 

45%

Dérégulation

72

11%

44%

46%

0.64

Pas de Dérégulation

19

16%

52.6%

31.6%

-

RIF-DO

 

42%

Dérégulation

113

14.90%

41.6%

43.80%

0.56

Pas de Dérégulation

15

0%

46.70%

53.3%

NA

Tableau III. Devenir en fonction de la présence/ absence de dérégulation et du contexte clinique

Pour les patients présentant une suractivation immunitaire, les taux de grossesse étaient significativement plus élevés chez les patients ayant subi un test de sensibilité, concernant le type d'immunothérapie introduite, par rapport à ceux qui n'en avaient pas subi (51 contre 39,9 %, p = 0,012). Pour les patientes ayant utilisé leurs propres ovocytes, l'issue de la grossesse a été significativement affectée par l'âge maternel (p < 0,0001) et la présence d'une dérégulation de l'endomètre (p = 0,001).
Aucune différence significative n'a été observée en ce qui concerne les taux de grossesse ou de fausse couche, compte tenu du type de dérégulations diagnostiquées (suractivation immunitaire, sous-activation immunitaire, profil mixte) et donc du type de soins personnalisés appliqués.

Contexte Clinique

Profil immunitaire utérin

n

 % Grossesse évolutive

% FCS

RIF

Suractivation

525

40%

8%

Sous- activation

311

38%

8%

Profil Mixte

112

31%

7%

FIV/ICSI Bon pronostic

Suractivation

92

51%

8%

Sous- activation

72

64%

5%

Profil Mixte

20

45%

10%

FCSR

Suractivation

74

55%

15%

Sous- activation

38

66%

10%

Profil Mixte

20

50%

5%

DO

Suractivation

36

44%

8%

Sous- activation

23

43%

13%

Profil Mixte

13

46%

15%

RIF-OD

Suractivation

56

41%

14%

Sous- activation

43

42%

14%

Profil Mixte

14

43%

21%

Tableau I V. Devenir par type de dérégulation

Pour les patients présentant une suractivation immunitaire, les taux de grossesse étaient significativement plus élevés chez les patients ayant subi un test de sensibilité, concernant le type d'immunothérapie introduite, par rapport à ceux qui n'en avaient pas subi (51 contre 39,9 %, p = 0,012).
Comme la qualité des ovocytes dépend de l'âge maternel et a un impact important sur le résultat, nous avons analysé pour les patientes ayant eu une FIV avec leurs propres ovocytes, l'impact de l'âge maternel et la présence d'une dérégulation endométriale sur le résultat par rapport aux patientes en don d’ovocytes. Pour les patientes ayant utilisé leurs propres ovocytes, l'issue de la grossesse a été significativement affectée par l'âge maternel (p < 0,0001) et la présence d'une dérégulation de l'endomètre (p = 0,001), dans chaque catégorie d'âge. Un tel effet n'a pas été observé chez les patientes utilisant des ovocytes de donneuses (p = 0,49).

Discussion et Conclusion(s)
Le profil immunitaire utérin en médecine reproductive est un nouveau concept qui suggère que l'immunité endométriale locale au moment de l'implantation peut être rééquilibrée afin d'influencer positivement l'issue de la grossesse. 1738 patientes infertiles ont été suivies prospectivement pendant cinq ans pour évaluer l'efficacité de ce nouveau diagnostic sur leurs chances de grossesse.
Ce vaste essai permet d’établir de nouvelles connaissances notamment en documentant l'absence de variation de la distribution des profils immunitaires lorsque l'on considère le contexte clinique ou l'âge maternel.
En effet, l'absence de variation de la distribution des profils immunitaire utérin en fonction du contexte clinique est une démonstration indirecte que la régulation immunitaire de l'endomètre n'est pas une condition nécessaire à l'implantation. L'embryon lui-même est capable de promouvoir l'adhésion ou de contrôler l'activation locale des cellules immunitaires si nécessaire. Cependant, si l'embryon n'a pas la capacité de contrôler les dérégulations immunitaires locales, un traitement personnalisé peut être important pour promouvoir un dialogue initial efficace. En outre, l'absence de variation en fonction de l'âge de la mère suggère également que la qualité de l'ovocyte et l'équilibre immunitaire local de l'endomètre semblent être indépendants.
L'immunité endométriale locale semble être un nouveau paramètre important capable d'influencer le pronostic de la grossesse. Des soins médicaux ciblés en cas de dérégulation immunitaire locale ont permis d'obtenir des taux de grossesse significativement plus élevés chez les patientes RIF et FCSR.

 

Ledee, N., et al., The Uterine Immune Profile May Help Women With Repeated Unexplained Embryo Implantation Failure After In Vitro Fertilization. Am J Reprod Immunol, 2016. 75(3): p. 388-401.
Ledee, N., et al., Uterine immune profiling for increasing live birth rate: A one-to-one matched cohort study. J Reprod Immunol, 2017. 119: p. 23-30.

 
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