Sexualité et Infertilité

Introduction :

Depuis toujours, la sexualité et la reproduction ont été considérées comme indissociables. Mais aujourd’hui, ces liens ont, dans certains cas, été rompus. En effet, grâce à la contraception, la plupart des rapports sexuels au sein des couples hétérosexuels sont récréatifs et seulement quelques-uns sont à visée reproductive. De plus, des millions d’enfants de part le monde ont été conçus sans rapport sexuel grâce à l’Insémination Intra-Utérine (IIU) ou la Fécondation In Vitro (FIV) ; voire même sans éjaculation en cas de prélèvement chirurgical de spermatozoïdes.

Près de 10% des couples consultent pour infertilité. Durant les entretiens, les questions sur la sexualité du couple sont le plus souvent éludées et peu de praticiens se renseignent sur la présence éventuelle de dysfonctions sexuelles pouvant être à l’origine de l’infertilité. Parfois, l’annonce de l’infertilité et/ou sa prise en charge en Assistance Médicale à la Procréation (AMP) induisent des difficultés sexuelles de novo dans un couple précédemment épanoui. Alors que de nombreuses études se sont intéressées à la sexualité des femmes sous contraception, très peu se sont consacrées à la sexualité des couples infertiles durant le parcours  en AMP.

Nous proposons une mise au point axée sur ces 2 principales problématiques concernant la fertilité et la sexualité :

(1) un trouble sexuel du couple responsable de l’infertilité
(2) l’induction de difficultés sexuelles suite à l’annonce de l’infertilité et de la prise en charge en AMP.

Le praticien en AMP se doit de connaître l’existence possible de ces troubles afin de les dépister et de pouvoir proposer une prise en charge globale qui, à la fois, potentialise les chances de grossesse et préserve (ou restaure) un climat sexuel épanouissant.

 

I. Un trouble sexuel responsable de l’infertilité

Selon une étude récente, une dysfonction sexuelle concernant l’homme, la femme, ou les deux membres du couple, pourrait être à l’origine de l’infertilité dans 2,4 % des cas (Kerneis 2004). Cette prévalence est probablement sous-estimée : car bien souvent, les médecins n’interrogent pas ou peu les couples consultant pour infertilité sur leur sexualité, et les patients n’évoquent que très rarement, spontanément ces troubles.  La prise en charge de ces couples soulève bien souvent un problème éthique au sein des équipes d’AMP et l’aide d’un psychologue et/ou d’un sexologue s’avère souvent essentielle.

Au regard des lois de Bioéthique, l’AMP est destinée à un couple hétérosexuel (un homme et une femme), en âge de procréer, et dont l’infertilité a été médicalement constatée (Loi de bioéthique n°2004-800 du 6 août 2004 modifiée en 2011). L’AMP doit-elle se substituer à une sexualité défaillante ? Le couple doit-il être pris en charge en AMP avec une insémination intra utérine ou alors orienté vers une prise en charge sexologique, alors qu’il ne formule aucune plainte d’ordre sexuel et que chacun des partenaires se satisfait de leur relation sexuelle, même inexistante ? Pour tenter de répondre à ces questions, il ne faut pas oublier que la prise en charge sexologique peut être longue et sans garantie de succès (capacité au changement non présente). Il faut également prendre en compte l’âge de la patiente, qui est un facteur qui limite le temps disponible  pour la prise en charge (diminution des chances de grossesse).

 

1. Dysfonctions du couple

Certains couples consultent pour infertilité alors qu’ils n’ont pas ou très peu de rapports sexuels. Il est important de savoir s’il s’agit d’un couple en crise, avec un évitement de l’intimité et cherchant à avoir un enfant pour des raisons de représentation sociale ; ou s’il s’agit d’un couple en harmonie avec un réel désir d’enfant mais avec un intérêt très limité envers la sexualité. L’asexualité aurait une prévalence de près de 1% dans la population générale.

De manière anecdotique, il arrive que des couples, qui consultent aient un type de sexualité non fécondante (sans éjaculation intra vaginale). L’interrogatoire précis du médecin est capital et une information concernant la physiologie de la reproduction pourra alors être bénéfique au couple.

 

2. Dysfonctions masculines

Chez l’homme, la fertilité naturelle est dépendante de sa capacité à produire une émission de sperme intra-vaginale, à la suite d’une séquence-type : désir, excitation, érection puis éjaculation quasi systématiquement associée à un orgasme (Master et Johnson). La défaillance d’une ou plusieurs de ces étapes peut être responsable d’une infertilité.

La dysfonction érectile est une pathologie fréquente, touchant 5 à 20% des hommes de moins de 50 ans (Hatzimouratidis et al. 2010). Elle est, parfois, si sévère qu’elle entraîne une incapacité de pénétration vaginale.

L’éjaculation rapide survenant en moins de 2 minutes n’est pas responsable de trouble de la reproduction et concerne près de 30% des hommes. Mais il existe chez environ 10% des éjaculateurs précoces, une éjaculation ante portas (qui survient avant même la pénétration) et qui limite fortement les chances de grossesse (Hatzimouratidis et al. 2010).

Certains hommes souffrent d’anéjaculation. Dans ce cas, il faut bien distinguer l’éjaculation rétrograde totale de l’anéjaculation per coïtale. Dans le cas d’une éjaculation rétrograde totale, il existe un orgasme associé mais le sperme est émis dans la vessie. Les principales étiologies sont neurologiques ou anatomiques (post chirurgicales). L’anéjaculation per coïtale est quasi systématiquement associée à une anorgasmie. Sa prévalence est difficile à déterminer. L’étiologie est le plus souvent d’origine psychologique et elle peut être primaire ou secondaire au désir d’enfant. Et c’est pourquoi une évaluation psycho-sexologique est recommandée avant tout recours à l’AMP.                         

 

3. Dysfonctions féminines

Contrairement à l’homme, la fonction reproductrice de la femme est physiologiquement dissociée de la fonction sexuelle. Une femme peut, en effet, être enceinte sans avoir ressenti ni du plaisir, ni d’excitation, ni même du désir. Cependant, il existe des pathologies sexuelles féminines  qui peuvent compromettre le rapport sexuel (Mimoun 2003). 

Le vaginisme qui se traduit par une contraction involontaire des muscles périnéaux rendant impossible la pénétration concernerait près de 1% des femmes (Simons et al. 2001). Les causes sont le plus souvent psychologiques. La prise en charge est basée sur un rappel anatomique du périnée et du vagin, sur une information sur la physiologie du rapport sexuel, sur une réassurance de la patiente et éventuellement avec l’utilisation de dilatateurs vaginaux.

 Les dyspareunies sévères qui rendent la pénétration douloureuse obligeant à interrompre le coït, sont plus fréquentes (Simons et al. 2001). Il est important d’explorer ces douleurs qui sont le plus souvent d’origine organique et dont l’étiologie peut également contribuer à altérer la fertilité (endométriose, hydrosalpinx, fibrome).  Dans certains cas, une prise en charge chirurgicale peut, dans un même temps, améliorer les douleurs et potentialiser la fertilité. Certaines dyspareunies peuvent aussi « masquer » un vaginisme.

 

4. Un début de solution

Sur les conseils d’un médecin, spontanément ou après des recherches sur internet, un certain nombre de couples ont tenté, avec succès, des auto-inséminations intra vaginales avec une seringue ou pipette. Cette approche peut être complémentaire d’une prise en charge sexologique, mais, encore une fois, l’âge de la patiente doit être pris en compte.


II. L’infertilité et sa prise en charge générant une dysfonction sexuelle dans le couple

1. L’annonce de l’infertilité

Après plusieurs mois d’attente, d’espoirs, puis de désillusions devant l’absence de grossesse, le couple fragilisé prend un rendez-vous chez le spécialiste. Divers bilans sont réalisés, et l’annonce du diagnostic d’infertilité déstabilise le couple (Coëffin-Driol et al. 2004 ; Gurkan et al 2010).

L’attribution d’une responsabilité à l’un des membres du couple peut être culpabilisante.

Chez l’homme, l’annonce d’altérations de la fonction spermatique (Oligo-astheno-térato-spermie (OAT) ou l’azoospermie) va l’affecter dans sa virilité car bien souvent, il confond « infertilité » et « impuissance ». Il n’est pas rare de retrouver chez des hommes infertiles des signes de dépression, avec une diminution importante de l’estime de soi et l’apparition de troubles sexuels tels qu’une dysfonction érectile (Schindel et al, 2008).

L’annonce de l’infertilité atteint la patiente dans sa féminité et surtout dans son potentiel de maternité. En effet, dans un certain nombre de cultures, on accède au statut de « Femme » quand on a été enceinte, et quand on a accouché (par voie basse et sans analgésie). Une obstruction tubaire suite à une infection sexuellement transmissible peut culpabiliser la patiente vis-à-vis de ses anciens partenaires ou de sa sexualité passée. Un trouble de l’ovulation et encore plus, une insuffisance ovarienne prématurée renvoient à la patiente l’image de la ménopause et d’un vieillissement prématuré. Il n’est, ainsi, pas rare de constater des signes de dépression chez la femme infertile.

Chez ces couples infertiles, la sexualité récréative peut être mise de côté avec, pour excuse, le « à quoi bon ? ». Le médecin en charge de l’annonce de l’infertilité doit donc être prudent sur les mots choisis qui restent gravés dans la mémoire des patients et qui peuvent induire une blessure narcissique profonde. Dans certains cas, il peut être utile de proposer au couple un soutien psychologique.

 

2. L’impact de la prise en charge en AMP sur la sexualité 

Les techniques d’AMP reposent sur la maîtrise et le contrôle de l’ovulation permettant la programmation de rapports sexuels au moment le plus favorable. Ces rapports « sur commande » désérotisent l’acte sexuel et peuvent être mal vécus par l’un des membres du couple. La recherche d’une efficacité technique à un instant précis sont génératrices de stress, de diminution de la satisfaction et parfois de dysfonction sexuelle chez l’homme (dysfonction érectile, anéjaculation) (Monga et al. 2004).

Le recueil spermatique pour le bilan initial ou pour les techniques d’AMP, est obligatoirement réalisé au laboratoire, par masturbation. Cette modalité de prélèvement peut être anxiogène et rend parfois le recueil impossible pour certains hommes qui n’ont pas l’expérience de la masturbation pour des raisons culturelles et/ou religieuses. De plus, une étude (Elzanaty 2008) a montré que la qualité du sperme était inversement corrélée à la durée de la masturbation et a conclu à l’effet négatif du stress.

Chez la femme, durant la FIV, les effets secondaires de l’hyperstimulation ovarienne avec notamment les bouffées de chaleur, les troubles de l’humeur (nervosité, trouble du sommeil), céphalées, la prise de poids et la douleur pelvienne due à l’augmentation du volume des ovaires, peuvent contribuer à une détérioration de la qualité de vie sexuelle du couple. De plus, certains traitements peuvent être responsables d’une baisse la libido (agoniste de la LH-RH). Le stress de la ponction ovarienne et les enjeux de la tentative (nombre d’ovocytes recueillis, nombre d’embryon de bonne qualité obtenus..) sont également générateurs de stress. L’utilisation d’ovules de progestérone pour le soutien de la phase lutéale entraîne des pertes vaginales gênantes pour la patiente et/ou son partenaire.

 Concernant la sexualité des couples après une AMP, les conclusions sont divergentes. Pour Gamet, le climat sexuel des couples est déjà détérioré par l’infertilité et la survenue d’une grossesse n’améliore pas forcément la situation. A l’inverse, Repokari et al. ont retrouvé une meilleure satisfaction sexuelle pour les couples ayant obtenu une grossesse après AMP en comparaison aux couples ayant obtenu une grossesse de manière naturelle. Guillet-May et al retrouvent 70 à 80% de dépressions réactionnelles, troubles sexuels, et difficultés relationnelles chez les couples en échec d’AMP.

Conclusion

Aujourd’hui, sexualité et reproduction peuvent être complètement dissociées et en particulier lors d’une AMP. L’infertilité due exclusivement à une dysfonction sexuelle est relativement rare mais le plus souvent non diagnostiquée. L’annonce de l’infertilité et de son origine qui implique un ou les 2 membres du couple, ne sont pas sans conséquence, sur l’estime de soi mais aussi sur leur qualité de vie individuelle, sur la qualité de la relation ainsi que sur la sexualité. Lors de la prise en charge, la programmation des rapports sexuels par le médecin désérotise l’acte et peut engendrer des dysfonctions. L’hyperstimulation ovarienne contrôlée, les traitements et les enjeux de la tentative ont le plus souvent des répercussions négatives sur la sexualité du couple. Le recueil de sperme par masturbation au laboratoire peut être une situation gênante et réellement problématique pour certains hommes.

Il est nécessaire que le praticien qui prend en charge des couples en AMP connaisse ces possibles troubles sexuels, afin qu’il puisse les diagnostiquer et prendre en charge le couple ou l’adresser à un spécialiste (sexologue, psychologue, psychiatre, andrologue…).

Bibliographie :

1) Kerneis O. Les troubles sexuels à l’origine d’une infertilité sont-ils une indication ou une contre-indication de l’A.M.P. ? Andrologie 2004;14:11-21

2) Masters, W.H.; Johnson, V.E. (1966). Human Sexual Response. Toronto; New York: Bantam Books.

3) Hatzimouratidis K, Amar E, Eardley I, Giuliano F, Hatzichristou D, Montorsi F, Vardi Y, et al. European Association of Urology. Guidelines on male sexual dysfunction: erectile dysfunction and premature ejaculation. Eur Urol 2010; 57(5):804-14.)

4) Mimoun S. The multiple interactions between infertility and sexuality. Contracept Fertil Sex 1993; 21(3):251-4.

5) Simons JS, Carey MP. Prevalence of sexual dysfunctions: results from a decade of 256 research. Arch Sex Behav 2001; 30(2):177-219.

6) Coëffin-Driol C, Giami A. The impact of infertility and its treatment on sexual life and marital relationships: review of the literature. Gynecol Obstet Fertil 2004; 32(72708):624-37.

7) Shindel AW, Nelson CJ, Naughton CK, Ohebshalom M, Mulhall JP. Sexual function and quality of life in the male partner of infertile couples: prevalence and correlates of dysfunction J Urol 2008; 179(3):1056-9.

8) Monga M, Alexandrescu B, Katz SE, Stein M, Ganiats T. Impact of infertility on quality of life, marital adjustment, and sexual function. Urology 2004; 63(1):126-3.

9) Elzanaty S. Time-to-ejaculation and the quality of semen produced by masturbation at  a clinic. Urology 2008; 71:883-8.

10)  Gamet ML. A propos d’une étude sur la sexualité des femmes et des hommes pendant la grossesse issue d’une assistance médicale à la procréation (AMP). Sexologies 2008; 304 17:102-122.

11) Repokari L, Punamäki RL, Unkila-Kallio L, Vilska S, Poikkeus P, Sinkkonen J, et al. Infertility treatment and marital relationships: a 1-year prospective study among successfully treated ART couples and their controls. Hum Reprod 2007; 22(5):1481-91.

12) Guillet-May F, Thiebaugeorges O, Dandachi N, Zaccabri A, Barbarino-Monnier P,  Heymes O, et al. Troubles sexuels résultants de la stérilité (après échec des traitements). Andrologie 2004;14(2) :155-8.

11) Repokari L, Punamäki RL, Unkila-Kallio L, Vilska S, Poikkeus P, Sinkkonen J, et al. Infertility treatment and marital relationships: a 1-year prospective study among successfully treated ART couples and their controls. Hum Reprod 2007; 22(5):1481308 91.

12) Guillet-May F, Thiebaugeorges O, Dandachi N, Zaccabri A, Barbarino-Monnier P, Heymes O, et al. Troubles sexuels résultants de la stérilité (après échec des traitements). Andrologie 2004 ; 14(2) :155-8.

Questionnaire en ligne : https://docs.google.com/spreadsheet/viewform?fromEmail=true&formkey=dEFWX1M4RTB4cjVxZ2g3QzFnZkJtSWc6MQ

 
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