La cardio-gynécologie : de nouvelles pratiques pour une grande cause médicale !

Grandes pourvoyeuses de morbidité, les maladies cardio-vasculaires (CV) sont la première cause de mortalité chez les femmes en France (1). Santé Publique France alerte sur une nouvelle augmentation du taux d’hospitalisations pour IDM de 4,8% par an chez les femmes de 45 à 54 ans (2). En vivant au même rythme que les hommes, les femmes ont adopté un mode de vie similaire (tabagisme précoce, stress, sédentarité) et sont exposées à de nouvelles situations à risque telles que la précarité ou l’isolement social. D'après l'étude de Framingham, plus de 80% des femmes de plus de 45 ans ont ainsi au moins 2 facteurs de risque traditionnels. Nombre d’entre eux sont plus délétères sur le risque cardio-vasculaire chez la femme que chez l’homme (étude INTERHEART) (3). Les facteurs de risque hormonaux, spécifiques aux femmes, ne sont pas encore pris en compte dans les prises en charge. Ces femmes sont de surcroit sous évaluées et sous traitées (4-6). Elles se croient aussi protégées jusqu’à la ménopause, ne se sentent pas concernées, ne perçoivent pas la douleur de la même manière, ne connaissent pas les symptômes atypiques, culpabilisent par rapport à leur environnement familial ou professionnel. Les professionnels de santé ne s’alertent pas assez par méconnaissance et par croyance (4-6,7). Tous ces préjugés complexes et nombreux conduisent à des retards de prise en charge pouvant être très pénalisants (7). A contrario, les femmes bénéficient plus que les hommes de l’effet protecteur d’une l’hygiène de vie optimisée (8).
 

Une prise de conscience, très féminine, de l’inégalité entre les femmes et les hommes face aux maladies cardio-vasculaires a conduit à des recommandations américaines et européennes. L’alerte rouge a ainsi été lancée dès 2004 par l’américaine Lori Mosca (4), conduisant à un large programme d’envergure « Go Red For women » avec un bilan à 10 ans très positif (9). Parallèlement, Peter Collins (Imperial College London) et son équipe militaient pour un parcours gynéco-cardiologique à la ménopause (5). Angela Maas, néerlandaise, lançait l’urgence de la mise en place de programmes de recherches dédiés aux femmes (10). Tout récemment, elle publie un ouvrage « Manual of gynecocardiology » faisant un état des lieux sur les maladies cardio-vasculaires de la femme (Editions Springer, 2017). De son côté, Vera Regitz-Zagrosek crée l’Institut du Genre à l’hôpital de la Charité à Berlin et publie un ouvrage « Sex and gender aspects in clinical medicine » (Edition Springer).

 

La France rattrape son retard progressivement depuis 5 ans grâce à l’engagement de la Fédération Française de Cardiologie. Celle-ci avait édité en 2014 un livre blanc pour une stratégie nationale de prévention des maladies cardio-vasculaires. Le premier chapitre, consacré aux femmes, « ces grandes oubliées des maladies cardio-vasculaires », avait proposé sept recommandations pour combattre ces inégalités sociétales entre les femmes et les hommes (www.fedecardio.org).

 

Parallèlement, au CHRU de Lille, dès 2013, les cardiologues et les gynécologues œuvraient à la mise en place d’un parcours coordonné de soins cardio-gynécologique : « Cœur, artères et femmes », en s’appuyant sur le référentiel de la Haute autorité de Santé (www.has-sante.fr). Le bilan à 5 ans de ce parcours souligne sa pertinence, sa sécurité, son efficacité clinique, son accessibilité, en tenant compte du « point de vue » de la patiente (11). L’objectif actuel est de développer cette initiative dans d’autres centres en s’appuyant, en autres, sur la commission de travail « Cœur de femmes » de la Fédération Française de Cardiologie, les experts de la Société Française d’Hypertension artérielle, la Société de Médecine Vasculaire, la Société Française de Cardiologie, le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens français, le Groupe multidisciplinaire de réflexion sur la ménopause et le vieillissement hormonal (GEMVI)...

 

Les congrès scientifiques permettent un réel partage des pratiques entre professionnels d’horizon variés. Des conférences grand public sont organisées sur tout le territoire français depuis 2014 avec le concours de la Fédération Française de Cardiologie, de partenaires, de mutuelles et de grandes entreprises.

 

Au delà des professionnels de santé et des sociétés savantes, la Direction Générale de la Santé a organisé en mars 2016 un premier colloque autour de la santé cardio-neuro-vasculaire des femmes, conjointement à la publication d’un Bulletin Epidémiologie Hebdomadaire dédié (BEH n°7-8 ; 8 mars 2016. www.santepubliquefrance.fr). Puis en 2017, un rapport a été publié par le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes sur l’accès aux soins des femmes précaires (deux chapitres étaient consacrés à la santé sexuelle et à la santé cardio-vasculaire) (www.haut-conseil-egalite.gouv.fr).

 

Les campagnes médiatiques (« Préjugés » et « Casting » de la Fédération Française de Cardiologie) et la conviction des journalistes à s’impliquer pour la santé des femmes, tous médias confondus, sont aussi d’indispensables relais, permettant d’amener au sein de chaque foyer les informations pratiques pour sensibiliser les femmes, quel que soit le milieu socio-économique.

 

Il ne s’agit pas d’un « effet de mode » mais bien d’une grande cause médicale destinée à lutter encore plus efficacement contre les préjugés auxquels sont encore exposées les femmes françaises en 2018. Cette alerte rouge n’est plus une fatalité, nous devons continuer à œuvrer positivement en mettant en commun nos savoir-faire.

Les travaux de recherche dédiés aux maladies cardio-vasculaires de la femme se développent. A tire d’exemple, le programme français de recherche épidémiologique E3N cardio-vasculaire, financé par la Fédération française de cardiologie, s’inscrit dans cette démarche d’amélioration de la santé des femmes. Il vise à une meilleure connaissance des spécificités de leur risque pour construire un score de risque E3N. Un tel programme de recherche répond aux recommandations de la Société Européenne de Cardiologie (12). D’autres programmes de recherche sont en cours étudiant notamment les spécificités de l’infarctus du myocarde chez la femme de moins de 50 ans (Etude Wamif, Paris) ou encore les relations entre la radiothérapie dans le cancer du sein et le risque d’infarctus du myocarde (Etude Baccara, Toulouse).

 

Un bilan à 5 ans de toutes ces actions menées en France sur la santé cardio-vasculaire des femmes a été  effectué lors d’un colloque à l’Académie de médecine à Paris (www.fedecardio.org). A cette occasion, une exposition photo « Cœur de femmes, femmes de cœur » (Loic Trujillo) a été dévoilée, dont l’objectif est de nous sensibiliser, par l’art, sur cette grande cause médicale.

 

Dans un avenir proche, nous pourrions espérer la mise en place d’une consultation organisée de dépistage du risque cardio-vasculaire à partir de 50 ans avec un suivi prospectif des femmes dépistées. Parallèlement, nous devons continuer à impliquer les femmes dans une prévention citoyenne, à les rendre actrices de « terrain ». Une sensibilisation de la population par une Journée nationale « Cœur de femmes » pourrait également renforcer le cercle vertueux de la prévention cardio-vasculaire féminine en France.

 

 

Bibliographie

 

1- Aouba A, Eb M, Rey G, et al. Données sur la mortalité en France: principales causes de décès en 2008 et évolutions depuis 2000. Bull Epidémiol Hebd. 2011;22 : 249-55.

2- Gabet A, Danchin N, Olié V. Myocardial infarction in women: trends of hospitalization and mortality rates, France, 2002-2013. Bull Epidemiol Hebd. 2016;(7-8) : 100-8.

3- Yusuf S, Hawken S, Ounpuu S pour le groupe des investigateurs INTERHEART. Effect of potentially modifiable risk factors associated with myocardial infarction in 52 countries (the INTERHEART study): case-control study. Lancet 2004;364 : 937-52

4- Mosca L, Benjamin EJ, Berra K, Bezanson JL, Dolor RJ, Lloyd-Jones DM, et al. Effectiveness-Based Guidelines for the Prevention of Cardiovascular Disease in Women-2011 Update A Guideline From the American Heart Association. J Am Coll Cardiol. 2011;57(12) : 14041423.

5- Collins P, Rosano G, Casey C et al. Management of cardiovascular risk in the peri-menopausal woman: a consensus statement of European cardiologists and gynaecologists. Eur Heart J. 2007;28(16) : 2028-40.

6- Lundberg GP, Dunbar SB, Wenger NK. Guidelines for the Reduction of Cardiovascular Disease in Women. J Obstet Gynecol Neonatal Nurs. 2016;45(3) : 402-12.

7- Lichtman JH, Leifheit-Limson EC, Watanabe E et al. Symptom recognition and healthcare experiences of young women with acute myocardial infarction. Circ Cardiovasc Qual Outcomes. 2015 Mar;8(2 Suppl 1) : S31-8.

8- Yu E, Rimm E, Qi L, Rexrode K, Albert CM, Sun Q, Willett WC, Hu FB, Manson JE. Diet, Lifestyle, Biomarkers, Genetic Factors, and Risk of Cardiovascular Disease in the Nurses' Health Studies. Am J Public Health. 2016 Sep;106(9) : 1616-23.

9- Brown N. How the American Heart Association helped change women's heart health. Circ Cardiovasc Qual Outcomes. 2015;8 (2 Suppl 1) : S60-2.

10- Maas AH, van der Schouw YT, Regitz-Zagrosek V et al.  Red alert for women's heart: the urgent need for more research and knowledge on cardiovascular disease in women: proceedings of the workshop held in Brussels on gender differences in cardiovascular disease. Eur Heart J. 2011 Jun;32(11) : 1 362-8.

11- Boudghène F, Gautier P, Delsart P, et al. Le circuit « cœur, artères et femmes » chez la femme à haut risque cardiovasculaire : première évaluation à un an. Ann Cardiol Angeiol. 2015;64(3) : 199-204.

12- Piepoli MF, Hoes AW, Agewall S, Albus C, Brotons C, Catapano AL, et al. 2016 European Guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice. Euro Heart J. 2016 ;37 :  2315–81.

 

 
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