Prédispositions héréditaires aux cancers gynécologiques : quoi de neuf ?

GH Pitié-Salpêtrière, consultation de Génétique & Centre Luxembourg*

La découverte des principaux gènes responsables des formes héréditaires de prédisposition a profondément modifié la prise en charge des cancers gynécologiques (sein, ovaire, endomètre).

Il y a 25 ans, étaient identifiés les deux gènes majeurs du cancer du sein et de l’ovaire, BRCA1 et 2. Les différents gènes du syndrome de Lynch (gènes MMR : qui associe prédisposition au cancer du côlon sans polypose et aux cancers de l’endomètre et de l’ovaire) avaient été identifiés quelques mois plus tôt.  

Aujourd’hui, on connait mieux la fréquence de ces variants pathogènes (anciennement mutations) dans la population. Ainsi, on estime qu’une femme sur 600 est porteuse d’une variant pathogène pour  BRCA1, 1 femme sur 200 pour BRCA2 (1).

Pour l’ensemble des gènes MMR (MSH2, MLH1, MSH6, PMS2, délétion d’EPCAM inactivant l’expression  de MSH2), la fréquence des variants pathogènes est estimée à environ 1 sur 280 (2)

On connait mieux également les risques associés aux pertes de fonction hétérozygote de ces gènes, notamment grâce aux études prospectives conduites sur des femmes porteuses. La plus grosse étude prospective montre des estimations de risque cumulé de cancer du sein à 80 ans de 72% pour les porteuses de mutation BRCA1 et de 69% pour BRCA2. Pour l’ovaire, elles sont respectivement de 55% et de 17% pour ces deux gènes (3).

Le risque cumulé de cancer de l’endomètre est de 16-26% pour MSH6, 21-30 % pour MSH2,  18-54 %  pour MLH1, 12-15% pour PMS2, plus faible pour les délétions d’EPCAM, et d’environ 20 % pour le cancer de l’ovaire pour ces différents gènes hormis MSH6 pour lequel il est plus faible (47).

Les risques associés à d’autres  gènes, responsables de syndromes (TP53 pour le Li-Fraumeni, PTEN pour le Cowden, CDH1 pour linite gastrique et cancer du sein) ont été précisés. Plusieurs publications ont montré que les pertes de fonction hétérozygotes d’ATM (responsables d‘ataxie-télangiectasie à l’état homozygote) sont associées à une augmentation du risque de cancer du sein ainsi qu’à d’autres cancers comme l’estomac ou le pancréas (8, 9).

De nouveaux gènes ont été identifiés, certains grâce à la révolution du séquençage de nouvelle génération (NGS) à très haut débit. Le risque associé aux pertes de fonction de ces gènes peut être élevé, comme PALB2 pour le cancer du sein (10).  D’autres, comme  RAD51C et D, BRIP1 pour le cancer de l’ovaire, sont associés à des risques modestes mais peuvent expliquer certaines formes familiales (11). Enfin, plusieurs gènes ont des contributions modestes pour le cancer du sein : citons MRE11A, RAD50, NBN, CHEK2, BARD1, RAD51C et D, dont les risques associés varient en fonction des études (1214). Le gène MUTYH dont les mutations sur les deux allèles provoquent la polypose colique héréditaire atténuée (de transmission autosomique récessive) serait responsable d’une augmentation du risque de cancer de l’ovaire avec un risque cumulé à 14% selon une étude australienne à confirmer (2).  

Le NGS permet aussi l’analyse d’un grand nombre de gènes de prédisposition groupés au sein d’un panel dédié à un ou plusieurs types de prédisposition en routine. Ces panels de gènes regroupent les gènes majeurs pour lesquels on estime que leur analyse est valide dans le cadre de la pathologie et utile pour la patiente, que ce soit pour les recommandations qui lui seront faites en terme de surveillance que pour les mesures de réduction de risque ou de thérapie ciblée. Ainsi, un panel sein-ovaire a été élaboré par le groupe Génétique et Cancer et est en vigueur dans les laboratoires hospitaliers (15). Il regroupe les 13 gènes majeurs suivants, mentionnés précédemment : BRCA1, BRCA2, PALB2, TP53, CDH1, PTEN, RAD51C, RAD51D, MLH1, MSH2, MSH6, PMS2, EPCAM. Certains gènes ont été écartés de ce panel par manque de données disponibles non biaisées ou la faiblesse du risque associé. Parmi eux, citons un gène majeur comme ATM et CHEK2 dans le cancer du sein, ou encore BRIP1 pour le cancer de l’ovaire.  

Les formes héréditaires de cancer de l’endomètre nécessitent une exploration d’un panel spécifique mais qui est chevauchant avec les autres cancers gynécologiques. Il comprend principalement les gènes MMR (qui expliquent 5% des cancers de l’endomètre), mais aussi BRCA1 et 2 (surtout de type séreux avec BRCA1), et dans un contexte syndromique les gènes PTEN (rare mais risque cumulé sur la vie de 25% environ). De découverte plus récente, les variants pathogènes sur des domaines spécifiques de la polymérase POLE et surtout POLD1 (en particulier les mutations  mutation L424V de POLE et S478N de POLD) sont associés à une polypose adénomateuse colique atténuée et des cancers de l’endomètre, et dans certains cas à d’autres cancers comme l’ovaire, le pancréas, le cerveau et l’estomac (16, 17). Les tumeurs liées à ces mutations peuvent être stables ou instables pour les microsatellites, selon la survenue ou non de mutations secondaires tumorales dans les gènes MMR.  Citons CHEK2, PALB2, NTHL1, ATM, MUTYH, STK11 (dans le rare syndrome de Peutz-Jeghers) également mentionnés dans les publications en raison de quelques cas décrits mais leur intérêt se situe plus dans un cadre de recherche (17).  

La diminution des couts de séquence NGS, l’implantation de pipe-lines informatiques optimisés pour l’analyse de séquences d’ADN, la fin des brevets de Myriad Genetics sur certains gènes, a suscité une offre de laboratoires privés pour des panels larges de gènes couvrant les différentes prédispositions rendue attractive par la rapidité des résultats. La qualité des résultats obtenus dépend de la qualité technique du séquençage et de son analyse bio-informatique, d’une part, et de l’expertise des biologistes pour interpréter la pathogénicité des variants identifiés, d’autre part. Les laboratoires hospitaliers français ont une grande expertise grâce à un travail collaboratif continu depuis la mise en route des tests. Certains laboratoires privés ont également une grande expérience ou l’acquièrent progressivement grâce aux bases de données du domaine public.  L’inclusion de plusieurs dizaines de gènes ne pose pas de problèmes techniques et permet parfois de rattraper un diagnostic de syndrome que le clinicien avait manqué.  

L’interprétation des résultats est simple dans le cas de mutations tronquantes dans un gène à risque majeur avec une histoire familiale évocatrice. En revanche, l’interprétation sera délicate dans le cas de variants dont le caractère pathogène ne peut être affirmé (de classe 3) et dans le cas de gènes à risque faible associé. En effet, dans ce dernier cas, il sera difficile d’imputer l’ensemble de l’histoire familiale de cancers à l’anomalie génétique identifiée sur ce type de gène, car l’histoire familiale peut aussi résulter d’une hérédité polygénique beaucoup plus complexe.

La qualité du diagnostic de prédisposition héréditaire dépend aussi de l’oncogénéticien qui intègre les variants identifiés dans le contexte clinique personnel et familial de la patiente.

C’est lui qui fournira les éléments qui permettront d’élaborer avec les spécialistes un plan de suivi de la patiente adapté précisément à chaque patiente selon le gène en cause, son âge et ses antécédents, et cohérent avec les recommandations en vigueur. Il organisera le conseil génétique dans la famille quand il est justifié, en particulier le dépistage des porteurs sains.

Quelles sont les perspectives d’avenir ? Nous avons passé en revue les risques forts associés à des variants pathogènes sur différents gènes majeurs de prédisposition. Aujourd’hui, les efforts se portent aussi vers le risque polygénique, induit par l’addition et l’interaction de variations communes de multiples gènes qui, prises dans leur ensemble, confèrent un risque plus ou moins élevé selon les individus. De nombreuses publications récentes proposent des algorithmes utilisant un nombre variable de marqueurs (de quelques dizaines à quelques milliers) permettant le calcul d’un « score de risque polygénique» (PRS en anglais)  (18, 19), qui peut être combiné à des facteurs de risque reconnus comme la densité mammaire (20), pour prédire le risque de cancer du sein avec plus de précision. Ce calcul de risque pour la pathologie intégrant tous ces facteurs, génétiques et non génétiques, pourra être utilisé pour rendre plus performantes les mesures du dépistage organisé, en modulant par exemple l’âge de début des mammographies selon le score. Ces scores permettent également d’affiner le risque associé aux variants pathogènes des gènes majeurs vus précédemment (21).

A terme, nous devrions disposer de tout l’éventail des facteurs de risque génétiques, depuis les risques faibles provenant de gènes multiples jusqu’aux risques forts liés à des variants pathogènes sur des gènes en nombre restreint. C’est ce qui permettra de mettre en œuvre une véritable médecine de précision, adaptée à chaque patiente.

*Tel : 01 809 899 99. Correspondance : Dr.florent.soubrier@gmail.com

Références bibliographiques

   1. S. Jervis et al., J. Med. Genet. 52, 465–475 (2015). 2. A. K. Win et al., Cancer Epidemiol. Biomark. Prev. Publ. Am. Assoc. Cancer Res. Cosponsored Am. Soc. Prev. Oncol. 26, 404–412 (2017). 3. K. B. Kuchenbaecker et al., JAMA. 317, 2402–2416 (2017). 4. V. Bonadona et al., JAMA. 305, 2304–2310 (2011). 5. J. G. Dowty et al., Hum. Mutat. 34, 490–497 (2013). 6. L. Baglietto et al., J. Natl. Cancer Inst. 102, 193–201 (2010). 7. S. W. ten Broeke et al., J. Clin. Oncol. Off. J. Am. Soc. Clin. Oncol. 33, 319–325 (2015). 8. N. J. H. van Os et al., Clin. Genet. 90, 105–117 (2016). 9. M. C. Southey et al., J. Med. Genet. 53, 800–811 (2016). 10. A. C. Antoniou, W. D. Foulkes, M. Tischkowitz, N. Engl. J. Med. 371, 1651–1652 (2014). 11. L. Castéra et al., Genet. Med. Off. J. Am. Coll. Med. Genet. 20, 1677–1686 (2018). 12. F. Damiola et al., Breast Cancer Res. BCR. 16, R58 (2014). 13. F. J. Couch et al., JAMA Oncol. 3, 1190–1196 (2017). 14. J. Hauke et al., Cancer Med. 7, 1349–1358 (2018). 15. J. Moretta et al., Bull. Cancer (Paris). 105, 907–917 (2018). 16. C. Palles et al., Nat Genet. 45, 136–44 (2013). 17. A. B. Spurdle, M. A. Bowman, J. Shamsani, J. Kirk, Mod. Pathol. Off. J. U. S. Can. Acad. Pathol. Inc. 30, 1048–1068 (2017). 18. A. V. Khera et al., Nat. Genet. 50, 1219–1224 (2018). 19. N. Mavaddat et al., Am. J. Hum. Genet. 104, 21–34 (2019). 20. D. G. R. Evans et al., Breast Cancer Res. Treat. 176, 141–148 (2019). 21. K. B. Kuchenbaecker et al., J. Natl. Cancer Inst. 109 (2017), doi:10.1093/jnci/djw302.           

 
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