Pratique de médecin conseil-expert en neonatologie : dix conseils pour une expertise

Dr Justice

Chacun d’entre nous sera de façon certaine confronté à une Expertise médico-légale dans les années prochaines pour un acte récent ou ancien, un patient ayant jusqu’à 10 ans après sa majorité, soit 28 ans après sa naissance pour entamer une procédure devant un tribunal administratif ou judiciaire , ou une CCI
Ces expériences pour les praticiens sont difficiles à vivre humainement. La douleur des familles est au premier plan, visible, palpable,  la confrontation est toujours une épreuve, leur pratique médicale est analysée, débattue , même lorsqu’il n’y a aucun manquement, et le praticien a  du mal à intégrer que ces expertises ne sont pas accusatoires.

Rappelons que pour une imputabilité soit retenue, il faut qu’il y ait faute et que le dommage et les séquelles soient de façon directe et certaine liés à la faute
L’Expertise est donc le moment où l’histoire clinique est déroulée, discuté médicalement et analysé sur le plan médicolégal. Les Experts doivent déterminer si il existe une faute, un lien de causalité entre cette faute et les dommages, examiner le ou la patiente, évaluer les préjudices . Ils rendent un avis éclairé au Juge ou à la CCI , qui dans un deuxième temps statuera. Ces réunions sont contradictoires et doivent permettre à chacun, patients, avocats, médecins, soignants ( sage femme ), représentants des cliniques ou hopitaux, médecins conseil, de s’exprimer.
Afin de s’y préparer, nous proposons dix conseils pour la pratique

1. Connaitre les bonnes pratiques et les recommandations dans son domaine de compétence

des recommandations de prise en charge sont régulièrement publiées par le CNGOF et par l’HAS, il faut les connaître et les appliquer.
les Experts se reportent toujours à ces publications, ou se réfèrent à des bibliographies. Il faut le jour de l’expertise connaître les recommandations et la bibliographie à l’époque des faits et récuser les publications postérieures aux faits.

2. Nécessité d’avoir un dossier correct

L’Expert doit pouvoir, parfois 20 ans plus tard :

  • lire une observation détaillée,
  • comprendre un raisonnement, évaluer la conformité  des décisions prises , la qualité de l’information donnée

l’observation doit être détaillée, manuscrite ou informatique,  pouvoir être identifiée, datée, voire horodatée
Elle doit être lisible et compréhensible, sans trop d’abrévations
Elle est souvent comparée aux notes infirmières, souvent plus complètes, en cas d’hospitalisation
Les actes techniques doivent être détaillés, les compte rendus  d’accouchement précis

3. Respecter les  protocoles du service

Il doit exister dans chaque structure des Protocoles d’organisation (procédures d’appel, organisation des astreintes ou des gardes, protocoles de transfert, fonctionnement d’un réseau), mais aussi des protocoles pour chaque situation clinique sachant que ces protocoles peuvent être ceux des Sociétés Savantes, mais réécrits et adaptés localement. Il y a des « cultures locales » , des centres plus voie basse ,
L’obstétricien  doit alors avoir eu une attitude conforme aux protocoles du service.
Il doit pouvoir les fprésenter , ainsi que les statistiques du service et de sa pratique personnelle

4. Tracer l’information donnée

L’information est un point essentiel dans les analyses médicolégales. Une des causes les plus fréquentes de déclenchement des procédures est clairement l’absence d’information
L’information doit être claire, tracée
Le choix de la voie d’accouchement par la patiente dans les situations à risque (gemellité, siège par ex) doit être respecté, tracé.
En général les décisions de staff doivent être respectées

5. Connaître ses limites et les limites des structures dans lesquelles on travaille

La réglementation fixe des cadre d ‘exercice avec des limites
Le même médecin, avec les mêmes compétences, la même formation ne peut pas travailler de la même façon dans une maternité de niveau 1 ,  2 ou 3
Un expert reprochera toujours au Médecin d’avoir pris des risques dans une structure inadaptée, il ne reprochera jamais l’inverse. Il est toujours dangereux, par orgueil ou par sympathie pour une famille, de ne pas vouloir passer la main, c’est faire prendre un risque à son patient (d’où une Perte de Chance évidente) mais c’est prendre un risque pour soi-même
La prise en charge d’un patient doit aussi tenir compte de sa fragilité, de sa fiabilité, des problèmes de compréhension, de l’heure de la journée, du jour de la semaine.
Les établissements dans lesquels les médecins travaillent, en dehors des médecins salariés, ont leur propre assurance. En cas de mise en cause, il y a immédiatement conflit d’intérêt, l’établissement ne  couvrira jamais le médecin, il faut donc limiter les sujets de conflit possible  
L’organisation fait partie des premières questions de l’Expert aux praticiens lors des réunions d’expertise : qualification, formation, protocoles, organisation des soins , gardes , nombre de salles d’accouchement, existence d’un bloc obstétrical dédié,
Ainsi il faut être très vigilant sur les conditions de travail et prendre en compte un éventuel défaut de la structure dans la prise de ses décisions (exemple manque de personnel)
Dans le même ordre d’idées, nous recommandons à tous les praticiens qui travaillent en équipe, de se présenter lors des actes, d’expliquer leurs gestes, leur choix aux patients et de ne jamais faire apparaître des dissensions au sein de l’équipe.
Des années plus tard, ces dissensions sont toujours amplifiées par les patients et interprétées comme une des causes de leur supposée mauvaise prise en charge

6. Comprendre que l’acte médical ne se limite pas à son exécution, et que le comportement du médecin est essentiel

Le suivi du patient pour un médecin est fondamental en médicolégal
Un sms, un email, un appel téléphonique engage la responsabilité du médecin au décours de sa consultation, avant tout acte
Ceci est vrai en Ville, mais aussi en Maternité.
Il ne faut pas avoir fait preuve de négligence en ne répondant pas à un appel, en refusant de se déplacer
Il faut savoir garder ses distances avec les patients, être poli, les écouter

7. Savoir gérer l’accident

il est essentiel pour le praticien de ne pas perdre le contact avec la famille et de les accompagner (donner des nouvelles, prendre des nouvelles, maintenir le lien) en cas d’accident
Il ne faut pas non plus admettre d’emblée une faute pour soi ou faire porter la faute à un collègue, par souci déontologique mais aussi car les patients en feront état en déformant souvent des propos malheureux, prononcés dans l’urgence. Il faut expliquer les faits, ne pas se défausser, écouter les familles, mais ne pas porter de jugement et laisser le temps au temps
Dans les jours et les semaines qui suivent, il faut rencontrer les familles, si elles le souhaitent, retracer avec eux les événements, les écouter. C’est la meilleure façon d’éviter une procédure.
Il est essentiel aussi, si on travaille dans un service ou une structure d’analyser en équipe, les circonstances, les causes éventuelles de l’accident Cela peut être fait en réunion de service, lors d’une RMM
Les Experts et les familles apprécient beaucoup ces démarches, les conclusions de ces réunions  anonymisées ne sont en général pas fournies par les médecins conseils, qui en attestent l’existence

8. Bien préparer l’expertise

Le praticien a intérêt à préparer la réunion avec le médecin conseil qui lui a été désigné par sa compagnie d’assurance. Ensemble ils reconstitueront les faits, analyseront les pièces, réclameront les pièces manquantes, feront une première analyse médicolégale, prépareront les arguments de défense, en se replaçant à l’époque des faits, rechercheront de la bibliographie
Les éléments de procédure seront discutés avec l’avocat conseil et les compagnies d’assurance, qui ont des médecins de siège très avisés et des services juridiques
En cas de dossier compliqué où plusieurs praticiens sont impliqués, au sein d’un établissement par exemple, il est bon d’organiser une réunion préparatoire avec tous les intervenants.
Le praticien devra préparer son CV et expliquer ses conditions d’exercice et son mode de fonctionnement

9. Se comporter « éthiquement » le jour de l’expertise

Le praticien, même hospitalier, a toujours intérêt à être présent, même si c’est un moment pénible pour lui. Sa présence témoigne de son éthique de responsabilité, ce qui est très important et pour la famille et pour l’Expert 
Les patients ont besoin de comprendre ce qui s’est passé, d’échanger avec le praticien., de rapprocher des vérités.
Il faut ce jour-là respecter les codes, se présenter, ne parler qu’à l’expert, ne pas inventer, ne pas broder, écouter les autres
Il faut rester factuel, ne pas faire l’analyse médicolégale, laisser cette discussion aux experts et aux conseils
Il faut se montrer empathique, se rappeler que les familles sont dans la souffrance, que ces expertises ne sont pas accusatoires. Les préjudices sont souvent très lourds dans nos spécialités, les familles sont souvent détruites, les vies gâchées, il faut savoir entendre leur détresse sans se sentir coupable. Il faut éviter de mettre sur le même pied la souffrance des familles et celles du praticien , car c’est inaudible. Le médecin peut exprimer des regrets, des excuses, mais il doit faire attention à ne pas se victimiser.

10. Se mettre dans les conditions du médicolégal dans sa pratique quotidienne

l’Obstétrique et la Néonatologie  sont des  spécialités difficiles, les risques sont quotidiens, les enjeux sont énormes
l’accouchement par voie basse , en dehors de toute manœuvre obstétricale ( forceps , ventouse ) n’est pas considéré par la loi comme un acte de soin, mais comme un acte naturel.
Pourtant nous savons tous combien un événement naturel , heureux, peut tourner au drame humain en quelques minutes
Il faut donc de mettre dans des conditions telles que les risques encourus soient les moins importants et que les gestes soient expliqués aux patientes.
Il faut aussi vérifier son contrat d’assurance , le montant des indemnisations, l’existence ou non d’un plafond, les délais de carence en cas de changement d’activité ou de retraite.

Tableau 1 : les différentes procédures

 

ACTION PÉNALE

ACTION CIVILE

 

Contre un professionnel ou un établissement de santé privé

Contre un professionnel ou un établissement public de santé

 

OBJET

Sanction des fautifs

Indemnisation de la victime

 

AUTEUR DE L’ACTION

Le Parquet
(Procureur)

La victime

 

COMPÉTENCE

Juge répressif
(Tribunal de police, tribunal correctionnel, Cour d’Assises)

Tribunal Judiciaire

Tribunal Administratif

 

 

CCI

Cour d’Appel

Cour Administrative d’Appel

Cour de cassation

Conseil d’État

DÉLAI DE PRESCRIPTION DE L’ACTION

Contraventions : 1 an
Délits : 6 ans
Crimes : 20 ans

Actes de prévention, diagnostic ou soins :
10 ans à compter de la majorité.

 

 

Tableau 2
Les principales cause d’expertise dans mon expérience -en néonatologie
 anoxoischémie quelle qu’en soit la cause ( 80 %  des expertises)
. avc néonatal
. plexus brachial
. prise en charge d’une malformation cardiaque, digestive
. infection néonatale ( importance des recommandations)
. maladie métabolique à révélation précoce
. prise en charge de l’ictère
. mort subite en salle de naissance
. problèmes d’organisation
. erreur dans le diagnostic anténatal ( mais loi 2002 protège les praticiens)