Le THM pourrait-il limiter voire prévenir la maladie d’Alzheimer chez les femmes à risque, en particulier les porteuses du gène de l’APOE4 ?

C’est ce que suggère l’article « Hormone replacement therapy is associated with improved cognition and larger brain volumes in at‑risk APOE4 women: results from the European Prevention of Alzheimer’s Disease (EPAD) cohort” publié par Saleh et al dans la revue Alzheimer’s Research & Therapy début 2023 (https://doi.org/10.1186/s13195-022-01121-5)

 

1. Description de l’étude

Cette étude utilise les données de la cohorte européenne EPAD (European Prevention of Alzheimer Dementia) qui a pour but une modélisation préclinique de la maladie d’Alzheimer avec évaluation cognitive, étude des biomarqueurs et des facteurs de risque. Sachant que l’APOE4 est le principal facteur de risque génétique, le but de ce travail est de répondre à la question : le THM a-t-il un effet différent sur le déclin cognitif suivant la présence ou non de cet allèle ?

Il s’agit d’une étude transversale sur 1 074 femmes, dont 83 ont pris un THM introduit à un âge variable par rapport au début de la ménopause sur une durée moyenne de 8 ans. L’interaction THM et APOE a été évaluée sur une batterie de tests cognitifs et une IRM volumétrique en tenant compte de l’âge, du moment d’initiation du THM (quand il était connu) par rapport au début de la ménopause. De multiples régressions linéaires ont été établies en tenant compte d’un grand nombre de facteurs confondants.

Les effets du THM ne sont manifestes qu’en présence de l’APOE4 (ε4/ε3) avec :

  • Amélioration de la mémoire à long terme (interaction p = 0,009).
  • Le cortex entorhinal et l’amygdale ont un volume significativement augmenté de 6 à 10%.

De plus, un THM introduit précocement dès le début de la ménopause s’accompagne d’une augmentation du volume de l’hippocampe (p = 0,03). Par contre, chez les femmes n’ayant pas l’allèle APOE4 il n’y a pas d’effet cognitif et le THM s’accompagne d’une diminution de volume du cortex entorhinal (p = 0,03). La mise en évidence d’un effet préventif vis-à-vis de la maladie d’Alzheimer (amélioration des tests de rappel retardés et augmentation de volume de zones corticales impliquées dans la maladie d’Alzheimer) pour les seuls patients porteurs l’allèle APOE4 souligne, pour les auteurs de l’article, l’intérêt d’une « médecine personnalisée » dans la prévention de la maladie d’Alzheimer. Les résultats de cet article pourraient ainsi jeter les bases de futures études randomisées pour confirmer l’intérêt du THM suivant le statut APOE de la femme.

 

2. Que faut-il en penser ?

Cette étude pour intéressante qu’elle soit présente quelques limites. Il s’agit d’une étude transversale qui ne comporte qu’un faible nombre de femmes porteuse du gène de l’APOE4 ayant pris un THM un (n=30). L’âge de début du THM est trop rarement disponible. De plus, aucune information est donnée sur le type de traitement, les séquences thérapeutiques, les doses, le type progestatifs… en sachant qu’une grande majorité de femmes prenait, dans les 10 pays européens participant, un estrogène oral (estradiol (E2) ou estrogènes conjugués équins (ECE)) associés à un progestatifs de synthèse. Or, des données semblent indiquer que l’estradiol par voie cutanée en association à la progestérone naturelle serait davantage protecteur au niveau du système nerveux central que les estrogènes oraux et particulièrement en cas d’association avec les progestatifs de synthèse.

 

3. Quelle implicabilité du gène de l’APOE dans la maladie d’Alzheimer ?

Dans la population générale, la prévalence de l’APOE4 est autour de 20%, celle de l’APOE2 (considérée comme protecteur) de 7% et celle de l’APOE3 (considérée comme neutre) de 73%.L’APOE4, délétère pour la maladie d’Alzheimer, influence de façon défavorable de très nombreuses fonctions biologiques : l’inflammation, les dépôts de protéine bêta-amyloïde, la neurogenèse, la fonction synaptique, le métabolisme lipidique…

Il est plus délétère chez la femme, avec un risque multiplié par 4 à 65 ans. Il est fort probable qu’une des raisons de cette différence soit la perte de l’effet neuroprotecteur des estrogènes au moment de la ménopause, la susceptibilité maximale chez la femme étant la première décade suivant l’arrêt du fonctionnement ovarien. Les bouffées de chaleur de la transition ménopausique s’accompagnent d’une crise bioénergétique cérébrale Alzheimer-like avec diminution du débit sanguin cérébral, du volume des substances grises et blanches cérébrales, et augmentation des dépôts de protéine bêta-amyloïde. Ces altérations sont encore majorées en présence l’allèle APOE4 (MOSCONI 2021).La logique voudrait que le THM soit utilisé en première ligne de prévention en début de ménopause, mais les résultats des études publiées jusqu’à présent n’emportent pas la conviction. Il est en effet impossible de réaliser une étude randomisée avec un suivi à très long terme (au moins 20 ans) ce qui force le recours aux paramètres intermédiaires.

Dans l’étude ancillaire de l’étude KEEPS (randomisée sur 4 ans : placebo, E2, ECE), seul l’E2 transdermique (au contraire de l’ECE) s’est accompagné d’une réduction significative des dépôts cérébraux de protéine bêta-amyloïde, la réduction étant encore plus importante chez les femmes porteuse de l’APOE4.

Par contre, aucune des deux études randomisées KEEPS et ELITE n’a montré de différence cognitive avec un THM, quel qu’il soit, chez des patientes en bonne santé en début de ménopause. Les tests cognitifs sont en effet toujours en retard compte tenu de la réserve cognitive cérébrale et des circuits de compensation qui prennent le relais en cas de souffrance.L’étude EPAD, dont il a été question précédemment, n’a utilisé que la seule IRM volumétrique. Mais l’interprétation de cette dernière n’est pas univoque : il est des situations où la souffrance cérébrale s’accompagne d’une augmentation de volume !

L’IRM fonctionnelle, l’étude des débits sanguins cérébraux locorégionaux, et l’IRM de diffusion (permettant la visualisation des faisceaux d’axone et de la connectivité) pourraient permettre une meilleure appréhension des effets du THM et de son intérêt possible, voir probable, en prévention de la maladie d’Alzheimer. Encore faudrait-il qu’elle soit réalisée avec de l’E2 transdermique et la progestérone naturelle !

 

4. Vers une médecine personnalisée, faut-il rechercher l’APOOE4 ?

La recherche de l’APOE4 ne paraît aujourd’hui ni utile, ni souhaitable en pratique clinique quotidienne ; elle pourrait même être dangereuse….
Nous ne disposons pas à l’heure actuelle de traitement ou de thérapie génique susceptible de contrer de façon suffisamment importante l’effet délétère de cet allèle. Le surrisque de maladie d’Alzheimer découlant de sa connaissance serait générateur de peur et d’angoisse… Il doit être réservé à la recherche, mais il peut s’avérer parfois intéressant pour préciser un tableau clinique mal compris. Les mesures préventives du déclin cognitif, hygiène de vie, alimentation, exercice physique sont maintenant bien connues et doivent être prônées pour tous, le risque de démence s’accroissant inévitablement chez chacun avec l’âge.

Au total, cette étude met en évidence l’effet protecteur majoré du THM chez les femmes porteuses de l’allèle APOE4. Pour intéressant qu’elles soient, ces données d’une étude transversale sont tout à fait insuffisantes pour envisager de prescrire le THM dans le seul but de la prévention de la maladie d’Alzheimer même dans ce groupe de patientes.
Nous attendons avec impatience des études randomisées pour valider l’intérêt d’un bénéfice préventif cognitif du THM prescrit dans la fenêtre d’intervention, intérêt pour toutes les femmes, même si celles « à risque » pourraient en tirer un bénéfice majoré.