Peut-on réduire la radicalité de la chirurgie pour cancer du col de stade précoce et offrir une meilleure préservation de la fertilité ?

Introduction

Les progrès effectués dans la prise en charge des cancers résident d’une part dans l’amélioration du pronostic et la réduction de la mortalité mais aussi et surtout dans la réduction de la morbidité des traitements. De tels progrès ne sont possibles que grâce à une meilleure connaissance de la maladie cancéreuse et en particulier grâce à l’identification de facteurs pronostiques précis permettant une adaptation optimisée des thérapeutiques et de la prise en charge globale. La prise en charge du cancer du col de stade précoce est elle aussi en train d’évoluer dans ce sens. Le traitement du cancer du col (stade IA2-IB1) repose classiquement sur la réalisation d’une hystérectomie élargie complétée du prélèvement du ganglion sentinelle ou d’un curage ganglionnaire pelvien.1,2 La trachélectomie élargie est l’alternative chirurgicale qui peut être proposée aux patientes souhaitant préserver leur fertilité.3,4 Dans tous les cas, l’élargissement du geste chirurgical aux paramètres est la principale cause de complications post-opératoires avec une morbidité incluant les troubles urinaires, sexuels et sphinctériens qui sont imputables aux lésions neurologiques associées à ce type de chirurgie.5  A ceci s’ajoute la morbidité urinaire associée au risque de lésion urétérale directe et indirecte et à ses complications secondaires.6 La rentabilité de l’élargissement du geste aux paramètres est pourtant limitée et dépend directement des caractéristiques initiales de la lésion cancéreuse traitée ; le taux d’atteinte paramétriale observée pour les cancers du col de stade IB1 ne serait que de 6 à 31 %.6–8 Les données actuelles de la littérature permettent d’identifier quels sont les facteurs de risque d’atteinte paramétriale et de mieux cibler les indications chirurgicales avec à la clé une réduction de la morbidité pour les patientes.

 

Facteurs de risque d’atteinte paramétriale et adaptation du geste chirurgical

Les facteurs identifiés aujourd’hui comme influençant directement la probabilité d’atteinte paramétriale et le pronostic des cancers du col de stade précoce sont : le type histologique, la taille tumorale, la présence d’emboles tumoraux, l’atteinte ganglionnaire et la profondeur de l’atteinte stromale. 5,9–11 Concernant le type histologique, il ne semble pas exister de différence entre les formes histologiques les plus fréquentes du cancer du col que sont le carcinome épidermoïde et l’adénocarcinome en termes de risque d’atteinte paramétriale. Seules les formes histologiques rares telles que les tumeurs neuro-endocrines dont le risque de récidive et d’évolution métastatique est plus important font craindre une diffusion paramétriale et ganglionnaire plus importante.12 Le risque d’atteinte paramétriale serait nul pour les tumeurs de moins de 2 cm.9,11 A ceci s’ajoute le fait que l’importance de l’élargissement du geste chirurgical aux paramètres ne serait d’aucun bénéfice pour les tumeurs de moins de 2 cm.10 La présence d’emboles tumoraux est un facteur pronostic déterminant du cancer du col de l’utérus qui est directement associé à la probabilité d’atteinte paramétriale et ganglionnaire.10 Enfin, une extension stromale de la tumeur de plus de 10 mm de profondeur est elle aussi associée au risque d’atteinte paramétriale.9 La connaissance de ces facteurs illustre d’une part l’insuffisance de la classification de FIGO pour l’identification précise du pronostic de ces patientes et l’optimisation du geste thérapeutique. Elle permet d’autre part d’identifier au sein de ces cancers précoces les patientes pour lesquelles la probabilité d’atteinte paramétriale est extrêmement faible. Ainsi, à partir de l’analyse de 243 cas de cancer du col de stade IA2-IB1 ayant eu une hystérectomie élargie, aucun cas d’atteinte paramétriale n’a été identifié chez les 95 (39,1 %) patientes étant identifiées comme étant à bas risque : carcinome épidermoïde ou adénocarcinome de grade 1-2 de moins de 2 cm, sans emboles, sans atteinte ganglionnaire pelvienne et ayant une invasion stromale de moins de 10 mm de profondeur.9 Il est évident que pour ces patientes, l’élargissement du geste chirurgical aux paramètres pourrait être évité.

 

Adapter la chirurgie de préservation de la fertilité en cas de cancer du col de stade précoce

La réalisation d’une trachélectomie élargie est le traitement de référence pour les patientes ayant un cancer du col de l’utérus de stade précoce souhaitant préserver leur fertilité.3,4 Elle est classiquement envisageable pour les femmes en âge de procréer formulant un désir de grossesse ayant un cancer du col de l’utérus de type carcinome épidermoïde ou de type adénocarcinome de moins de 2 cm, sans atteinte des paramètres ni de l’isthme utérin et sans atteinte ganglionnaire.3 Logiquement, les facteurs associés au pronostic de ces patientes sont les mêmes que ceux cités précédemment. Ainsi, le meilleur pronostic est observé pour les tumeurs de moins de 2 cm et en l’absence d’emboles.11 On notera que dans ces cas, le risque d’atteinte paramétrial est quasi nul et remet donc en question l’utilité d’un geste élargi. Pour ces raisons, la possibilité de réaliser une trachélectomie simple, voire une conisation ont été évoquées pour les patientes répondant aux critères de meilleur pronostic.13–15 L’intérêt d’une réduction de l’élargissement du geste opératoire aux paramètres réside bien évidemment dans l’amélioration du pronostic obstétrical en cas de grossesse ultérieure. Globalement, quand on considère toutes les techniques de préservation de la fertilité on estime le taux de fertilité, de naissance vivante et d’accouchement prématuré à 55 %, 70 % et 38 % , respectivement.15 Mais la réalisation d’une trachélectomie simple ou d’une conisation, si elles ne modifient pas le taux de naissance vivantes obtenues par rapport à une trachélectomie élargie, permettent de réduire par deux le risque d’accouchement prématuré et la morbidité qui en découle sans pour autant sembler modifier le pronostic oncologique. 15  Le risque d’accouchement prématuré passerait ainsi de 39 % à 15 %, respectivement.15 Concernant l’efficacité d’une conisation ou d’une trachélectomie simple réalisée dans cette indication, on dénombre aujourd’hui 13 études rapportant les cas de 242 patientes ayant bénéficié d’une conisation ou d’une trachélectomie simple pour la prise en charge d’un cancer de stade IB1 de moins de 2 cm.16  Au total, seules 4 récidives ont été identifiées pour les patientes qui n’avaient pas d’atteinte ganglionnaire initiale. 16 Aucun cas de récidive ne semble à ce jour avoir été rapporté après une conisation ou une trachélectomie simple pour un cancer du col de stade IB1 de moins de 2 cm en l’absence d’emboles.16

 

La problématique des emboles

Si l’existence d’emboles tumoraux lympho-vasculaires est un facteur pronostique essentiel dans le cancer du col et un élément déterminant pour le choix d’un geste chirurgical pour les cancers de stade précoce, ce terme désigne pourtant des situations différentes selon leurs caractéristiques telles que la localisation exacte de ces emboles par rapport au foyer cancéreux, leur nombre et leur localisation vasculaire et/ou lymphatique.16 Malheureusement les données de la littérature ne permettent pas d’évaluer correctement ces paramètres, car ces précisions ne sont généralement pas disponibles. Il est essentiel que les anatomopathologistes prennent le temps de donner une description précise des éventuels emboles identifiés pour permettre une décision optimale. Si l’absence d’emboles est la règle pour permettre d’éliminer le risque d’atteinte paramétriale et permettre une chirurgie non étendue aux paramètres, il est probable que ce type de chirurgie soit envisageable en cas d’emboles peu nombreux, isolés et localisés à proximité immédiate du foyer tumoral. A titre d’illustration, aucun cas de récidive n’a à ce jour été mis en évidence après la pratique d’une conisation ou d’une trachélectomie simple pour la prise en charge initiales de cancers micro-infiltrants de stade IA1 avec emboles positifs.17

 

La nécessité d’une évaluation initiale optimale

Avant tout chose, la connaissance des facteurs permettant d’envisager une chirurgie moins agressive en cas de cancer du col de stade précoce impose la réalisation d’un bilan initial le plus précis possible à la recherche de ces facteurs. Si l’examen clinique reste incontournable, il n’apporte que très peu de précisions. L’IRM pré thérapeutique sera indispensable pour évaluer le stade précis et la taille tumorale maximale. Elle pourra être éventuellement complétée d’une TEP-TDM pour l’évaluation ganglionnaire initiale. Mais surtout, l’évaluation précise de la présence d’emboles et les caractéristiques précises de ceux-ci, de même que l’étendue de l’atteinte stromale en profondeur doivent faire indiquer la réalisation d’une conisation initiale dans ce seul et unique but en cas de tumeur de stade IB1 ou moins avancé et de tumeur de moins de 2 cm à l’IRM.

 

Conclusion

Les facteurs associés à l’absence d’envahissement paramétrial et permettant d’envisager une chirurgie non élargie aux paramètres en cas de cancer du col de stade précoce sans atteinte ganglionnaire sont aujourd’hui connus. Ce type de désescalade thérapeutique pourra ainsi être proposée aux patientes ayant un cancer IA2-IB1 sans atteinte ganglionnaire de type carcinome épidermoïde ou adénocarcinome de moins de 2 cm, sans emboles lympho-vasculaires et dont l’extension stromale en profondeur est de moins de 10 mm. Pour ces patientes, il est aujourd’hui raisonnable de proposer une chirurgie non élargie aux paramètres afin d’en diminuer la morbidité. Dans le cas d’un souhait de préservation de la fertilité chez une femme en âge de procréer, une trachélectomie simple ou une conisation en marges saines pourra alors être envisagée dans le but d’un meilleur pronostic obstétrical ultérieur. Une telle prise en charge ne sera possible qu’après une évaluation initiale scrupuleuse incluant une conisation initiale avec une analyse histologique documentée.

 

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