L’échographie obstétricale est un outil indispensable du suivi prénatal, permettant le dépistage des malformations fœtales et le suivi du développement. Néanmoins, son efficacité dépend fortement de l’expertise de l’opérateur et de la qualité des images obtenues. Des facteurs comme la position fœtale, l’épaisseur abdominale maternelle ou les artefacts peuvent limiter la détection de certaines anomalies. Ces contraintes font de l’échographie un domaine propice à l’assistance par l’intelligence artificielle (IA), en particulier via le deep learning, afin d’améliorer l’acquisition et l’interprétation des images. Depuis 2023, on observe une accélération des travaux de recherche sur l’IA en imagerie prénatale, avec de nombreuses études explorant son apport dans différents aspects du diagnostic obstétrical
1- Automatisation et assistance à l’exhaustivité et à la qualité des images
Un avantage majeur de l’IA en échographie est d’automatiser certaines tâches répétitives ou techniques, afin d’assister le clinicien et de standardiser les examens. Les développements récents se sont dirigés dans trois directions : (a) l’acquisition automatisée des plans standard, (b) l’analyse assistée de la qualité des images et (c) la mesure automatique des biométries fœtales. Ces tâches sont en effet cruciales pour obtenir un examen complet et fiable : s’assurer que l’opérateur capture bien toutes les vues obligatoires (cerveau, cœur, profil, colonne, etc.), et mesurer de façon reproductible les dimensions fœtales (p. ex. diamètre bipariétal, longueur fémorale). Grâce au deep learning, il est désormais possible d’entraîner des réseaux de neurones à reconnaître instantanément si une image appartient à un plan donné et si elle est de qualité adéquate. Par exemple, des algorithmes de classification d’images par des réseaux de neurones convolutifs ont atteint une précision supérieure à 98% pour distinguer différentes coupes échographiques (tête, abdomen, profil, cœur, etc.) dans des bases d’images fœtales (1). En pratique, un tel système intégré à l’échographe peut guider en temps réel l’opérateur en vérifiant qu’aucun plan n’a été oublié et que les images saisies montrent bien les structures clés. Toutefois il convient de remarquer que ces différents plans de coupe et leur contrôle qualité doivent reposer sur des recommandations issues de sociétés savantes comme l’ISUOG (2) ou la CNEOF (3). De plus le Collège Français d’Echographie Fœtale a mis en place une grille de lecture établie par méthode Delphi auprès de 28 experts qui permet de définir les critères de conformité pour chaque coupe recommandé (4).
Concernant la biométrie automatique, plusieurs outils exploitant la vision par ordinateur sont déjà en usage ou en validation. L’IA peut segmenter de façon reproductible les contours de structures fœtales (tête, abdomen) et en déduire automatiquement les mesures. En 2023–2024, ces approches se sont affinées : l’algorithme peut non seulement tracer les contours de la tête fœtale, mais aussi sélectionner la meilleure image parmi une série pour effectuer la mesure, imitant ainsi le processus cognitif du professionnel de santé. L’automatisation permet de réduire la variabilité inter-observateur et de gagner du temps. Dans l’essai PROMETHEUS (5), les mesures automatiques des biométries présentaient une répétabilité et une reproductibilité supérieures aux mesures manuelles des échographistes, témoignant de la fiabilité de ces outils.
Un développement notable est l’application de l’IA aux volumes 3D/4D. Désormais, il est possible de réaliser un balayage volumique rapide et de laisser l’IA reconstituer les coupes 2D standard à partir de ce volume. Une équipe a ainsi conçu un réseau de neurones 3D (de type U-Net) capable de localiser automatiquement les plans clés du SNC fœtal au sein d’un volume échographique : en moins de 12 secondes, le système reconstruit 9 vues diagnostiques du cerveau (plans axiaux, sagittaux, coronaux normés) avec une grande fiabilité, produisant un « neurosonogramme » complet quasiment sans intervention humaine (6)
En somme, l’automatisation par IA en échographie obstétricale pourrait améliorer le flux de travail et la standardisation des examens. L’IA en jouant un rôle d’un assistant numérique pourrait réaliser les tâches fastidieuses en arrière-plan, laissant au clinicien le soin de synthétiser le diagnostic final. L’intégration progressive de ces fonctions dans les échographes commerciaux (certains appareils récents intègrent déjà des modules d’IA pour la reconnaissance d’images et pour la mesure automatique) laisse envisager une adoption croissante dans la pratique quotidienne.
2- Dépistage des malformations fœetales par l’IA
Le dépistage prénatal des anomalies congénitales (cardiaques, cérébrales, etc.) a beaucoup bénéficié des techniques d’IA ces dernières années. Les malformations cardiaques et du système nerveux central (SNC) ont été des cibles privilégiées, en raison de leur fréquence et de la complexité du diagnostic prénatal. Plusieurs études montrent que l’IA peut améliorer la sensibilité de détection des malformations. Par exemple, un modèle d’IA commercial récemment validé (Sonio “Suspect”) a reçu en 2025 l’approbation de la FDA après avoir démontré une amélioration statistiquement significative de 22 % dans la détection des anomalies (de 69 % à 91 % de l'AUC, p < 0,001 )sur une étude multicentrique sur les performances des lecteurs, menée sur 47 sites, dont 37 aux États-Unis (7).
De même, un système d’IA dédié au cerveau fœtal a été évalué dans un essai contrôlé randomisé en 2023 : l’assistance par IA a permis d’augmenter l’exactitude de détection des malformations intracrâniennes de 73% à 82% (p<0,001) (8).
Une étude clinique menée à Londres (5) a comparé des examens morphologiques standard à des examens assistés par IA sur des fœtus atteints ou non de cardiopathie : la sensibilité de détection des anomalies était légèrement meilleure avec l’IA (88,9% vs 81,5%) et la spécificité également (98,0% vs 92,2%), bien que la différence n’atteigne pas significativement le seuil statistique.
Ces résultats, conjugués aux autres, confirment la promesse de l’IA pour accroître le dépistage des malformations fœtales, en particulier pour les anomalies difficiles à visualiser où l’œil humain peut passer à côté. L’IA ne se substitue pas au clinicien, mais agit comme un « second regard » ultra-rapide qui signale des structures anormales ou des images suspectes méritant une attention accrue. Dans la pratique, les meilleurs résultats sont obtenus en combinant l’analyse automatisée et le savoir-faire clinique. L’IA excelle dans la reconnaissance de motifs visuels complexes et la rapidité d’exécution, tandis que l’humain conserve une supériorité pour l’interprétation globale, la corrélation avec le contexte clinique et la prise de décision empathique. Mais c’est surtout l’IA comme co-équipier du médecin qui apporte le plus de bénéfices. Cette notion d’intelligence augmentée (le clinicien augmenté par l’IA) est le paradigme qui se dessine dans la littérature récente. L’enjeu n’est pas de remplacer l’échographiste, mais de lui fournir un outil fiable qui « sécurise » ses examens, augmente son rendement diagnostique et compense d’éventuels manques.
En conclusion, la période récente a confirmé le potentiel de l’IA pour augmenter l’échographie obstétricale mais nous sommes qu’au début d’une nouvelle aventure et d’une nouvelle manière de travailler. Tout ceci va obligatoirement nécessiter de nombreuses évaluations externes en pratique clinique et une appropriation de ces nouveaux outils. L’IA en santé est l’alliance entre l’innovation représentée par les mathématiciens/informaticiens et l’expérience représentée par les professionnels de santé passionnés par l’échographie obstétricale.
Bibliographie
- Rauf F, Attique Khan M, Albarakati HM, Jabeen K, Alsenan S, Hamza A, Teng S, Nam Y. Artificial intelligence assisted common maternal fetal planes prediction from ultrasound images based on information fusion of customized convolutional neural networks. Front Med (Lausanne). 2024 Oct 29;11:1486995. doi: 10.3389/fmed.2024.1486995. PMID: 39534222; PMCID: PMC11554532.
- L. J. Salomon, Z. Alfirevic, V. Berghella, et al., “ISUOG Practice Guidelines (Updated): Performance of the Routine Mid- Trimester Fetal Ultrasound Scan,” Ultrasound in Obstetrics & Gynecology 59, no. 6(2022): 840–856.
- Bultez T, Salomon LJ, Mahallati H, Fries N; CNEOFT2 Study Group. Feasibility of a Standardised Mid-Trimester Ultrasound Protocol: A National Multicenter Study. BJOG. 2025 Feb 13. doi: 10.1111/1471-0528.18102. Epub ahead of print. PMID: 39949187.
- Grille des images T2 CNEOF 2022 : https://www.cfef.org/etudes_flash/etude_19/aide/Grille_T2_2022.pdf
- Thomas Day, Jacqueline Matthew, Samuel Budd, Alfonso Farruggia, Lorenzo Venturini, Robert Wright, Babak Jamshidi, Meekai To, Huazen Ling, Jonathon Lai, MinYi Tan, Matthew Brown, Gavin Guy, Davide Casagrandi, Anastasija Arechvo, Argyro Syngelaki, David Lloyd, Vita Zidere, Trisha Vigneswaran, Owen Miller, Ranjit Akolekar, Surabhi Nanda, Kypros Nicolaides, Bernhard Kainz, John M. Simpson, Jo V. Hajnal, Reza Razavi. Artificial Intelligence to Assist in the Screening Fetal Anomaly Ultrasound Scan (PROMETHEUS): A Randomised Controlled Trial medRxiv 2024.05.23.24307329; doi: https://doi.org/10.1101/2024.05.23.24307329
- Weichert J, Scharf JL. Advancements in Artificial Intelligence for Fetal Neurosonography: A Comprehensive Review. J Clin Med. 2024 Sep 22;13(18):5626. doi: 10.3390/jcm13185626. PMID: 39337113; PMCID: PMC11432922.
- https://www.contemporaryobgyn.net/view/fda-clears-sonio-suspect-ai-for-fetal-anomaly-detection#
- Lin M, Zhou Q, Lei T, Shang N, Zheng Q, He X, Wang N, Xie H. Deep learning system improved detection efficacy of fetal intracranial malformations in a randomized controlled trial. NPJ Digit Med. 2023 Oct 13;6(1):191. doi: 10.1038/s41746-023-00932-6. PMID: 37833395; PMCID: PMC10575919.
* Consultant chez Sonio; Past Président du CFEF; https://imagynecho.fr