Prise en charge de la menace d'accouchement prématuré : existe-t-il un tocolytique qui soit meilleur que les autres ?

La prescription de produits tocolytiques est un des points clés de la prise en charge de la menace d’accouchement prématuré (MAP). Cependant, il ne faut pas se méprendre sur leur efficacité et la finalité de leur utilisation ; l’utilisation de tocolytiques en cas de MAP ne permet pas une amélioration du devenir néonatal. Seule la corticothérapie anténatale permet de réduire la morbidité et la mortalité néonatale (1). La tocolyse retarde la naissance suffisamment longtemps pour permettre l’administration d’une corticothérapie anténatale et le transfert de la patiente dans une maternité de niveau adapté au terme de la grossesse pour une prise en charge néonatale optimale (2). De nombreuses molécules avec des mécanismes d’action différents ont été utilisées comme tocolytiques, en particulier les ß mimétiques, le sulfate de magnésium, les anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS), les inhibiteurs calciques, les nitrates, et les antagonistes de l’ocytocine. Le British Medical Journal a publié récemment une méta-analyse en réseau dont le but est de déterminer quel est le meilleur produit tocolytique pour retarder la survenue de la naissance en cas de MAP (3). La particularité et l’intérêt d’une méta-analyse en réseau est de permettre, à partir de l’inclusion d’études évaluant l’effet des tocolytiques sus-cités, de comparer deux à deux toutes les molécules évaluées, même si aucun essai n’a jamais directement comparé ces deux molécules entre elles. En clair, ce genre de méta-analyse permet par exemple, la comparaison de l’efficacité des antagonistes de l’ocytocine avec celle des nitrates, même si une telle comparaison n’a jamais été publiée dans un essai prospectif randomisé.

Seuls des essais prospectifs randomisés comparant deux tocolytiques entre eux ou un tocolytique avec un placebo ou la prise en charge habituelle d’une MAP chez des patientes à risque d’accouchement prématuré ont été inclus dans cette étude. Les essais évaluant la combinaison de deux tocolytiques ont été exclus de l’analyse. Au total, sur 3264 articles sélectionnés, 95 essais prospectifs randomisés ont été inclus dans cette méta-analyse. En moyenne, chacune de ces études avait inclus 111,9 patientes (rang 20-708). Le critère d’analyse principal de l’efficacité des tocolytiques était la survenue de la naissance plus de 48 heures après leur administration (délai nécessaire à l’administration d’une corticothérapie). Les critères d’évaluation secondaire étaient : la mortalité néonatale, la survenue d’un syndrome de détresse respiratoire néonatale et la survenue d’effets secondaires maternels. Pour chacun de ces critères, les tocolytiques étaient comparés entre eux avec le calcul de la probabilité d’être la molécule la plus efficace.

Concernant le critère de jugement principal de cette étude, à l’exception des nitrates et des autres molécules existantes, toutes les molécules testées étaient plus efficaces que le placebo pour retarder la naissance d’au moins 48 heures. Les résultats suggèrent que, par rapport à toutes les autres molécules, les AINS seraient les plus efficaces à retarder la naissance d’au moins 48 heures (Odds Ratio (OR) : 5,39) mais avec un niveau d’incertitude élevé pour ce résultat (Intervalle de Crédibilité (IC) à 95 % : 2,14-12,34). Les inhibiteurs calciques et le sulfate de magnésium avaient un meilleur effet que les antagosnistes de l’ocytocine, les nitrates, les ß mimétiques et le placebo. Les AINS étaient identifiés comme la molécule ayant la plus grande probabilité d’être la plus efficace pour retarder la naissance d’au moins 48 heures avec une probabilité d’être la meilleure molécule estimée à 83 %. La probabilité d’être parmi les 3 produits les plus efficaces pour retarder la naissance d’au moins 48 heures était de 96 % pour les AINS, 63 % pour le sulfate de magnésium, 57 % pour les inhibiteurs calciques, 33 % pour les ß mimétiques, 24 % pour les nitrates, 14 % pour les antagonistes de l’ocytocine, 13 % pour les autres molécules existantes et enfin 0 % pour le placebo.  La probabilité d’être parmi les 3 molécules les moins efficaces pour retarder la naissance d’au moins 48 heures était de 99 % pour le placebo, 79 % pour les autres molécules existantes, 52 % pour les nitrates, 41 % pour les antagonistes de l’ocytocine, 13 % pour les ß mimétiques, 10 % pour les inhibiteurs calciques, 5 % pour le sulfate de magnésium et 1 % pour les AINS.

Concernant les critères d’évaluation secondaire de cette méta-analyse, aucune molécule n’a fait la preuve de sa supériorité par rapport à un placebo pour réduire la mortalité néonatale ou la survenue d’un syndrome de détresse respiratoire néonatale. Pour ces deux critères, il ne semblait pas exister de molécule se démarquant nettement des autres. Ainsi, la molécule semblant être la plus efficace pour ces deux critères était les inhibiteurs calciques mais avec une probabilité d’être la plus efficace de seulement 41 % et  47 %, respectivement. Enfin, concernant les effets secondaires maternels, les résultats montrent que le placebo est à l’origine de moins d’effets secondaires maternels que toutes les autres classes thérapeutiques. La probabilité que le placebo soit une des trois molécules les moins responsables d’effets secondaires maternels était de 98 %. Cette probabilité était de 79 % pour les AINS, de 70 % pour les antagonistes de l’ocytocine et de 15 % pour les inhibiteurs calciques. Au final, les auteurs concluaient que les deux molécules les plus efficaces pour retarder la naissance et améliorer le devenir néonatal sont les AINS et les inhibiteurs calciques.

Alors que retenir de cette méta-analyse et suffit-elle à modifier nos pratiques ? Il faut déjà lui reconnaître de réelles limites méthodologiques. Les 95 essais prospectifs randomisés inclus s’échelonnent sur une période très vaste ; l’étude la plus ancienne datant de 1976. Si on ne doute pas de la qualité méthodologique d’étude aussi anciennes, leur extrapolation à notre pratique actuelle est par contre beaucoup plus discutable. Beaucoup de choses ont effectivement évolué depuis, en particulier l’utilisation de la corticothérapie anténatale qui n’était pas encore prescrite à cette époque, mais aussi les progrès faits en matière de transferts materno-fœtaux et de réanimation néonatale. Il est frappant que ces points, qui compromettent l’homogénéité de la prise en charge et la comparabilité des études, ne soient absolument pas discutés par les auteurs. Ensuite, aussi sérieuse et remarquable soit elle, cette étude, comme toute méta-analyse ne peut pas garantir l’absence de biais et d’erreur d’analyse et d’interprétation puisqu’elle ne fait que reprendre et grouper les résultats d’études préalables avec leurs biais et limites propres.

Finalement, cette méta-analyse ne fait que confirmer ce qui est déjà connu, à savoir que, chez une patiente en MAP, les AINS sont les plus efficaces pour prévenir une naissance dans les 48 heures. La supériorité des AINS dans cette indication a effectivement déjà été démontrée dans une méta-analyse publiée en 2009 (2). Cette nouvelle méta-analyse permet par contre, du fait de sa nature en réseau, une comparaison de tous les tocolytiques entre eux, ce qui n’avait jamais été fait ; les revues de la Cochrane Database et la méta-analyse de 2009 s’étant limitées à des comparaisons de molécules deux à deux ou avec un placebo (2, 4-8). S’ils ont été largement étudiés dans cette indication, l’utilisation des AINS reste très limitée dans le monde et ne sont pas utilisés en France du fait du risque de fermeture prématurée du canal artériel et de ses conséquences ultérieures. Dans la revue de la Cochrane évaluant l’effet des AINS dans cette indication, les auteurs concluaient que ce risque était limité et sans conséquence sur le devenir néonatal (6). Il est malheureusement impossible d’extraire et d’analyser spécifiquement cette donnée dans cette étude. Il reste que les AINS sont utilisés en routine pour la fermeture d’un canal artériel persistant chez le nouveau né (9, 10). Ensuite, si cette méta-analyse conclue à la supériorité des AINS et des inhibiteurs calciques en cas de MAP, la seule réelle conclusion est que l’utilisation d’une tocolyse par AINS, inhibiteurs calciques, ß mimétiques, antagoniste de l’ocytocine et sulfate de magnesium est efficace pour retarder la survenue d’une naissance dans les 48 heures, sans pour autant permettre de diminuer la mortalité néonatale et le risque de syndrome de détresse respiratoire néonatale. C’est ici la seule conclusion raisonnable à retenir. Ne nous méprenons pas, un classement comme celui réalisé ne fait que donner une échelle de valeur sur quelques critères bien précis. Il ne permet pas de remettre en question l’utilisation de produits dont l’efficacité est prouvée et confirmée par cette méta-analyse.

Pour en savoir plus :

  1. Roberts D, Dalziel S. Antenatal corticosteroids for accelerating fetal lung maturation for women at risk of preterm birth. Cochrane database of systematic reviews (Online). 2006(3):CD004454.
  2. Haas DM, Imperiale TF, Kirkpatrick PR, Klein RW, Zollinger TW, Golichowski AM. Tocolytic therapy: a meta-analysis and decision analysis. Obstet Gynecol 2009 Mar;113(3):585-94.
  3. Haas DM, Caldwell DM, Kirkpatrick P, McIntosh JJ, Welton NJ. Tocolytic therapy for preterm delivery: systematic review and network meta-analysis. BMJ (Clinical research ed. 2012;345:e6226.
  4. Crowther CA, Hiller JE, Doyle LW. Magnesium sulphate for preventing preterm birth in threatened preterm labour. Cochrane database of systematic reviews (Online). 2002(4):CD001060.
  5. Anotayanonth S, Subhedar NV, Garner P, Neilson JP, Harigopal S. Betamimetics for inhibiting preterm labour. Cochrane database of systematic reviews (Online). 2004(4):CD004352.
  6. King J, Flenady V, Cole S, Thornton S. Cyclo-oxygenase (COX) inhibitors for treating preterm labour. Cochrane database of systematic reviews (Online). 2005(2):CD001992.
  7. King JF, Flenady VJ, Papatsonis DN, Dekker GA, Carbonne B. Calcium channel blockers for inhibiting preterm labour. Cochrane database of systematic reviews (Online). 2003(1):CD002255.
  8. Papatsonis D, Flenady V, Cole S, Liley H. Oxytocin receptor antagonists for inhibiting preterm labour. Cochrane database of systematic reviews (Online). 2005(3):CD004452.
  9. Sekar KC, Corff KE. Treatment of patent ductus arteriosus: indomethacin or ibuprofen? J Perinatol 2008;28 Suppl 1:S60-2.
  10. Peckham GJ, Miettinen OS, Ellison RC, Kraybill EN, Gersony WM, Zierler S, et al. Clinical course to 1 year of age in premature infants with patent ductus arteriosus: results of a multicenter randomized trial of indomethacin. J Pediatr 1984;105(2):285-91.

 
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