L'obésité maternelle : un facteur de risque de mortalité néonatale

Lecture critique de l’article : Cresswell et al. EFfect of maternal obesity on neonatal death in sub-saharan africa: multivariable analysis of 27 national datasets. Lancet 2012. In Press.

L’obésité est devenue au cours des dernières décennies un problème de santé publique mondial et un enjeu majeur pour la santé des générations à venir.  Les raisons évoquées sont nombreuses et parmi celles classiquement évoquées on retient les modifications des modes de vie, l’urbanisation et la sédentarité, ainsi que la modification des modes alimentaires avec l’explosion de la consommation d’aliments sucrés ou riches en graisse saturée. Le problème de l’obésité est bien connu dans les pays développés comme, par exemple, en Angleterre où l’on estime que près de 25 % des femmes adultes sont obèses. Mais cette problématique n’est pas réservée aux seuls pays riches et a maintenant également atteint les pays en voie de développement. Si cette situation persiste, on estime que d’ici 2030, 17,5 % des adultes dans le monde  seront obèses (1). En dehors des mesures de prévention à mettre en place, la connaissance des conséquences et des complications de l’obésité est, bien entendu, essentielle pour la prise en charge de ces patientes.

Le Lancet vient de publier une large étude évaluant l’impact de l’obésité maternelle sur la mortalité néonatale (2). Cette étude a été menée dans 27 pays d’Afrique de la région sub-saharienne et regroupe 81126 patientes. Dans cette étude, les patientes ayant un indice de masse corporelle (IMC) supérieur ou égal à 30 kg/m2 étaient considérées comme obèses. La définition d’un état de malnutrition, d’un poids optimal ou d’un surpoids correspondaient à un IMC <18,5 kg/m2, entre 18,5 et 24,9 kg/m2 et entre 25 et 29,9 kg/m2, respectivement. La définition de la mortalité néonatale utilisée était celle de l’OMS, c’est-à-dire le décès d’un enfant né vivant dans les 28 jours suivant sa naissance.

Dans la population testée, 64,5 % des patientes avaient un poids optimal alors qu’une malnutrition, un surpoids et une obésité étaient présents dans 16,6 %, 13,7 % et 5,3 %, respectivement. Au final, la mortalité néonatale dans la population étudiée était de 16/1000 et était associée avec une augmentation de l’IMC maternel. En particulier, en analyse multivariée, par rapport aux femmes ayant un poids optimal, les enfants nés de femmes obèses était exposés à un risque significativement plus élevé de mortalité néonatale (Adjusted Odds Ratio (AOR) : 1,46 ; IC à 95 % : 1,11-1,91 ; p=0,0062). Ce risque était également observé chez les patientes en surpoids (AOR : 1,22 ; IC à 95 %1,02-1,47 ; p=0,035). Par contre, par rapport aux femmes ayant un poids optimal, les enfants nés de femmes en dénutrition n’étaient pas exposés à une mortalité néonatale différente (AOR : 0,99 ; IC à 95 % : 0,81-1,20 ; p=0,9118). La probabilité de naissance par césarienne était significativement plus élevée parmi les patientes obèses (11,8 %) avec une mortalité néonatale significativement plus élevée en cas de césarienne (AOR : 2,69 ; IC à 95 % : 2,06-3,52). On notera enfin, que l’augmentation significative de la mortalité néonatale était essentiellement observée de manière précoce, lors de la première journée de vie, faisant évoquer des conséquences d’un accouchement pathologique ou d’une mauvaise adaptation de l’enfant à la naissance.

La principale critique à formuler à la lecture de cette étude est que la cause des décès néonataux constatés reste inconnue. Le lien avec la césarienne témoigne d’un risque de travail plus difficile et avec un taux de dystocies plus élevé, mais là encore ces informations ne sont pas disponibles. On peut notamment se demander quelle était la proportion et le rôle potentiel du diabète gestationnel dans cette population. On ne peut qu’évoquer les complications obstétricales et néonatales liées à l’obésité qui ont été jusqu’ici décrites dans la littérature : augmentation des admissions en réanimation néonatale (3), augmentation du risque de macrosomie fœtale (4), de score d’APGAR bas (5)et enfin augmentation du risque de travail prolongé et dystocique, comme en témoigne l’augmentation du recours à la césarienne dans cette population (6-8). Enfin, il est extrêmement difficile d’extrapoler ces résultats à nos patientes qui évoluent dans un environnement radicalement différent avec une offre de soins et des pratiques médicales et obstétricales également très différentes. Pourtant, Les résultats des quelques études ayant évalué l’impact néonatal de l’obésité maternelle dans les pays développés arrivent à des conclusions comparables. Ainsi, une étude réalisée au Danemark a mis en évidence une mortalité néonatale multipliée par deux chez les femmes obèses (OR : 2,6 ; IC à 95 % : 1,2-5,8) (9). Dans une autre étude, une obésité maternelle morbide était associée à une augmentation significative du risque de décès néonatal précoce qui était multiplié par plus de 3 (OR : 3,41 ;  IC à 95 % : 2,07-5,63) (10).

inalement, cette étude montre l’étendue que pose et posera la problématique de l’obésité maternelle en terme de santé publique dans les années à venir dans le monde, y compris dans les pays en voie de développement. S’il est impossible d’extrapoler les résultats de cette étude à nos patientes, l’existence de quelques autres études réalisées dans des pays développés et aboutissant à des résultats comparables fait craindre néanmoins à la réalité d’une surmortalité néonatale pour nos patientes obèses. Celle-ci pourrait en partie être expliquée par les conséquences du diabète gestationnel, plus fréquent chez ce type de patientes ; mais cela reste à démontrer. D’autres études sur ce sujet sont nécessaires et doivent être menées en Europe avant de pouvoir conclure à quoi que ce soit. Pour l’instant, la vue de ces résultats pose inévitablement la question de l’orientation de ces patientes. Avec le développement de maternités de niveau adapté au risque obstétrical au cours des dernières décennies en France, peut-on raisonnablement laisser ces patientes accoucher en maternité de niveau 1 sans la présence systématique d’un pédiatre sur place ?

 

Pour en savoir plus :

  1. Kelly T, Yang W, Chen CS, Reynolds K, He J. Global burden of obesity in 2005 and projections to 2030. Int J Obesity 2008;32(9):1431-7.
  2. Cresswell JA, Campbell OM, De Silva MJ, Filippi V. Effect of maternal obesity on neonatal death in sub-Saharan Africa: multivariable analysis of 27 national datasets. Lancet 2012. In Press.
  3. Kalk P, Guthmann F, Krause K, Relle K, Godes M, Gossing G, et al. Impact of maternal body mass index on neonatal outcome. Eur J Med Res. 2009;14(5):216-22.
  4. Ehrenberg HM, Mercer BM, Catalano PM. The influence of obesity and diabetes on the prevalence of macrosomia. AmJ Obstet Gynecol 2004;191(3):964-8.
  5. Chen M, McNiff C, Madan J, Goodman E, Davis JM, Dammann O. Maternal obesity and neonatal Apgar scores. J Matern Fetal Neonatal Med 2010;23(1):89-95.
  6. Cedergren MI. Non-elective caesarean delivery due to ineffective uterine contractility or due to obstructed labour in relation to maternal body mass index. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 2009;145(2):163-6.
  7. Zhang J, Bricker L, Wray S, Quenby S. Poor uterine contractility in obese women. BJOG 2007;114(3):343-8.
  8. Verdiales M, Pacheco C, Cohen WR. The effect of maternal obesity on the course of labor. J Perinat Med 2009;37(6):651-5.
  9. Kristensen J, Vestergaard M, Wisborg K, Kesmodel U, Secher NJ. Pre-pregnancy weight and the risk of stillbirth and neonatal death. BJOG 2005;112(4):403-8.
  10. Cedergren MI. Maternal morbid obesity and the risk of adverse pregnancy outcome. Obstet & Gynecol 2004;103(2):219-24.

 
Les articles sont édités sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Les informations fournies sur www.gyneco-online.com sont destinées à améliorer, non à remplacer, la relation directe entre le patient (ou visiteur du site) et les professionnels de santé.