Accouchement des grossesses gemellaires : la césarienne programmée est-elle justifiée ?

Est-il licite de proposer une césarienne programmée en cas de grossesse gémellaire d’évolution normale dont le premier jumeau est en présentation céphalique ? C’est à cette question largement débattue qu’un essai prospectif randomisé multicentrique récemment publié dans le New England Journal of Medicine tente de répondre. Entre 2003 et 2011, 2804 femmes ayant une grossesse gémellaire entre 32 et 38 SA et 6 jours avec le premier jumeau en présentation céphalique et les deux fœtus vivants avec un poids fœtal estimé en échographie entre 1500 et 4000g ont été incluses. Cet essai a été mené sur 106 maternités réparties dans 25 pays différents. On notera que les grossesses monoamiotiques n’ont pas été incluses dans cet essai, de même que les patientes ayant un antécédent de césarienne avec incision utérine segmento-corporéale verticale ou les patientes ayant un utérus bicicatriciel ou plus. Après inclusion, les patientes étaient randomisées entre une césarienne programmée et un accouchement par voie basse programmée. Pour ces deux groupes, la naissance était planifiée entre 37 SA et 5 jours et 38 SA et 6 jours. Pour les patientes ayant un accouchement par voie basse programmé, la possibilité d’une césarienne en début de travail était laissée à la libre appréciation de l’obstétricien. Après l’accouchement du premier jumeau, l’utilisation de l’échographie était recommandée pour évaluer la présentation du second jumeau. Dans le cas ou celui-ci était également en présentation céphalique, les membranes étaient laissées intactes jusqu’à l’engagement de la tête fœtale à moins que des anomalies du rythme cardiaque fœtal indiquent une extraction instrumentale. Dans le cas où le second jumeau n’était pas en présentation céphalique, la prise en charge était laissée à la libre appréciation de l’obstétricien. Le critère de jugement principal de cette étude était une estimation composite de la mortalité fœtal ou néonatale et de la morbidité néonatale sévère. Le critère de jugement secondaire était une estimation composite de la mortalité et de la morbidité maternelle sévère. Le calcul du nombre de sujet à inclure a été effectué pour permettre de mettre en évidence une réduction du critère de jugement principal de 4 à 2 % en programmant une naissance par césarienne par rapport à une naissance par voie basse avec une puissance de 80 % et une valeur bilatérale de p de 0,05.

Au total, cet essai ne montre aucune différence significative entre les deux groupes : une mort fœtale ou néonatale et/ou une morbidité néonatale sévère a été observée chez 2,2 % des nouveaux-nés du groupe césarienne programmée et 1,9 % de ceux du groupe voie basse programmée (OR : 1,16 ; IC à 95 % : 0,77-1,74 ; p=0,49).  Quant à la mortalité et morbidité maternelle sévère composite, le taux observé était de 7,3 % et 8,5 %, respectivement (p=0,29). On notera que, par rapport au premier, le second jumeau était significativement plus à même d’avoir une issue défavorable (OR : 1,90 ; IC à 95 % : 1,34-2,69 ; p<0,001), mais sans que la césarienne programmée permettre de modifier ce risque.

Alors comment interpréter les résultats de cette étude et quel enseignement en tirer pour notre pratique quotidienne ? On ne peut tout d’abord que saluer la qualité méthodologique de cet essai qui apporte ici une réponse à la question de la voie d’accouchement des gémellaires avec un haut niveau de preuve. Il est évident que cet article fera date et servira de référence pour les obstétriciens dans les années à venir. Il s’agit d’un essai prospectif randomisé multicentrique. Les accouchements ont été réalisés par des obstétriciens expérimentés évalués dans leurs conditions habituelles d’exercice. La randomisation des patientes a permis d’obtenir des caractéristiques parfaitement comparables entre les deux groupes. Néanmoins, on notera que si, dans le groupe césarienne programmée, celle-ci a effectivement été réalisée pour les deux jumeaux dans 89,9 % des cas (dont 59,2 % avant la mise en travail), seuls 56,2 % des patientes du groupe voie basse programmée ont effectivement accouché par voie basse des deux jumeaux. Dans ce second groupe, 4,2 % des patientes ont eu une césarienne pour le second jumeau, mais surtout, 39,6 % ont eu une césarienne pour les deux jumeaux dont 67,5 % ont été réalisées pendant le travail. On notera également que le délai de naissance entre les deux jumeaux était de 3,6 min (± 9,3) dans le groupe césarienne programmée contre 10 min (± 16,7) pour les patientes ayant un accouchement par voie basse programmé. Certes, ces différences doivent être prise en compte dans l’interprétation de ces résultats, mais elles ne font que refléter la réalité de notre pratique obstétricale courante et n’enlèvent rien à la validité de cette étude. On sera plus critique sur le fait que, s’agissant d’une étude multicentrique internationale, seulement 52 % des patientes ont été prises en charge dans des pays ayant une mortalité maternelle inférieure à 15 décès pour 1000 naissance, ce qui limite malheureusement l’extrapolation de ces résultats aux pays développés. Enfin, avec un grand nombre de naissances étant survenues avant 37 SA (près de 47 %), cette étude ne permet pas d’apporter une réponse précise pour les patientes accouchant après 37 SA et d’autres études restent nécessaire pour apporter des élements de réponse pour ce sous-groupe spécifique de patientes.

Au final, en concluant que la césarienne programmée pour l’accouchement des grossesses gémellaires dont le premier jumeau est en présentation céphalique entre 32 et 38 SA et 6 jours n’a pas d’influence significative en terme de complication fœtales et maternelles sévères, cette étude n’apporte aucun argument pour recommander la pratique de la césarienne programmée dans cette indication. Cette étude apporte des réponses à des questions importantes pour notre pratique obstétricale quotidienne. En ne montrant pas de différence entre les deux groupes en terme d’issue fœtale et maternelle à court terme, la décision à l’égard de ces patientes devra absolument tenir compte du risque pour les grossesses ultérieures en cas d’utérus bi et multicicatriciel, et en particulier du risque de placenta accreta et percreta dont l’incidence est en constante augmentation. Une fois n’est pas coutume, une étude prospective randomisée en obstétrique permet de défendre la voie basse, qu’on se le dise !

 
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