Évaluation de la prise en charge exclusive et personnalisée des femmes enceintes par les sages-femmes

Lecture critique de l’article : Hartz et al. Caselod midwifery care versus standard maternity care for women of any risk :M@NGO, a randomised controlled trial. Lancet 2013; 382 : 1723-32.

Cet essai prospectif randomisé Australien récemment publié dans le Lancet arrive à point nommé dans le contexte professionnel actuel (1). Alors que les sages-femmes françaises revendiquent une meilleure reconnaissance de leur profession cet essai compare la prise en charge exclusive et personnalisée des femmes enceintes par une sage-femme avec une prise en charge classique pour le suivi de la grossesse, l’accouchement et le post-partum.  Au total, ce sont 1748 femmes enceintes présentant une grossesse monofœtale  à moins de 24 SA prises en charge dans deux centres différents qui ont été incluses et randomisées entre une prise en charge exclusive et personnalisée par une sage-femme (n=871) et une prise en charge classique combinant la collaboration des obstétriciens et des sages-femmes (n=877). La prise en charge exclusive par les sages-femmes consistait en un suivi personnalisé de chaque patiente par une sage-femme désignée pour le suivi de la grossesse, la prise en charge du travail, de la naissance et du post-partum. C’est à dire que la même sage-femme suivait la patiente pour ses consultations anténatales mais assurait également entièrement la prise en charge du travail, de l’accouchement et du post-partum. Pour chaque patiente, une sage-femme remplaçante était désignée afin de pouvoir assurer la prise en charge de la patiente si la sage-femme désignée n’était pas disponible. Les sages-femmes désignées ou remplaçantes pouvaient faire appel à l’équipe médicale si la situation obstétricale le nécessitait ou si elles le jugeaient nécessaire.

Les résultats de cet essai montrent finalement peu de différence entre les deux types de prise en charge. En particulier, le taux de césarienne (objectif principal de l’étude) n’était pas différent entre les deux groupes  avec 21% pour les patientes ayant bénéficié d’une prise en charge exclusive et personnalisée par une sage-femme et 23 % pour les patientes ayant eu une prise en charge standard (OR : O,88 ; IC à 95 % : 0,70-1,10 ; p =0,26). On note néanmoins, une diminution du taux de césarienne en dehors du travail lorsque les patientes étaient prises en charge de façon exclusive et personnalisée par une sage-femme : 8 % vs. 11 % (OR : 0,72 ; IC à 95 % : 0,52-0,99 ; p=0,05). Pour le reste, il n’y a avait pas de différence entre les deux groupes pour le taux d’extractions instrumentales et de recours à l’analgésie péridurale. Aucune différence significative n’était non plus observée en terme de devenir néonatal ou de lésions périnéales entre les deux groupes. On notera néanmoins, que les patientes prises en charge de manière exclusive par une sage-femme avaient une plus grande probabilité d’avoir un travail spontané et une direction du travail par ocytociques. Le taux d’hospitalisations anténatale ne différait pas entre les deux groupes, mais on notera que les patientes prises en charge de manière exclusive par une sage-femme avaient en moyenne une consultation anténatale de moins que les autres et une plus grande probabilité de sortir de la maternité avant J2. Enfin, cet essai montre que la prise en charge personnalisée par une sage-femme coute moins cher qu’une prise en charge standard avec une rédusction moyenne des couts de 500 AUS$ par patientes (IC à 95 % : 106-1027 ; p=0,02).

Cette étude montre donc que la prise en charge personnalisée par une sage-femme pour le suivi et la prise en charge des femmes enceintes ayant une grossesse monofœtale jusqu’au post partum est faisable sans aucune prise de risque pour les patientes et permettrait de diminuer le taux de césarienne en dehors du travail ainsi que de réduire les coûts globaux. Ces résultats sont d’autant plus intéressants qu’il s’agissait ici de femmes enceintes sans aucune restriction en terme de risque obstétrical. Ce qui signifie qu’une telle pratique est applicable à l’ensemble de la pratique obstétricale et pas uniquement aux grossesses monofoetales à bas risque. Attention, il ne s’agit pas ici de l’évaluation de maisons de naissances, mais bien de la personnalisation du suivi obstétrical par les sages-femmes au sein de maternités classiques de niveau 3 avec un taux élevé de césarienne. Mais surtout, plus que l’évaluation et la validation de la qualité de la prise en charge des femmes enceintes par les sages-femmes, cette étude évalue l’impact d’un suivi personnalisé et la mise en place d’un réel partenariat entre une patiente et un soignant. Il est finalement possible que ces résultats ne soient que le fait de l’optimisation de la relation patiente-soignant. On ne peut que constater qu’une telle prise en charge est en fait celle qui a été et qui est encore réalisée en France par de nombreux obstétriciens libéraux qui prenaient et prennent encore en charge leur patientes de façon totalement personnalisée. Un tel investissement semble donc avoir de réels bénéfices mais demande en contrepartie une disponibilité de temps des équipes soignantes. La collaboration entre soignant avec la mise en place de tableaux de garde ainsi que la dépersonnalisation de la prise en charge des patientes permet effectivement une amélioration de la qualité de vie des soignants, mais cette étude suggère qu’elle n’est pas sans conséquence pour nos patientes. 

 
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