Dans la foulée de Mai 68, il est né le fameux slogan « Un enfant si je veux quand je veux ! » C’était hier. C’était il y a un demi-siècle. Les femmes des années 2020 n’en sont plus là. Leur désir de maternité s’éveillant de plus en plus tard, à un moment où leur horloge biologique est moins performante, elles avancent un timide « Un enfant... si je peux ».
C‘est ainsi, notre société semble écartelée entre deux positions antagonistes. D’un côté, de plus en plus de femmes, de couples, en toute connaissance de cause, ne veulent pas d’enfant. De l’autre, des femmes le désirent de toute force, voire de façon obsessionnelle à mesure que leur fertilité s’amenuise. Deux attitudes qui parfois se succèdent au cours d’une même vie, le désir impérieux s’imposant soudain après un long temps de désintérêt.
Face à cette situation, quel est le rôle du médecin ? Écouter. Conseiller. Accompagner au cas pour cas. Bien sûr. Sauf que cette partition devient difficile à jouer, tant le désir d’enfant exprimé peut s’apparenter à un diktat. Le souhait devient exigence et on en vient à glisser du désir d’enfant au droit à l’enfant.
Nombre de femmes après la quarantaine ne se résolvent pas à accepter cette réalité : le couperet de leur fécondité est tombé. Elles enchaînent les tentatives de prise en charge médicale, se persuadant que cela va finir par fonctionner puisque tel ou tel people aux âges canoniques, dixit la presse magazine, y est bien parvenu. Leur entêtement, encouragé par les lois d’un marché toujours plus lucratif et des techniques plus prometteuses, génère faux espoirs et frustration. Notre société à l’individualisme forcené n’arrange rien : la toute puissance scientifique doit être là pour répondre à chaque besoin singulier.
Les rêves se heurtent à la réalité. Une enquête récente de l’ INED a montré que sur plus de six mille couples suivis durant huit ans, 50 % ont obtenu un enfant après fécondations in vitro, 11 % après adoption, 11 % après une conception naturelle et 25 % sont restés sans enfants. La science ne peut pas tout, même si les derniers développements biologiques, en particulier le clonage, la création de gamètes artificielles, l’ectogenèse partielle ou totale laissent penser le contraire.
Qu’on ne se méprenne pas : l’innovation scientifique est indispensable. Elle est mouvement, elle nous pousse de l’avant, repousse les limites qui malmènent, rabougrissent, condamnent. Mais cette innovation ne peut faire l’économie d’une évaluation scientifique, qui affirme ou infirme les hypothèses. Les limites aujourd’hui sont de moins en moins techniques. Le « faisable » a pris une telle amplitude que seule la réflexion éthique peut le limiter. Si le clonage reproductif n’est plus impossible à réaliser, il est éthiquement condamné de par le monde. Par contre, le biobag, qui n’avait jusqu’à présent été expérimenté que sur les animaux (des agneaux), commence à être envisagé par la FDA (Food and Drug Administration) pour l’humain. Le moment est donc venu de se poser, de prendre un temps pour réfléchir. Avec en ligne de mire ces deux lignes rouges : le « progrès » en question est-il délétère pour l’enfant (choix en amont de certaines caractéristiques, choix du sexe…) ? L’est-il pour une tierce personne (quand il faut recourir au don d’utérus, au don de gamètes, à la GPA) ? Cette proposition technique respecte-t-elle la non-commercialisation du corps humain ? On voit déjà regorger des publicités de greffes d’utérus sur internet. Prudence. Que le désir d’enfant, promesse de bonheur, n’en vienne pas à corrompre les consciences et nous faire perdre notre âme.
Pr René Frydman auteur de : la Tyrannie de la Reproduction, Odile Jacob 2024