Consommation de café durant la grossesse (faut-il arrêter ?)

Lecture critique d’article : Jessica L. Gleason, Fasil Tekola-AyeleRajeshwari Sundaram, Stefanie N. HinkleYassaman Vafai, Germaine M. Buck Louis, Nicole Gerlanc, Melissa Amyx, Alaina M. BeverMelissa M. Smarr, Morgan RobinsonKurunthachalam Kannan, and Katherine L. Grantz,
Association Between Maternal Caffeine Consumption and Metabolism and Neonatal Anthropometry
A Secondary Analysis of the NICHD Fetal Growth Studies–Singletons
Publié le 25 mars 2021 – Source : PubMed.

Objectifs : Les auteurs de cette récente étude menée en mars 2021, ont évalués l’existence d’une association entre la consommation régulière de caféine pendant la grossesse, et la réduction des biométries néonatales.
Dans un second temps, ils ont évalué si cette association pouvait être modérée par des variations génétiques impactant le métabolisme (rapide versus lent) de la caféine.

Les auteurs, supposent qu’il existe des variations dans le métabolisme individuel de la caféine, de sorte que les femmes enceintes ayant un métabolisme rapide, pourraient être plus à risques d'issues défavorables, potentiellement en raison d'une exposition plus élevée à la paraxanthine, principal métabolite de la caféine.

 

Méthodes : Il s’agit d’une étude prospective ayant portée sur une cohorte de 2055 femmes enceintes. Celles-ci étaient de diverses origines ethniques, toutes non fumeuses, ayant une grossesse à bas risque, un IMC compris entre 19 et 29,9, aucun antécédent de maladies chroniques, et un accouchement à terme pour un poids de naissance supérieur ou égal à 2 kg, au sein de 12 établissements hospitaliers américains.
Les patientes incluses ont fournies des prélèvements sanguins.

Les concentrations plasmatiques de caféine et de paraxanthine (métabolite de la caféine) ont été extraites à partir des prélèvements, et quantifiées à l’aide d’outils spécifiques. Les patientes ont été classées dans 4 groupes différents en fonction des concentrations de caféine et de paraxanthine (des plus faibles aux plus élevées).
La consommation de caféine déclarée par les patientes a été convertie en mg par jour (toutes sources de caféine confondues).

Biométries néonatales : les poids de naissance ont été recueillis dans les dossiers médicaux. La mesure de la taille des nouveau-nés, ainsi que les mesures du périmètre crânien, abdominal, du bras et de la cuisse ont été relevés selon protocole prédéfini et rigoureux. Les mesures des plis cutanés (flanc abdominal, cuisse, omoplate et triceps) ont été également relevées. Ces données ont conduit au calcul du pourcentage de masse grasse selon une formule validée.
Métabolisme de la caféine : lent versus rapide des différentes participantes a été défini selon leur génotype (après extraction d’ADN).

Résultats :
Concernant les concentrations plasmatiques de caféine et de paraxanthine :
Les biométries néonatales étaient d’autant plus réduites que les consommations de caféine étaient élevées durant la grossesse. Cette tendance était observée de manière significative sur le poids de naissance des nouveau-nés (β = -84,3 g ; P  = 0,04), leur taille (β = -0,44 cm ; P  = 0,04), leur périmètre crânien (β = -0,28 cm ; P  < 0,001), le périmètre brachial (β = -0,25 cm ; P  = 0,02)  et de la cuisse (β = -0,29 cm ; P  = 0,07).

La même association était retrouvée chez les nouveau-nés après comparaison des concentrations de paraxanthine les plus élevées versus les plus faibles, avec une réduction de 83 grammes sur les poids de naissance, des tailles plus courtes (β = -0,45 cm ; P  = 0,01), des périmètres crâniens plus petits (β = -0,47 cm ; P  = 0,003), et une réduction des périmètres brachiaux (β = -0,23 cm ; P  < 0,001) et des tours de cuisse (β = -0,31 cm ; P  = 0,02).

Pour chaque augmentation de l'écart-type du log de la caféine, il y avait une diminution significative du poids à la naissance, de la taille, du périmètre crânien et brachial.

Concernant la caféine auto-déclarée par les patientes :
Près de la moitié (41,6 %) des femmes ont déclaré ne consommer aucune boisson contenant de la caféine, tandis que 35,7 % ont déclaré avoir bu au moins 50 mg (environ une demi-tasse de café par jour ou moins) et 22,7% ont déclaré avoir bu plus de 50 mg par jour (15,7 % buvaient 51-100 mg/j ; 6,3 % buvaient 101-200 mg/j ; 0,7 % buvaient plus 200 mg/j).

Par rapport aux femmes qui n'ont déclaré aucune consommation de boissons contenant de la caféine, celles qui ont déclaré en avoir bu au moins 50 mg par jour donnaient naissance à des nouveau-nés de poids de naissance inférieurs (β = -66 g) avec une réduction des périmètres brachiaux (β = -0,17 cm), des tours de cuisse (β = -0,32 cm), des plis cutanés sous-scapulaires (β = -0,14 mm) ainsi que des plis cutanés antérieurs de la cuisse plus petits (β = -0,24 mm ;).

Il n’a pas été montré de diminution significative des pourcentages de masses grasses chez les fœtus exposés aux différentes concentrations de caféine durant la grossesse.

L’analyse secondaire a montré que les biométries néonatales ne variaient pas selon les métabolismes maternels (rapide versus lent) de la caféine.

Discussion : Cette étude montre que des augmentations (même faibles) des concentrations plasmatiques de caféine et de son principal métabolite, la paraxanthine, sont associées à un poids de naissance plus faible, une taille plus petite, et des périmètres crâniens, des bras et des cuisses réduits à la naissance. La diminution des biométries osseuses (sans réduction de la masse grasse) peut indiquer une diminution des tissus maigres à mesure que la consommation de caféine augmente. Ces résultats sont cohérents avec la consommation de caféine autodéclarée, montrant qu’au moins 50 mg (soit environ une demi-tasse de café) par jour était associée à un poids de naissance inférieur et à des biométries néonatales plus petites, même en excluant les consommations les plus élevées (> 200mg).

Les auteurs précisent que les implications au long terme de ces résultats ne sont pas catégoriques compte tenu des variations relativement faibles qui ont été observées. Ils expliquent que le métabolisme de la caféine ralentit tout au long de la grossesse car le fœtus n’a pas l’enzyme CYP1A2 permettant de la métaboliser. La caféine et la paraxanthine s'accumulent donc dans les tissus fœtaux. La caféine est supposée altérer la croissance fœtale via la perturbation de processus neuroendocriniens provoquant une vasoconstriction utéro-placentaire, entravant le développement des organes et modifiant de manière permanente la réponse au stress. Au long terme, ces perturbations peuvent exposer l’enfant à un risque plus élevé de prise de poids rapide après la naissance, d'obésité infantile et de maladie chronique selon les auteurs. Même un faible apport maternel en caféine (> 50 mg/j) est associé à un risque plus élevé de prise de poids excessive pendant la petite enfance, de surpoids, et pourrait conduire à une altération des dépôts athéromateux pouvant exposer les enfants de consommateurs de caféine à un risque plus élevé de maladie cardio-métabolique.

Conclusion : Les auteurs observent de petites réductions des mesures biométriques néonatales avec l’augmentation (même faible) de la consommation de caféine. Leurs résultats suggèrent que la consommation de caféine pendant la grossesse, même à des niveaux bien inférieurs aux 200 à 300 mg par jour recommandés (1,2) peut être associée à une diminution de la croissance fœtale.
Les données de l’article laissent entendre qu’un apport de caféine régulier (même modéré) durant la grossesse, pourrait entraîner plus de risques de morbidité post-natale (obésité, maladies chroniques et cardio-métaboliques). Ces implications au long terme ne sont pas catégoriques compte-tenu des variations biométriques relativement faibles qui ont été observées.

*En complément d’information : le CRAT (centre de référence sur les agents tératogènes) conclue à ce jour que les données actuelles de la littérature ne permettent pas de retenir un lien de causalité entre la consommation maternelle de caféine et les troubles du neurodéveloppement au long terme chez l’enfant.

(1) https://lecrat.fr/spip.php?page=article&id_article=141

(2)https://journals.lww.com/greenjournal/Citation/2010/08000/Committee_Opinion_No__462__Moderate_Caffeine.42.aspx