Prise en charge des pertes de grossesse à répétition - recommandations ESHRE

Auteurs

Répétons-le en chœur, le bilan de pertes de grossesse à répétition reste simple mais la prise en charge lourde. L’ESHRE, après le CNGOF, publie ses recommandations pour la pratique clinique.

Après les recommandations françaises du CNGOF en 2014 (1), c’est au tour de l’ESHRE de publier un volume de plus de 150 pages sur la prise en charge des pertes de grossesse à répétition, fin 2017 (2).

Cet important travail fait le point sur ce qui est reconnu comme utile, ce qui est reconnu comme inutile, et ce qui pourrait aider ces femmes et ces couples dans cette situation.

Le travail est présenté en cinq chapitres, résumés ci-dessous dans un format très court. Le lecteur intéressé devra lire le document original pour les détails et l’argumentaire des auteurs.

 

Chapitre A : Quelle est la définition des pertes de grossesse à répétition ?

Les auteurs préfèrent le terme de perte de grossesses à répétition à celui de fausses-couches à répétition, définissant la perte de grossesse comme l’arrêt d’une grossesse avant la viabilité, ici avant 24 semaines d’aménorrhée (SA). Le terme de perte de grossesses précoces s’applique au grossesse arrêtées avant 10 SA. Il est également possible de parler de perte de grossesses au premier ou au deuxième trimestre de la grossesse.

Ils proposent que le terme répétition s’applique à partir de deux, mais avouent :

  • qu’ils ne sont pas d’accord entre eux et que plusieurs auteurs auraient préféré trois.
  • qu’ils ont finalement choisi deux pour qu’on s’occupe des couples plus tôt et qu’on reconnaisse la potentielle détresse tôt.
  • qu’il y a peut de preuves dans la littérature ou qu’elles sont faibles pour choisir deux.

Au final, le chapitre initial met le lecteur dans l’inconfort en traduisant celui du groupe des auteurs. Nous verrons plus tard dans ce document qu’ils reviennent naturellement au seuil de trois pertes pour la prise en charge.

De plus, ils n’abordent pas la question de l’âge maternel dans la définition. Devrait-on moduler le seuil de deux ou trois en fonction de l’âge de la femme ? Cela aurait peut-être réglé leurs différents car le seuil de deux, même pas consécutive, va faire un énorme volume de patientes.

Ce chapitre est de loin le plus confus.

 

Chapitre B : Structurer la prise en charge

C’est le chapitre le plus intéressant.

Les auteurs encouragent le développement de consultations avec :

  • Des équipes dédiées à la prise en charge de ces couples.
  • Du temps, surtout pour la première consultation.
  • Des locaux adaptés, qui ne les mélangent pas les patientes qui consultent pour un suivi de grossesse par exemple.
  • Du matériel adéquat, avec un appareil d’échographie 3D et de quoi faire des hystérosonographies.
  • De la documentation à distribuer.
  • La possibilité d’offrir un soutien psychologique spécifique.
  • La  construction d’un programme de suivi pour que les femmes/couples connaissent le calendrier de la prise en charge à l’issue de la consultation.
  • L’intégration de la recherche dans ces unités.

 

Chapitre C : facteurs de risque

Ce chapitre est assez proche des travaux du CNGOF et rappelle les facteurs de risque les plus importants en premier, que sont :

  • L’âge maternel, avec la recommandation d’informer les femmes que le risque de perte de grossesse est le plus faible entre 20 et 35 ans, et qu’il augmente rapidement après 40 ans.
  • Le tabagisme diminue les chances d’avoir un enfant, avec la recommandation d’arrêter le tabac.
  • L’obésité ou l’insuffisance pondérale ont de nombreux effets nocifs sur la santé, avec la recommandation d’essayer d’avoir un index de masse corporel normal.
  • La consommation excessive d’alcool est probablement un facteur de risque de perte de grossesse, mais il est surtout connu pour entrainer des problèmes plus graves en cas de grossesse, tel que le syndrome d’alcoolisme fœtal. Ils recommandent aux couples de limiter la consommation d’alcool.
  • Le stress est associé aux pertes de grossesses à répétition, sans preuve qu’il en soit responsable.
  • L’état inflammatoire de l’endomètre est insuffisamment étudié et nous manquons surtout d’études randomisées sur la prise en charge de ce critère.

 

Chapitre D : Quel bilan ?

C’est un chapitre très long, résumé en bilan à réaliser et bilan à ne pas réaliser sous forme de liste pour la simplicité.

Bilan  à réaliser :

  • Un interrogatoire minutieux, familial et personnel, pour orienter la prise en charge. Les auteurs rappellent ici qu’il faut prendre en compte l’âge de la mère et le nombre de pertes de grossesse antérieures car ce sont les seuls facteurs constants de risque pour la prochaine grossesse. (ah, quand même… !)
  • La recherche d’anticoagulant circulant et d’anticardiolipines (IgG et IgM), et probablement la recherche d’anticorps anti β2-GP1, dès deux pertes de grossesse. Voilà, nous y sommes. Tout le débat entre deux ou trois, entre consécutive ou non, tient dans la recherche d’antiphospholipides car il n’y a pas d’autres arguments. Attendons la suite…
  • La recherche de facteurs antinucléaires peut aider les couples à comprendre le contexte.
  • Dosage de la TSH et recherche d’anticorps anti-TPO. Si un des deux est anormal, poursuivre avec le dosage de T4.
  • Il faut rechercher des anomalies de l’anatomie utérine, idéalement par une échographie 3D transvaginale de l’utérus et/ou par une hystérosonographie (à préférer à l’hystérographie)

Bilan à ne pas réaliser :

  • L’analyse génétique du produit de perte de grossesse n’est pas à réaliser, sauf si c’est juste pour donner l’information au couple. S’il doit être réalisé, préférer la technique du CGH-Array.
  • Pas de caryotype systématique des parents, mais une évaluation individuelle de l’indication.
  • Pas de recherche de thrombophilie génétique, sauf si la patiente à d’autres antécédents.
  • Pas de typage HLA, sauf dans de rares populations.
  • Pas de recherche d’anticorps anti-HY.
  • Pas de dosage des cytokines.
  • Pas de recherche ou de test de cellules NK.
  • Pas de recherche d’anticorps anti HLA.
  • Pas de recherche du syndrome des ovaires polykystiques, du dosage de l’insulinémie à jeun ou de la glycémie à jeun.
  • Pas de dosage de la prolactinémie hors symptômes cliniques évocateurs d’hyperprolactinémie, essentiellement l’oligo- ou l’aménorrhée.
  • Pas d’évaluation de la réserve ovarienne.
  • Pas de recherche d’insuffisance lutéale.
  • Pas de dosage des androgènes, de la LH ou de l’homocystéine plasmatique
  • Pas d’IRM pelvienne en première intention, mais cela peut être une option si l’échographie 3D n’est pas disponible.
  • Pas d’étude de la fragmentation de l’ADN des spermatozoïdes, sauf si c’est pour informer les couples.

Le bilan initial à réaliser est donc assez court. Notons cependant qu’il manque la recherche de diabète chez la mère car ils ne l’ont abordée que dans la recherche du syndrome des ovaires polykystiques.

 

Chapitre E : Pronostic et prise en charge

A nouveau, les auteurs rappellent que lorsque le bilan (court, très court) est négatif, le pronostic va dépendre essentiellement de l’âge maternel et du nombre de pertes de grossesses antérieures. Ils encouragent à utiliser le tableau de Brigham et coll. (3) pour expliquer ce pronostic aux couples. (Tableau 1)

Âge maternel (ans)

Nombre de fausses-couches préalables

2

3

4

5

20

92%

90%

88%

85%

25

89%

86%

82%

79%

30

84%

80%

76%

71%

35

77%

73%

68%

62%

40

69%

64%

58%

52%

45

60%

54%

48%

42%

 

Tableau 1 : probabilité de succès en cas de prochaine grossesse en fonction de l’âge maternel et du nombre de fausses-couches précédentes selon Brigham et coll. (3)

Les recommandations vont dépendre des résultats du bilan.

 

  • Il faut encourage les couples à une vie saine, en éliminant tabac et alcool, en les encourageant à atteindre un IMC normal et à avoir une activité physique normale.
  • En cas d’anomalie génétique, le couple doit être adressé en conseil génétique pour les informer des risques et des options disponibles.
  • Pas d’anticoagulants pour les patientes avec une thrombophilie héréditaires, sauf si elles ont d’autres indications.
  • Les patientes qui ont des anticorps antiphospholipides positifs selon les définitions internationales et au moins trois pertes de grossesses doivent avoir un traitement pas aspirine (75 à 100mg/jour) et de l’héparine dès que le test de grossesse est positif. Le groupe de travail ne suggère de traiter les patientes avec des anticorps positifs et que deux pertes de grossesse que dans un cadre de recherche. (Nous voilà enfin revenu à trois…)
  • L’hypothyroïdie vraie avant ou en début de grossesse doit être traitée. Il y a peut être un bénéfice à traiter les hypothyroïdie infra-clinque, mais les données sont contradictoires. En cas d’hypothyroïdie infraclinique, il faut dans tous les cas doser à nouveau la TSH vers 7 à 9 SA et traiter si la patiente a une hypothyroïdie. La conduite à tenir en cas de d’anticorps anti TPO est identique. En revanche, il n’y a pas de preuve de l’utilité de traiter les patientes avec des anti-TPO si elles sont euthyroïdiennes.
  • Pas d’utilité de la progestérone (même intra-vaginale) ou de l’hCG, ou de la metformine.
  • La bromocriptine doit être utilisée en car d’hyperprolactinémie.
  • La supplémentation en vitamine D peut être proposée dans le cadre plus général de la grossesse.
  • La chirurgie utérine ne doit être proposée que pour les cloisons, avec encore trop peu de preuves, mais pas pour les autres malformations utérines.
  • Les fibromes sous-muqueux et les polypes ne doivent pas être retirés dans la prise en charge des pertes de grossesses à répétition.
  • Il n’y a pas de preuve de l’utilité de la levée chirurgicale de synéchie pour ces patientes. En revanche, si cela est réalisé, il faut prévenir l’apparition de nouvelles synéchies.
  • La sélection spermatique n’est pas recommandée, comme la prescription d’antioxydants chez l’homme.
  • Ne pas utiliser la thérapie lympocytaire, les immunoglobulines IV ou les intralipides.
  • Ne pas prescrire de corticoïdes, d’héparine ou d’aspirine hors indication spécifique.
  • L’acide folique à faible dose doit être prescrite, mais pas pour les pertes de grossesses. Il n’y a pas d’indication aux polyvitamines.
  • L’abrasion endométriale (scratching) n’est pas recommandée.

 

Conclusions

Ces nouvelles recommandations pour la prise en charge des patientes et couples avec des pertes de grossesse à répétitions sont parfois un peu confuses, essentiellement dans le chapitre des définitions, mais les auteurs retombent sur leurs pieds dans les chapitres suivants en ne prenant en charge finalement ces couples qu’à partir de trois épisodes. Le caractère successif de ces pertes de grossesse s’est… perdu. Mais une patiente qui a fait trois fausses-couches, avec une grossesse normale entre chaque fausse-couche, ne consultera probablement pas pour cela.

Les bilans et traitements ont été réduits à l’essentiel. Ces recommandations nous rappellent surtout l’important d’une prise en charge globale du couple, par des équipes dédiées et entrainées. Cela n’est possible que dans de grandes structures qui ont la volonté d’accompagner ces couples dans le temps sans multiplier les examens médicaux et les traitements inutiles.

 

Références

  1. Gallot V, Nedellec S, Capmas P, Legendre G, Lejeune-Saada V, Subtil D, et al. [Early recurrent miscarriage: Evaluation and management]. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris). 2014;43:812-4
  2. https://www.eshre.eu/~/media/sitecore-files/Guidelines/Recurrent-pregnancy-loss/ESHRE-RPL-Guideline_28112017_FINAL.pdf

Brigham SA, Conlon C, Farquharson RG. A longitudinal study of pregnancy outcome following idiopathic recurrent miscarriage. Hum Reprod. 1999;14:2868-

 
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