La responsabilité médicale face aux recommandations de bonne pratique

Le contentieux en responsabilité des médecins est resté rare jusque dans les années 80, pour connaitre une croissance continue jusqu’à nos jours. Au regard de l’évolution rapide des connaissances et des coûts engendrés, les acteurs du système de santé ont convergé vers l’élaboration de recommandations aux fins d’optimiser la prise en charge des malades. Si ces recommandations peuvent s’avérer utiles pour le médecin, elles sont parfois utilisées en leur défaveur lors d’un contentieux en responsabilité.

Avant de déterminer les facteurs qui permettent la mise en jeu la responsabilité médicale à l’égard des recommandations de bonne pratique (III), il convient de rappeler sommairement les principes de la responsabilité médicale (I) et de s’attacher à la valeur juridique des recommandations (II)

I- Les principes de la responsabilité médicale

La responsabilité civile médicale [1]désigne l’obligation qui pèse sur le médecin de réparer les dommages qu’il aurait causés au cours de son exercice professionnel. Additionnelle de la responsabilité civile qui concerne toutes les personnes physiques, elle est régie le Code de la santé publique qui dispose dans son article L. 1142-1 que « hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ».

La responsabilité médicale ne peut être engagée qu’en cas de faute. La faute, bien que variable, résulte d’un manquement du professionnel de santé à ses obligations légales et/ou déontologiques. Pour apprécier le caractère fautif du comportement du médecin, les juges se réfèrent notamment à la loi et à la déontologie médicale. La faute peut également recouvrir une qualification pénale, comme par exemple le délit d’atteinte involontaire à l’intégrité corporelle ou même relever d’une faute disciplinaire. Le médecin devra alors en répondre devant les juridictions compétentes (répressive et/ou disciplinaire).

Sauf exceptions, les lois et les règlements peinent à prescrire impérativement un comportement médical dans une situation donnée. En effet, l’exercice médical obéit à deux principes : l’indépendance professionnelle et la liberté de prescription. Le médecin doit être libre de ses décisions et prescrire au patient ce qu’il estime le plus approprié. Ces principes issus de la déontologie médicale[2] sont relatés par la loi[3] et ont été consacrés comme principe général du droit[4]. Toutefois, ces principes ne s’opposent pas à ce que le médecin puisse s’aider d’outils pour sa décision.

II- La valeur normative incertaine des recommandations

Comme les a définies la haute autorité de santé en 2010, les recommandations de bonne pratique ne sont que « des propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données ». Elles constituent donc des outils destinés à aider le professionnel de santé dans ses décisions. Référentiels du système de santé, elles ont pour objet d'améliorer la prise en charge et la qualité des soins, mais également d’informer sur l'état de l'art et les données acquises de la science. Néanmoins, les recommandations sont, dans les faits, des instruments de régulation médicale qui ont pour finalité d'orienter ou de modifier le comportement de leurs destinataires. Elles ne créent pas de droits ou d’obligations pour leurs destinataires, car elles n’ont pas l’autorité de la loi ou du règlement. Toutefois, elles représentent par leur contenu, leur élaboration et leur formalisation, toutes les apparences de règles de droit. La normativité des recommandations non impératives est incertaine, car il est laissé au médecin la possibilité de s’en affranchir. En effet, selon la jurisprudence judiciaire, « la présence d’une recommandation ne fait pas obstacle à l’adoption par le médecin de solutions différentes, dans le cadre de son appréciation propre du traitement le plus adapté au cas précis de son patient »[5]. Cependant, la normativité des recommandations n’en est pas moins indirecte.

III- Les facteurs d’appréciation de la responsabilité médicale à l’égard des recommandations  

Les recommandations de bonne pratique n’appartiennent ni au domaine de la loi, ni au domaine du règlement. Néanmoins, elles entretiennent un rapport étroit avec eux, ce qui leur confère une certaine forme d’autorité.

a. Le lien entre les recommandations et les données acquises de la science

Le législateur a consacré l’obligation déontologique faite au médecin de dispenser des soins conformes aux données acquises de la science[6] en droit pour le malade. Ainsi, le malade peut se prévaloir du droit à être soigné de la manière la plus appropriée au regard des connaissances médicales avérées[7]. Le non-respect de cette obligation par le médecin, peut être constitutif d’une faute, laquelle engage sa responsabilité[8]. Les principes d’indépendance professionnelle et de liberté de prescription, bien qu’affirmés, ne peuvent s’exercer que dans le périmètre de la loi et des connaissances médicales avérées [9].

Or, le Conseil d’État a déclaré que les recommandations de bonne pratique n’étaient que la formalisation des données acquises de la science au moment de leur élaboration. Ainsi, il a retenu la responsabilité disciplinaire d’un médecin qui n’avait pas respecté la recommandation sur la pratique du frottis de dépistage[10]. Si les recommandations de bonne pratique ne sont que la formalisation des données acquises de la science, alors elles ne s’envisagent plus seulement comme des outils médicaux, mais également comme des outils d’appréciation de la responsabilité médicale. L’évolution rapide des données scientifiques, la qualité des personnes ayant élaboré les recommandations et le niveau de preuve des recommandations ne rendent pas toujours les recommandations en adéquation avec les données acquises de la science. Un grand nombre des recommandations repose sur de simples avis d’expert[11] et non sur des données démontrées issues de la littérature. De plus, certaines stratégies de prise en charge recommandées par la HAS reposent au moins en partie sur des considérations économiques. Enfin, des recommandations contradictoires peuvent coexister.

Du fait de la technicité du domaine et lors d’un contentieux en responsabilité, le juge fera le plus souvent appel à un médecin expert pour l’éclairer.

Cet éclairage ne se limite pas à déterminer la recommandation applicable au fait, mais a également pour objet de savoir si le comportement du médecin était approprié.

b. Le caractère inapproprié du respect ou du non-respect des recommandations

Si la responsabilité du médecin peut être recherchée lorsqu’il n’a pas respecté une recommandation ayant le caractère de données acquises de la science, l’inverse est également possible. En effet, chaque situation clinique présente des caractéristiques propres tenant soit à l’objet médical soit à la personne du patient. Ainsi, suivre une recommandation inappropriée au cas à traiter rend fautif le comportement du médecin. À l’inverse ne pas suivre une recommandation en raison de son caractère inapproprié à la situation clinique ne relève pas d’un comportement fautif. C’est ainsi que la cour d’appel de Lyon n’a pas retenu la responsabilité d’un médecin qui avait dépassé les doses d’irradiation recommandées pour traiter une tumeur, car il s’agissait de la condition sine qua non pour guérir la malade[12].

c. La présence d’un lien de causalité entre la conduite du médecin et le dommage

Compte tenu de son indépendance, le médecin n’a pas l’obligation de se soumettre à une conduite schématique dictée par d’autres confrères, auteurs d’une recommandation. Le médecin est libre de choisir la prise en charge de son patient à la condition que ce choix soit adapté à la situation. Ainsi, ne pas suivre une recommandation appropriée au cas est fautif. Néanmoins, la faute n’engage la responsabilité médicale que si elle est à l’origine d’un préjudice. En d’autres termes, la responsabilité ne peut être retenue que si la faute présente un lien de causalité avec le dommage. La cour administrative d’appel de Douai n’a pas retenu la responsabilité d’un chirurgien dans le décès d’un de ses patients suite à une hémorragie post opératoire. En effet et selon la cour, « la circonstance que le chirurgien a décidé de mettre en oeuvre une technique chirurgicale différente de celle retenue en réunion de concertation pluridisciplinaire et de la HAS est par elle-même, sans lien direct avec la survenue du dommage ». En revanche, la cour administrative d’appel a retenu la responsabilité du médecin qui a préféré une méthode chirurgicale à la méthode endoscopique recommandée en première intention, car le préjudice lié à une section nerveuse ne se serait pas produit si la technique endoscopique avait été utilisée[13]. Dans cette dernière espèce, il existait un lien de causalité entre le non-respect de la recommandation (choix de la technique) et le dommage.

En conclusion, les recommandations de bonnes pratiques sont aussi bien des outils d’aide à la décision pour les médecins que des outils d’appréciation de la responsabilité médicale pour les juridictions. L’obligation de les respecter repose principalement sur 2 éléments. D’une part, il faut qu’elles soient le reflet des données acquises de la science au moment des faits, et d’autre part, il faut qu’elle soit adaptée à la situation médicale.

Par principe, le comportement du médecin est apprécié par rapport aux recommandations existantes au moment des faits[14]. Néanmoins, la Cour de cassation a récemment accepté qu’un gynécologue-obstétricien invoque le fait qu'il ait prodigué des soins conformes à des recommandations émises postérieurement aux faits[15].

S’écarter des recommandations est toujours possible à condition de pouvoir le justifier comme par exemple démontrer l’obsolescence de la recommandation en cause, ou encore son inadaptation à la situation clinique. De manière plus rare, l’existence d’un conflit d’intérêt chez un auteur d’une recommandation peut conduire à son annulation[16].

 

 

 

[1] C’est le célèbre arrêt Mercier qui a posé les fondements juridiques de la responsabilité médicale en droit privé (Cass. civ., 20 mai 1936 : DP 1936, 1, p. 88, concl. Matter, rapp. Josserand ; S. 1937, 1, p. 321, note Breton).

[2] Art. 5 et 32 du Code de déontologie médicale, inséré à la partie réglementaire du Code de la santé publique, respectivement aux articles R.4127-5 et R.4127-32.

[3] Loi n° 71-525 du 3 juillet 1971, art. L.162-2 Code de la sécurité sociale.

[4] Pour le principe de liberté de prescription, v. CE, 18 février 1998, Sect. locale du Pacifique Sud de l'ordre des médecins, Lebon T. 710 ; RFDA 1999. 47, note Joyau, et pour le principe d’indépendance professionnelle des médecins, v. T. confl. 14 févr. 2000, Ratinet, req. n° 02929 , Lebon T. 749 ; Dr. adm. 2000, no 121, obs. C. Esper ; RFDA 2000. 1232, note D. Pouyaud ; JCP 2001. II. 10584, note J. Hardy.

[5] CA Versailles, 26 janvier 2017, n°14/09204.

[6] Art. 32 du Code de déontologie médicale codifié à l’article R.4127-32 du Code de la santé publique.

[7] Art. L.1110-5 du Code de la santé publique : « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté... »

[8] Art. L.1142-1 du Code de la santé publique.

[9] Art. 8 du Code de déontologie médicale codifié à l’article R.4127-8 du Code de la santé publique.

[10] CE, 12 janvier 2005, n°256001

[11] C. Grouchka, Droit et recommandations de bonne pratique médicale, Mémoire de Master II droit de la santé, Université Montpellier I, 2015, p.51.

[12] Pour ex., v. CA Lyon 31 mars 2015 n° 13/09279.

[13] CAA Paris, 8e chambre, 4 avril 2019, n° 18PA00640.

[14] Cass, 1re civ., 13 juillet 2016 n° 15-20268.

[15] Cass. 1re civ., 5 avril 2018, n° 17-15.620 ;

[16] CE, 27 avril 2011, Formindep, n° 334396.

 
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