Débuter le dépistage du cancer du col avant 25 ans : pour ou contre ?

Auteurs

Auteurs de cet article :
Julien CHEVREAU
Jean GONDRY
CHU Amiens Picardie

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Le cancer du col est une pathologie agressive qui touche des patientes particulièrement jeunes, avec un âge moyen se situant aux alentours de 40 ans. En France, on déplore 3000 nouveaux cas tous les ans, dont un tiers mourront [1].

Les lésions pré invasives précédant l’invasion de plus de 10 ans, beaucoup de praticiens débutent le dépistage cytologique avant 25 ans arguant aussi la fréquence des lésions pré invasives dans cette tranche d’âge.

Nous souhaitons présenter les divers arguments permettant d’éclairer le débat concernant l’âge de début de réalisation des frottis.

Les recommandations actuelles : en France et à l’étranger…

En France, les recommandations prévoient de débuter le dépistage du cancer du col de l’utérus par un frottis à partir de 25 ans chez toutes les femmes asymptomatiques, y compris celles vaccinées contre l’HPV. A la suite de celui-ci, s’il est normal, un contrôle doit être réalisé un an plus tard, puis tous les 3 ans jusqu’à 65 ans. La couverture est faible dans notre pays, environ 50% de la population concernée, ce qui explique en partie l’incidence élevée. En Europe, l’âge de début et les modalités varient, de 20 ans en Espagne à 30 ans aux Pays-Bas, mais aucun pays dans le monde ne débute le dépistage avant 20 ans. Lorsque des modifications de programmes de dépistages sont mise en place, il s’agit le plus souvent d’un recul de l’âge du premier frottis, possible grâce à la couverture de la vaccination HPV qui est très forte chez nos voisins, notamment en comparaison à la France où celle-ci s’élève à un piteux 13%.

Les arguments POUR

La grande majorité des cancers du col de l’utérus sont HPV-induits (>90%), et donc « sexuellement transmissibles ». Même si la médiane de l’âge du premier rapport reste stable chez les filles depuis une dizaine d’année, on observe cependant une modification des comportements sexuels avec un pourcentage de premiers rapports avant 15 ans ayant doublé lors de la dernière décennie (aujourd’hui estimé à plus de 14% des filles) [2]. Cela, associé à une prévalence maximale de l’HPV entre 22 et 23 ans, pourrait faire craindre à certains une augmentation de l’incidence du cancer du col avant 25 ans [3]. De plus, ces derniers, même si extrêmement rares, existent effectivement, mais ne concernent jamais plus de 4 cas pour 10000 femmes  et par an dans aucun pays du monde [4].

Les arguments CONTRE

Si la prévalence de l’HPV est plus importante avant 25 ans qu’après, la clairance est également plus rapide et plus complète. En effet, on estime qu’elle sera de 90% à deux ans [5]. Néanmoins, il est légitime de s’interroger sur le retentissement de cette forte infestation sur le col de ces jeunes femmes, même si elle n’est que passagère. Sans surprise, le taux de frottis anormaux est, chez ces dernières, 2 à 3 fois plus important. Seulement, la littérature actuelle montre également que ces lésions cytologiques ont un taux de régression très important, de 75% à 3 ans pour les bas grades et de 81% à 1 an pour les hauts grades. A titre de comparaison, chez les patientes plus âgées, le taux de régression des lésions H-SIL est de 20% environ [6].

Il paraît difficile, cependant, devant un frottis pathologique, à fortiori de haut grade, de se contenter d’une simple surveillance. C’est ainsi qu’une grande proportion de ces jeunes femmes asymptomatiques sera adressée, avec le stress qui s’en accompagnera automatiquement,  vers un colposcopiste. Un nombre certain de biopsies seront alors réalisées, et un nombre de lésions histologiques de haut grade seront également dépistées (la moitié des cas dans notre expérience Amienoise). De même que les lésions cytologiques, les lésions histologiques chez les jeunes patientes présentent une histoire naturelle particulière avec un taux de progression annuel des hauts grades vers le cancer vers estimé entre 0 et 0,5% (contre 20% chez les patientes habituellement concernées par le dépistage) [7]. Devant une CIN de haut grade, il paraît néanmoins impossible de proposer de manière systématique une surveillance à toutes les patientes, ce d’autant que le suivi peut, dans cette population, s’avérer difficile, en particulier en cas de déménagements que peuvent occasionner la poursuite d’études supérieures ou de changements de patronyme en cas de mariage. C’est ainsi que certaines de ces jeunes femmes vont se voir proposer une conisation, dont le retentissement obstétrical est parfaitement connu, avec une augmentation des taux de naissances prématurées et de ruptures prématurées des membranes, ainsi que de sténoses complètes du col empêchant toute grossesse spontanée.

Un autre argument plaidant contre un avancement de l’âge de dépistage du cancer du col est la nature même des cancers chez les jeunes patientes. En effet, s’ils existent effectivement, ils sont très peu fréquents, et surtout extrêmement difficiles à dépister. Probablement du fait de l’immaturité du système immunitaire chez les jeunes patientes, on estime qu’ils sont à développement rapide, et que, dans la très grande majorité des cas, ils échapperaient à un dépistage classique, avec une estimation de la proportion de cancers dits « d’intervalle » à 90% [8].

 

CONCLUSION

L’histoire naturelle des lésions cervicales est très spécifique avant 25 ans, et les réparations des lésions cytologiques plus nombreuses de par une prévalence d’HPV plus importante sont plus rapides et plus complètes. D’autre part le cancer est d’évolution très rapide à cet âge et le dépistage ne permettrait probablement pas d’en réduire l’incidence. Il semble donc légitime de maintenir le début du dépistage à 25 ans, tout en restant cependant attentif à la présence de signes cliniques pouvant faire évoquer un cancer, et qui font sortir du cadre du simple frottis. Une couverture de la vaccination HPV plus conforme à celle de nos voisins européens pourrait au contraire permettre de retarder la date du premier frottis chez la patiente asymptomatique.

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Références 

[1] Duport, N. Données épidémiologiques sur le cancer du col de l’utérus. Etats des connaissances–Actualisation. Institut de veille sanitaire 2008.
[2] Beck F, Guilbert P, Gautier A. Baromètre santé 2005, Attitudes et comportements de santé. Inpes 2007.
[3] De Vuyst, H, Clifford G, Li N, Franceschi S. HPV infection in Europe. European Journal of Cancer 2009 ; 45:2632-9.
[4] Sigurdsson K, Sigvaldason H. Is it rational to start population-based cervical cancer screening at or soon after age 20? Analysis of time trends in preinvasive and invasive diseases. European Journal of Cancer 2007 ; 43 :769-774.
[5] Richardson H, Kelsall G, Tellier P, et al. The natural history of type-specific human papillomavirus infections in female university students. Cancer Epidemiology Biomarkers & Prevention 2003 ; 12 :485-490.
[6] Moscicki A, Shiboski S, Hills N, et al. Regression of low-grade squamous intra-epithelial lesions in young women. The Lancet 2004 ; 364 :1678-83.
[7] Sasieni P, Kitchener H, Patnick J, Vessey M. Cervical screening in 20-24-year olds. Journal of Medical Screening 2006 ; 13:62.
[8] Sasieni P, Castanon A, Cuzick J. Effectiveness of cervical screening with age: population based case-control study of prospectively recorded data. Bmj 2009 ; 339 : b2968.

 
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