Syndrome de Turner et le gynécologue

Le syndrome de Turner (ST) atteint 1/2500 nouveau-nées féminines. Le diagnostic est établi devant une anomalie du caryotype, avec la présence d’un chromosome X et une absence totale ou partielle du second chromosome X. La définition inclut non seulement le caryotype mais aussi la présence de signes cliniques de ST. Les plus fréquents sont une petite taille et une insuffisance ovarienne prématurée (IOP).  L’IOP, présente chez 95% des femmes avec ST, se définit comme une aménorrhée ou une spanioménorrhée de plus de 4 mois, avec une FSH supérieure ou égale à 25 UI/L, survenant avant l’âge de 40 ans. Dans le ST, elle est liée à une accélération de la perte folliculaire. Elle est plus fréquente lorsque le caryotype est une monosomie homogène (45, X dans toutes les cellules du caryotype) que lorsque le caryotype est une formule mosaïque, incluant des cellules 45X associées à des cellules 46XX. Les autres signes cliniques possibles sont le lymphœdème, une bicuspidie aortique, une coarctation aortique, une hypothyroïdie, une surdité, des naevi, une maladie coeliaque, une anxiété et/ou une diminution de l’estime de soi.

Même si l’âge du diagnostic du ST en France est en moyenne de 8 ans, tous les gynécologues sont susceptibles d’être confrontés à des femmes avec un ST, dans leur pratique courante. Les circonstances de prise en charge peuvent être très variées. Elles comprennent la découverte d’une augmentation de la clarté nucale et/ ou un lymphœdème lors d’une échographie anténatale, un impubérisme ou une aménorrhée primaire chez une adolescente, voire un avis pour une gonadectomie en raison de la présence de matériel chromosomique Y dans le caryotype, associé au risque de gonadoblastome. Il peut s’agir d’une discussion vis-à-vis d’une cryopréservation ovocytaire chez une adolescente ou une jeune femme encore réglée. Les consultations de gynécologie peuvent d’autre part être centrées sur le traitement hormonal d’induction pubertaire et/ou un traitement hormonal substitutif (THS), qui est recommandé jusqu’à l’âge physiologique de ménopause. D’autre part, les femmes avec un ST peuvent consulter en gynécologie, pour une prise en charge d’une infertilité, soit en raison de fausses-couches à répétition, soit pour une assistance médicale à la procréation, devant une baisse de réserve ovarienne ou devant une IOP nécessitant une FIV avec don d’ovocytes (FIV-DO). Il ne faut cependant pas oublier que 6 à 7% des femmes avec un ST peuvent obtenir une grossesse de manière naturelle. Ce point est important dans le conseil génétique de parents ou de couples, si la femme présente un ST.

Dans une étude nationale incluant 480 femmes avec un ST nous avons pu rapporter un total de 52 grossesses naturelles parmi 29 femmes (5,6%) (1). L’âge médian lors de la première grossesse était de 28,5 ans, soit un âge inférieur à celui de la population générale française. Le délai moyen de conception était de 6 mois avec un intervalle allant de 1 mois à 60 mois. Le nombre de grossesses par femme était de 1 à 5 grossesses ! Les deux facteurs prédictifs de grossesse naturelle étaient un âge au diagnostic de ST plus avancé (18 ans versus 8 ans chez les femmes sans grossesse naturelle) et un caryotype de type mosaïque 45X, 46XX. Cependant 2 patientes avec une monosomie 45,X ont présenté une grossesse naturelle. De plus, il est important de savoir qu’il existe des dissociations possibles du caryotype selon les différents tissus de l’organisme chez une même patiente. Récemment, dans une cohorte de 142 femmes avec un ST, les caryotypes sanguins et les frottis réalisés au niveau jugal ont été comparés. Seuls 32,4 % des caryotypes étaient concordants entre les deux tissus. La présence de chromosome Y pouvait dans certains cas être détectée uniquement dans un des deux tissus, soit le sang, soit le frottis jugal. Ainsi, l’analyse du frottis jugal peut permettre d’affiner le type de l’anomalie chromosomique chez une patiente avec un ST (2).

L’analyse des issues des grossesses naturelles a montré que le taux de fausse-couche spontanée précoce était supérieur à celui de la population générale puisqu’il était de 30,8 %. Cependant, lorsque la grossesse était menée à terme, la majorité des grossesses n’était pas compliquée, ni d’hypertension, ni de diabète gestationnel. Le taux de césarienne était élevé (46,7%), en lien le plus souvent avec une éviction souhaitée des efforts expulsifs. Parmi les 17 nouveau-nés féminins, 2 cas de syndrome de Turner ont été rapportés, ce qui représente un taux bien sûr plus élevé que dans la population générale. Dans cette cohorte, aucun cas de dissection aortique n’a été observée, ni lors de la grossesse, ni dans le postpartum immédiat. Dans certains cas, le diagnostic de ST a même été établi après la grossesse, devant la survenue d’une IOP. Ainsi, notre étude illustre le fait que chez les femmes avec un ST, les grossesses naturelles semblent moins à risque que les grossesses obtenues après une procédure de FIV-DO. Une explication possible est basée sur le fait que les patientes ayant la possibilité de débuter une grossesse naturelle ont probablement des formes moins sévères du ST que celles qui doivent recourir à un don d’ovocyte.

Plusieurs études françaises ont montré que lors de grossesses obtenues après FIV-DO, les complications surviennent chez 30 à 50% des femmes avec ST (3, 4, 5). Il s’agit le plus souvent d’un diabète gestationnel et/ou d’une hypertension liée à la grossesse. Dans la dernière étude, qui n’incluait que des grossesses obtenues après don d’ovocytes, l’hypertension artérielle gravidique était présente dans 28,2% des cas, une préeclampsie dans 10,3% des cas et le diabète gestationel dans 7,7% des cas (5). Cependant la complication la plus grave reste la dissection aortique. Dans le ST, le risque de dissection aortique est 100 fois plus élevé que dans la population générale. Cette dissection est le plus souvent secondaire à une dilatation aortique qu’il est important de détecter, avant même le début de la grossesse. Le diamètre aortique doit être mesuré soit par une échographie cardiaque, soit par une IRM cardiaque. Sa mesure est réalisée à plusieurs niveaux, au moins au niveau du sinus de Valsalva et au niveau de l’aorte ascendante. Dans le ST, comme les patientes sont de petite taille, il est important de rapporter le diamètre aortique à la surface corporelle de la patiente. En effet, si le diamètre brut est retenu, la dilatation aortique risque d’être sous-estimée. La dilatation aortique se définit dans le ST par un diamètre supérieur à 20 mm/m2. Selon les différentes études réalisées au Danemark, aux Etats-Unis, en Angleterre ou en France, elle est présente chez 30 à 60% des cas. Son risque de survenue est plus élevé en cas de bicuspidie aortique, c’est-à-dire lors de la présence de 2 feuillets de la valve aortique, au lieu des 3 physiologiques. La bicuspidie est une anomalie congénitale qui est présente chez 15 à 30% des femmes avec un ST. Dans la population générale, elle est présente chez 0,05% des femmes 46,XX et 2 à 3% des hommes 46,XY. Ainsi le deuxième chromosome X normal semble jouer un rôle de protection vis-à-vis de la survenue d’une bicuspidie. Le manque du 2ème chromosome X normal semble augmenter le risque de bicuspidie. Les gènes impliqués pourraient être situés sur le bras court du chromosome X mais ne sont pas connus à ce jour. Parmi les autres facteurs de risque connus de la survenue d’une dilatation aortique ont été décrits un caryotype avec une monosomie X, la présence d’une thyroïdite et surtout la présence d’une hypertension artérielle.

Les mécanismes impliqués dans cette pathologie valvulaire et/ou artérielle impliqueraient à la fois des phénomènes mécaniques et des phénomènes génétiques. En effet, la présence d’une bicuspidie favorise le fait que le flux sanguin heurte la paroi aortique et donc la fragilise. De plus, des analyses génétiques récentes suggèrent qu’il existe dans le ST, une altération de la paroi vasculaire, avec une implication de la voie du TGFbéta.

Une question essentielle : comment est-il possible de rendre la grossesse d’une femme avec ST moins dangereuse ? » (6). Il est possible de se baser sur les recommandations de prise en charge qui ont été publiées, que ce soit pour les grossesses naturelles ou les grossesses lors de FIV. Des recommandations françaises ont été publiées en 2009 (7). Les plus récentes sont les recommandations internationales publiées suite à une réunion ayant eu lieu à Cincinnati aux Etats-Unis (8). Chez les femmes avec un ST, il est conseillé de réaliser une consultation préconceptionnelle. Elle va ainsi permettre de récupérer les données concernant les diamètres aortiques qui doivent dater de moins de 2 ans, par rapport au début de la grossesse. Il est toujours intéressant d’avoir les examens plus anciens pour connaitre la cinétique du diamètre aortique en fonction du temps. La fréquence du suivi des échographies ou des IRMs dépend des facteurs de risque de dilatation (HTA, biscupidie, coarctation aortique) et du diamètre de l’examen précédent. Il peut varier entre 6 mois et 5 ans (figure). Un diamètre supérieur à 20 mm/m2, surtout lorsqu’il existe une bicuspidie aortique et qu’il existe une augmentation récente du diamètre entre deux examens, doit rendre prudent l’autorisation de la grossesse. Un diamètre supérieur à 23 mm/m2 est une contre-indication à la grossesse et un avis chirurgical par un chirurgien thoracique doit être proposé. Au-dessus de 25 mm/m2, un avis chirurgical est nécessaire. A ce jour, un antécédent de chirurgie aortique reste une contre-indication à la grossesse chez les femmes avec un ST. La mesure de la pression artérielle est importante car l’hypertension est présente chez 20 à 40% des femmes avec ST. Cette consultation préconceptionnelle permet, non seulement de s’assurer que les diamètres aortiques sont compatibles avec la grossesse et que la pression artérielle est contrôlée mais aussi de vérifier le bilan hépatique, avec une mesure des transaminases et des gamma GT. En effet, les anomalies du bilan hépatique sont fréquentes puisqu’elles sont présentes chez 40 à 60% des patientes. Elles sont en lien le plus souvent avec une stéatose. Elles augmentent avec l’âge de la patiente et sont plutôt améliorées par le traitement hormonal substitutif. Même s’il existe des fluctuations possibles des taux de transaminases, un avis hépatologique peut être nécessaire avant d’autoriser la grossesse. D’autre part, la glycémie doit être mesurée en raison du risque accru de diabète de type 1 et de type 2 dans le ST.  La fonction rénale doit être évaluée. Elle est le plus souvent normale, car même si le rein en fer à cheval est une malformation possible, cette anomalie ne modifie pas la fonction rénale. Une étude réalisée par certains centres de don d’ovocytes en France a montré qu’il existait une nette amélioration de la prise en charge des patientes avec un ST souhaitant une grossesse en préconceptionnel, suite aux recommandations. En effet, le taux de consultation préconceptionnelle dépassait 70% mais que les recommandations n’étaient pas encore systématiquement suivies. A titre d’exemple, le diamètre aortique n’était pas connu chez 37% des patientes  (4).

Pour faciliter les décisions vis-à-vis des grossesses chez les femmes avec ST, nous avons mis en place depuis début 2020, une Réunion multidisciplinaire trimestrielle, incluant des gynécologues, des cardiologues, des chirurgiens cardiaques, des hépatologues et des endocrinologues. Le but de cette RCP, qui a lieu tous les 2 mois, est d’autoriser ou de réfuter une grossesse chez les femmes avec un ST, qu’il s’agisse d’une grossesse naturelle ou dans le cadre d’une FIV-DO. Elle a lieu par zoom, rejoignez-nous, vous êtes les bienvenues/bienvenus !

Examen cardiaque

Sophie CHRISTIN-MAITRE
Service d’Endocrinologie, diabétologie et médecine de la reproduction
Centre constitutif de maladies endocriniennes rares de la croissance et du développement (CMERC)
Hôpital ST Antoine, APHP, Sorbonne Université, Paris
sophie.christin-maitre@aphp.fr

  1. Bernard V et al. Hum Reprod 2016
  2. Graff A et al. Hum Reprod 2020
  3. Chevalier N et al. J Clin Endocrinol Metab 2011
  4. Cadoret F et al Eur J Obst Gyn Repro Biol 2018
  5. André H et al Eur J Obst Gyn Repro Biol 2019
  6. Donadille B et al. Am J Med Genet C Semin Med Genet 2019
  7. Cabanes L et al. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 2010;152(1):18–24.
  8. Gravholt C et al.  EJE 2018

 

 
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