Le dépistage organisé des cancers : une (r)évolution nécessaire

Lors de la nomination du gouvernement Borne le 4 juillet 2022, le Dr François Brun a été nommé « ministre de la Santé et de la Prévention ». Ce nouvel intitulé a pu être vu, enfin, comme une inclinaison de la politique de santé vers la prévention et non plus exclusivement vers le soin.

Dans un rapport publié en 2021, la Cour des comptes est très sévère sur « la politique de prévention en santé ». Elle appelle à « une remise à plat » des dispositifs de dépistages organisés, devant des « résultats médiocres » et des « enjeux de professionnalisation ».

La même année, l’Inspection Générale des Affaires Sociale (IGAS) a mené une mission relative aux dépistages organisée des cancers. Dans son rapport, publié en 2022, les inspecteurs reconnaissent le travail conséquent des Centres de Dépistages mais soulignent des insuffisances dans l’organisation et avancent différentes propositions, notamment en termes de pilotages, national et régional.

Reprenons rapidement la mise en place des dépistages organisés en France

  • Le dépistage organisé du cancer du sein a été généralisé en 2004. Toutes les femmes de 50 à 74 ans, à l’exception des femmes à risque personnel ou familial élevé, reçoivent une invitation tous les 2 ans. Avec cette invitation, elles se rendent dans le centre de radiologie agréé de leur choix. Le centre de dépistage contrôle la qualité de l’installation et la formation du radiologue. Elle fait une mammographie 2 incidences, pris en charge en tiers payant. La radiologue peut compléter par les examens qu’il juge nécessaire. Si la mammographie est jugée normale, elle est envoyée au centre de dépistage qui assure une 2ème lecture par des radiologues experts. En cas de divergence de résultats, des examens sont demandés. Sinon la patiente est reconvoquée deux ans plus tard. L’objectif de participation est de 70 %. Après une augmentation progressive jusqu’à 52,3 % en 2012-2013, le taux de participation décline lentement. L’augmentation de 2021 compense la chute de 2020 liée à la crise Covid. Le choix de laisser cohabiter, pour ces mêmes femmes à risque moyen ou faible, un dépistage individuel rend difficile l’évaluation de la couverture globale. Il a été reproché au dépistage organisé de faire un dépistage au rabais, avec peu de clichés, ou au contraire de conduire à un surtraitement de lésions qui seraient restées asymptomatiques. Le dépistage a montré son efficacité à réduire les taux de mortalité par cancer du sein et la deuxième lecture diagnostique 5.5% des cancers dépistés.
  • Le dépistage du cancer colorectal a été déployé dans l’ensemble des départements français en 2010. Il repose sur la détection de sang occulte dans les selles, chez des patients, hommes et femmes, de 50 à 74 ans asymptomatiques et sans antécédent à risque. Il a d’abord été fait par un test au gaïac (Hémocult) puis par un test immunologique (FIT). Si le premier était un peu compliqué, avec des prélèvements multiples sur 3 selles différentes, le second est simple, avec un seul prélèvement. La sensibilité et la spécificité se sont aussi beaucoup améliorées. Avec l’invitation du Centre de Dépistage, le patient peut aller chercher le test chez son médecin traitant ou un gastroentérologue. Il peut aussi, depuis mars 2022, le commander en ligne ou prochainement aller le chercher chez un pharmacien d’officine formé. Il fait le test chez lui et l’envoie par la poste. Le résultat est communiqué au patient et aux médecins. Si le test est positif, il doit faire une coloscopie. La coloscopie permet la découverte de polypes ou lésions bénignes dans 50 à 60 % des cas et un cancer dans 8%. C’est à la fois un outil de dépistage précoce des cancers mais aussi un traitement de lésions bénignes permettant d’éviter le cancer. L’objectif cible de participation est de minimum 45 %. Depuis le début, les taux restent en dessous de 35 %, avec un lent décrochage. Il était attendu un rebond avec l’introduction du test FIT mais l’augmentation observée a été vite annulée par des difficultés d’approvisionnement, rupture de marché public et politique parfois incohérente de l’Assurance Maladie. En 2021 le taux a « bondi » à 34.6% mais il est trop tôt pour en tirer un enseignement.
  • Le déploiement du dépistage du cancer du col a été encore plus chaotique. Initié au niveau européen en 2003, il n’a été généralisé en France qu’en 2018. Plus de 15 ans de mise en place ! Depuis les modifications de l’HAS de 2019, il se fait par frottis cytologique, tous les 3 ans, entre 25 et 29 ans, puis par prélèvement cervico-vaginal pour test HPV, tous les 5 ans, entre 30 et 65 ans. Seul le test est pris en charge totalement en tiers payant (100%), l’acte de prélèvement restant remboursé aux conditions habituelles. Il s’agit d’un dépistage de « rattrapage » : seules les femmes non à jour sont invitées. La complexité de la mise en route, avec un changement de tests au démarrage, a encore été aggravée par la crise Covid et une surinterprétation du RGPD et de la CNIL. A une non-opposition de transmission de données, il a été substitué une multiplicité d’accords de la patiente et de traçabilité d’informations du préleveur. Il a fallu une montée au créneau des Centres de Dépistage pour que la Direction Générale de la Santé reconnaisse aux Centres de Dépistage, en mai 2022, le statut d’acteur de soins, supprimant tout besoin de consentement préalable pour la transmission et le traitement de données. L’objectif de couverture est de plus de 85 %. Ce taux plafonnait à 59% avant la mise en route du dépistage organisé et il est trop tôt pour connaitre l’impact des campagnes d’invitations. L’arrivée des auto-prélèvements pour tests HPV peut aider à augmenter la participation mais leur utilisation doit rester centrée sur les professionnels de santé.

Au-delà de toutes ces difficultés et ces temps longs, il faut admettre une absence de culture de médecine préventive. S’approprier sa santé en l’absence de toute plainte n’est pas évident. L’organisation même du dépistage organisé, avec ces invitations très littéraires, pas toujours accessibles, peut accentuer le côté « administratif », déconnecté du parcours de soins. Il est sans doute temps d’ouvrir le dépistage organisé, en multipliant les portes d’entrée, les actions d’aller-vers, en remobilisant soignants et patients avec un discours de prévention moins catastrophique. Le dépistage organisé peut permettre de remettre dans des parcours de santé des publics qui en sont trop éloignés. Mais aussi il peut être une vraie aide pour les professionnels de santé, en balisant les suivis, en étant une « mémoire » de prévention et en réintégrant des patients plus à risque.
 

Enfin, l’absence de pilotage national et de prise de décisions indispensables, comme pour la dématérialisation complète de la double lecture des mammographies ou pour la transmission des résultats de laboratoire, ne permet pas les évolutions indispensables. Etablir une vraie gouvernance en associant professionnels de santé et Centres de Dépistage est une priorité.

Docteur Jérôme NICOLET
Directeur Médical Régional
CRCDC Ile-de-France
https://www.depistage-cancers-idf.org
 

 
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