Dépistage personnalisé et prédictif du cancer du sein : quelle place exacte ?

INTRODUCTION 

Actuellement le dépistage organisé concerne les femmes âgées de 50 à 74 ans et consiste en la réalisation biennale d’une mammographie +/- échographie mammaire. Le cancer du sein survient cependant parfois avant l’âge de début du dépistage organisé. En effet, environ 10% des cancers du sein sont diagnostiqués avant 50 ans, et 10% avant l’âge de 35 ans . Il est donc souhaitable d’identifier les femmes à risque de cancer précoce. L’estimation du risque individuel de cancer du sein en fonction des facteurs de risque permet de proposer un dépistage personnalisé.
 

FACTEURS DE RISQUE DE CANCER DU SEIN

Le cancer du sein est d’origine génétique, hormonale et environnementale. La connaissance des facteurs de risque et de leur poids est nécessaire pour guider au mieux les actions de prévention. En dehors du sexe féminin et de l’âge, les principaux facteurs de risque sont résumés ci-après.

Facteurs génétiques

2-3% des cancers du sein ont une origine génétique avérée. On entend par là l’existence d’un facteur génétique causal chez la patiente, plus précisément un variant pathogène constitutionnel (autrefois appelé mutation) dans un gène de prédisposition. Les gènes de prédisposition à connaitre sont BRCA1, BRCA2 et PALB2. Par exemple, les femmes porteuses BRCA1 ou BRCA2 ont un risque de développer un cancer du sein d’environ 70% entre les âges de 20 et 80 ans. Le risque associé à PALB2 est moindre, environ 50% à l’âge de 80 ans . Les porteuses sont également à risque augmenté de cancer ovarien.

Facteurs Hormonaux endogènes et exogènes

Une ménarche avant 11 ans, une ménopause au-delà de 55 ans, un première grossesse après 35 ans, la nulliparité, sont des facteurs de risque de cancer du sein. L’allaitement prolongé (>1an) est un facteur protecteur via une différentiation de l’épithélium glandulaire à son stade final d’évolution.

Les études portant sur la densité mammaire évaluée visuellement par le radiologue, à partir de la mammographie, semblent indiquer que le risque relatif de cancer du sein chez une femme ayant une densité de 70 % ou plus (type C ou D) est 4 fois plus important que pour une femme avec une densité de moins de 5% (type A)

Les pilules orales contraceptives et les traitements hormonaux substitutifs de la ménopause (THM) sont des facteurs de risque de cancer. Le sur risque lié aux pilules oestroprogestatives semble disparaître 10 ans après l’arrêt du contraceptif. Concernant le THM,  il y aurait  une augmentation du risque de cancer du sein en cas d’utilisation d’estrogènes combinés à des progestatifs de synthèse.

Facteurs environnementaux ou comportementaux

Les radiations ionisantes sont le seul facteur de risque bien établi de cancer du sein d’origine environnementale, avec relation dose-effet des radiations ionisantes et un effet cumulatif des doses reçus. Les femmes ayant eu un traitement par irradiation thoracique dans l’enfance (pour une maladie de Hodgkin notamment) ont un risque élevé de développer un cancer du sein avec une incidence entre 5 et 14 % à 40 ans 

Mode de vie

La consommation d’alcool constitue le facteur de risque alimentaire de cancer du sein le plus clairement associé au cancer du sein.  Une consommation de 35-44 grammes d’alcool par jour augmenterait de 32 % le risque. Un régime sain (fruits, légumes, céréales, huile d’olive, poisson…) serait associé à une diminution du risque, contrairement au régime occidental (viandes, charcuteries, fritures, graisses animales, peu de fibres…). Après la ménopause, l’obésité augmente le risque de cancer du sein. Le tabagisme serait également un facteur de risque. La pratique d’une activité physique régulière diminue le risque de cancer du sein.

Antécédents personnels

Certaines lésions histologiques mammaires sont associées à un haut risque de cancer du sein. L’hyperplasie atypique augmente le risque de cancer du sein de 3 à 5 fois, et le carcinome lobulaire ou canalaire in situ de 3 à 10 fois.

 

MODELES DE PREDICTION DU RISQUE DE CANCER DU SEIN

L’évaluation du risque de développer un cancer du sein tient compte des facteurs de risque sus décrits. Si une prédisposition génétique est suspectée, la patiente doit être adressée en consultation d’oncogénétique. Si la probabilité de variant pathogène dans un gène de prédisposition est supérieure à 5-10%, l’oncogénéticien prescrit l’analyse d’un panel de gènes de prédisposition au cancer. Le résultat génétique est ensuite intégré aux modèles de prédiction, sachant que la surveillance par IRM mammaire annuelle est systématique - au minimum entre 25-30 et 65 ans - chez les porteuses de variants pathogènes.

La majorité des modèles de prédiction de risque de cancer du sein prennent en compte les antécédents familiaux de cancer du sein, et certains incluent aussi les antécédents personnels de biopsies mammaires anormales et les antécédents gynécologiques et obstétricaux de la patiente. Ces outils permettent de classer dans une catégorie de risque de développer un cancer du sein à 5 et 10 ans, et avant l’âge de 80 ans, et de mettre en place un plan de prévention individualisé. Ce plan de prévention individualisé repose sur un examen clinique sénologique et radiologique par mammographie +/- échographie mammaire +/- IRM mammaire. Il est primordial de garder à l’esprit que ce ne sont que des estimations statistiques et donc imparfaites par définition,et qui peuvent par ailleurs varier au cours de la vie de la patiente. Le jugement du clinicien reste donc important.

Le tableau ci-dessous résume les principaux modèles de risque. Il est important de préciser que CanRisk et IBIS sont des modèles académiques librement utilisables par des professionnels de santé avec une expertise dans le domaine. Ces modèles sont par ailleurs validés par de nombreuses publications scientifiques. MammoRisk est un outil commercial, et ne permet pas d’estimer le risque de cancer du sein des femmes de moins de 40 ans.

 

 

CanRisk

IBIS (Tyrer-Cuzick)

MAMMORISK

Facteurs de risque individuels

   

 

          Age

x

x

x

          Age à la ménarche

X

x

 

          Age à la ménopause

X

x

 

          Parité

X

x

 

          Age à la 1ère naissance

X

x

 

          Indice de Masse Corporelle

X

x

 

          Densité mammaire

X

X

x

          Biopsie mammaire

   

x

          Hyperplasie atypique

 

x

 

          Carcinome Lobulaire In Situ

 

x

 

Facteurs de risque familiaux

   

 

          Cancers du sein

x

x

 

          Nombre de cancers du sein

x

x

 

          1er degré

x

x

x

          2ème degré

x

x

 

          3ème degré

x

x

 

          Age indemnes

x

x

 

          Cancers de l'ovaire

x

x

 

          Cancer du sein chez l'homme

x

 

 

          Cancer du sein controlatéral

x

x

 

          Cas de cancers sein et ovaire

x

x

 

          Cancer de la prostate

x

 

 

          Cancer du pancréas

x

 

 

          Effet cohorte (année de naissance)

x

 

 

          Origine Ashkénaze

x

x

 

          Résultat étude BRCA 1/2

x

x

 

 

 Evaluation du risque

Cancer du
sein et de
l'ovaire,
risque à
1, 5, 10 ans et jusqu'à 80 ans

Cancer du
sein à 10 ans et jusqu’à l’âge de 85 ans

Cancer du
sein à 5 ans

Tableau 1 : Principaux modèles d'évaluation du risque de cancer du sein

 

Ces modèles peuvent également intégrer les scores polygéniques (Polygenic Risk Scores, PRS). Ces scores combinent les analyses de plusieurs centaines de variants génétiques fréquents dans la population générale (>1%). Un variant seul n’est pas prédictif puisqu’il est associé à un risque relatif de cancer du sein souvent < 1.1. La combinaison en revanche chez une même femme d’un grand nombre de variants peut contribuer à un excès de risque justifiant un dépistage renforcé. L’utilité des scores polygéniques en pratique clinique n’est pas encore démontrée.

Exemples

Ces cas cliniques illustrent des situations typiquement rencontrées en consultation de gestion de risque de cancer du sein. Le risque estimé est indiqué, avec les recommandations adaptées de dépistage.

1. Exemple 1

Patiente indemne de cancer à l’âge de 37 ans. Sa mère a développé un cancer du sein RH+ à 42 ans. Il n’y pas d’autres cas dans la famille. L’histoire familiale ne justifie pas d’une analyse génétique.

-Si elle a une densité mammaire B (BI-RADS), son risque cumulé est de 2.1% dans les 10 ans, et de 14.9 % jusqu’à l’âge de 80 ans. Ce risque est proche de celui de la population générale à Le plan de surveillance sera donc un examen clinique sénologique annuel et une mammographie avec une échographie mammaire en cas de seins denses chaque 2 ans à partir de 40 ans

-En revanche, avec une densité mammaire C (BI-RADS), son risque cumulé serait alors de 3.5% et 20.1 %, respectivement dans les 10 ans et jusqu’à l’âge de 80 ans. à le plan de surveillance sera donc un examen clinique sénologique annuel et à partir de 40 ans , une mammographie + echographie mammaire et une IRM mammaire annuelle. Et selon l’INCA et HAS le suivi recommandé à partir de 50 ans est le meme que le dépistage organisé. Mais si la décision est partagée avec la patiente, le suivi annuel peut etre maintenu.

2. Exemple 2

Patiente indemne de 37 ans, avec une densité mammaire B. Sa sœur est décédée d’un cancer du sein diagnostiqué à 37 ans, et  sa mère a développé un cancer du sein à 40 ans. Il y a une indication à des analyses génétiques constitutionnelles chez la mère, apparentée atteinte et toujours vivante la plus proche.

Avant la réalisation de ce test, le risque cumulé de cancer du sein de notre patiente est estimé à 4.4% et 23.3%, respectivement dans les 10 ans et jusqu’à l’âge de 80 ans. à le plan de surveillance sera donc un examen clinique sénologique annuel et à partir de 40 ans , une mammographie + echographie mammaire et une IRM mammaire annuelle. Et selon l’INCA et HAS le suivi recommandé à partir de 50 ans est le meme que le dépistage organisé. Mais si la décision est partagée avec la patiente, le suivi annuel peut etre maintenu.

 

Sa mère réalise, à la demande de la patiente, une analyse à la recherche d’une prédisposition génétique. L’analyse revient normale, aucun variant pathogène n’a été identifié notamment dans BRCA1, BRCA2 et PALB2.

A la lumière de ce nouveau résultat, le risque de la patiente est estimé à respectivement 3.9% et 21.8%. Le risque reste nettement plus élevé que la population générale, le modèle faisant l’hypothèse de facteurs familiaux environnementaux ou génétiques non identifiables.  La surveillance mammaire reste identique à celle proposée précédemment.

Supposons maintenant que, dans cette même famille, un variant pathogène de BRCA2 est mis en évidence chez la mère. Notre patiente fait par la suite un test ciblé dans le cadre d’une consultation d’Oncogénétique, elle n’est pas porteuse du variant familial. Son risque de cancer du sein est alors estimé à 1.9% et 13,9%, respectivement dans les 10 ans et jusqu’à l’âge de 80 ans. Ce risque similaire au risque de base. Elle bénéficiera donc du dépistage organisé dès l’âge de 50 ans.

 

Conclusion

L’amélioration des connaissances des facteurs de risque du cancer du sein, associée au développement de modèles mathématiques de plus en plus robustes, permet de proposer aux femmes un dépistage du cancer du sein personnalisé. Les estimations de risque et les recommandations associées doivent s’inscrire dans le cadre d’une consultation auprès d’une équipe experte. Il est important de rester conscient du caractère imparfait de ces estimations, et de garder donc un regard clinique vigilant. La fiabilité de ces modèles reposant sur la réalisation d’investigations oncogénétiques dans la famille lorsque celles-ci sont indiquées, une collaboration soutenue avec une équipe d’Oncogénétique est donc essentielle.

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