Cancers de l'ovaire : Peut-on limiter la réalisation des curages aortico-caves et pelviens dans le cancer de l'ovaire avancé ?

Dr Cécile LOAEC, Dr Isabelle JAFFRE, Pr Jean-Marc CLASSE. Institut Cancérologie de l’Ouest Nantes-Saint-Herblain.

 

En 2012, 4615 nouveaux cas de cancer de l’ovaire ont été diagnostiqués en France et 3140 femmes sont décédées par cancer de l’ovaire (1). Dans 90 % des cas il s’agit d’une tumeur épithéliale dont le pronostic reste sombre avec un taux de survie à 5 ans de 36 % expliqué notamment par le stade au diagnostic (2). En effet, 80% des cancers de l’ovaire sont diagnostiqués au stade avancé correspondant à une extension péritonéale extra pelvien et/ou ganglionnaire (stade FIGO III) (1). En cas de cancer avancé de l’ovaire, l’atteinte ganglionnaire est fréquente. Peirera et al al. en 2007 sur une une cohorte américaine de 94 femmes opérées pour cancer de l’ovaire avancé avec un curage ganglionnaire, le taux d’envahissement ganglionnaire était de 78% (3).  Plus récemment, dans l’étude ancillaire de l’essai GOG 182 (gynecologic oncology group) qui randomisait les patientes prises en charge en chirurgie première (III et IV) selon plusieurs protocoles de chimiothérapie adjuvante, parmi 689 patientes ayant bénéficié d’une chirurgie intrapéritonéale optimale (R0) et d’un prélèvement ganglionnaire (limité ou étendu), 420 avaient une atteinte métastatique ganglionnaire rétro péritonéale (61%) (4). 

La répartition anatomique de l’atteinte ganglionnaire est différente de la répartition en cas de cancer du col utérin. Les ovaires ont un drainage lymphatique à la fois via les paramètres vers les ganglions pelviens et via les vaisseaux génitaux vers l’aire aortico-cave (5). Le curage ganglionnaire est un geste de staging de la maladie. En 1998, Onda et al, ont montré sur 110 patientes bénéficiant d’un curage ganglionnaire pour cancer de l’ovaire que l’ évaluation ganglionnaire aortico-cave jusqu‘à la veine rénale et ilio-obturatrice avait une sensibilité de 94 % et une valeur prédictive négative de 95 % en tant que test diagnostique d’une atteinte métastatique ganglionnaire (6).

Le traitement du cancer avancé de l’ovaire est basé sur la complémentarité d’une chirurgie complète des lésions et d’une bi chimiothérapie systémique à base de platine et de taxane. La stratégie optimale apportant les meilleures chances de survie globale aux patientes est une chirurgie première complète suivie d’au moins six cycles de carbo platine-Paclitaxel (7). L’évaluation première du caractère résécable de la totalité des lésions amenant à une absence de résidu basée essentiellement sur l’expertise de l’imagerie et l’évaluation coelioscopique. Cette évaluation permet d’identifier des patientes de stade IIIC, pour lesquelles l’effort chirurgical comporte un risque important de complications per et post opératoire, un haut risque de chirurgie incomplète, souvent incompatibles avec leur état général. Pour ces patientes le report de la chirurgie après la réalisation de 3 cures de chimiothérapie néoadjuvante, suivie des cures de chimiothérapies restantes en situation adjuvante, apporte les mêmes chances de survie qu’en cas de réalisation d’une chirurgie première avec une réduction de morbidité (8,9). Jusqu’à présent, hors protocole de recherche clinique et avec l’ objectif d’une chirurgie de résection complète  le curage lombo aortique et pelvien doit accompagner la chirurgie de cytoréduction tumorale (10)

La morbidité spécifique du curage est difficile à établir puisqu’intégrée dans la morbidité globale de cette intervention qui peut aussi s’accompagner de résections digestives (11). Cependant le curage ganglionnaire pelvien et lombo aortique a sa propre morbidité bien connue telle que les lymphocèles, l’ascite chyleuse, ou le lymphœdème des membres inférieurs (12).

Depuis le début des années 2000, la place des curages ganglionnaires fait l’objet de controverse notamment dans la stratégie de chimiothérapie néoadjuvante. En 2004, une étude rétrospective française portant sur 205 patientes prises en charge pour cancer de l’ovaire a comparé le statut ganglionnaire selon la stratégie de traitement en chirurgie première ou en chimiothérapie néoadjuvante. Dans cette étude le taux de métastase ganglionnaire en chirurgie d’intervalle ou après six cures de chimiothérapie était équivalent voir supérieur au groupe chirurgie première. Bien que les  groupes n’étaient pas strictement comparables notamment pour le stade FIGO au diagnostic, ces résultats supportaient l’hypothèse d’une possible « chimio insensibilité » des métastases ganglionnaires rétro péritonéales (13). Di Re et al., par une étude rétrospective portant sur 328 patientes opérées pour cancer de l’ovaire avec curage ganglionnaire (n=248) ou picking ganglionnaire (n=80) ont montré une meilleure survie en cas de curages ganglionnaires (56 mois de médiane de survie versus 41 mois, p=0,05) (14). En 2006, Aletti et al., par une étude rétrospective portant sur 219 patientes prises en charge en chirurgie première pour cancer de l’ovaire avancé rapportaient des résultats équivalents avec une meilleure survie à 5 ans dans le groupe de patientes bénéficiant d’un curage ganglionnaire complet par rapport au prélèvement ganglionnaire « limité » (15). A partir de la base de surveillance Epidemiology and End Results (SEER), Chan et al ont montré sur 13 918 patientes traitées pour un cancer de l’ovaire stade III-IV une amélioration de la survie avec un nombre croissant de ganglions  prélevés (16). Tout récemment l’’étude ancillaire de l’assai GOG-182 incluant les patientes prises en charge pour cancer de l’ovaire avancé en chirurgie première et chimiothérapie adjuvante avec une chirurgie intra péritonéale optimale montrait également un bénéficie sur la survie lorsqu’une exploration ganglionnaire rétro péritonéale était réalisée (4). Le curage ganglionnaire semble impacter positivement la survie cependant le niveau de preuve reste faible et les auteurs rappellent l’absence d’étude randomisée évaluant l’intérêt des curages dans le cancer de l’ovaire avancé.

En 2005, l’essai randomisé multicentrique international de Benedetti Panici a tenté de répondre à la question des curages ganglionnaires dans le cancer de l’ovaire (17). 228 patientes ont été randomisées dans le bras « sans curage » et 224 dans le bras curage entre janvier 1991 et mai 2003. Avec 68 mois de médiane de suivi, la survie globale était identique dans les deux groupes. Le taux de survie sans récidive à 5 ans était de 21,6% versus 31,2  % dans le bras curage (p=0,01). Cet essai a fait l’objet de critiques méthodologiques. Les deux principales critiques étaient l’existence de ganglions métastatiques réséqués dans les deux bras de l’essai (le protocole prévoyait la résection des adénopathies de plus d’un cm dans le bras sans curage) et l’hypothèse statistique. Les auteurs ont basé leur effectif sur l’hypothèse d’un bénéfice de survie globale de 30% supérieur dans le bras curage. Ce bénéfice n’ayant pas été atteint l’essai a été jugé négatif. Le lecteur pourra juger du caractère très ambitieux de cet objectif qui n’est atteint par aucun traitement. En 2006, une seconde étude a été publiée comparant la réalisation des curages (n=138) à la simple résection d’adénopathies suspectes (n=130) pour le cancer ovarien localisé au pelvis (stade II FIGO) (18). Dans cet essai il n’a pas été mis en évidence de différence de survie globale et de survie sans récidive. Cet essai avait pour objectif principal l’évaluation de la fréquence d’envahissement ganglionnaire en fonction du type de staging chirurgical et concernait les cancers ovariens de stade II. Il ne permet donc pas de répondre à la question spécifique du curage des cancers de l’ovaire avancés.  

La communauté internationale n’a pas été convaincue et les curages sont restés recommandés participant à la définition du caractère complet de la chirurgie mais le débat reste ouvert. Dans ce contexte deux essais randomisés portant sur la question des curages pour le cancer épithélial de l’ovaire, ont été mis en place, l’essai LION en Allemagne et l’essai CARACO en France. Les deux essais européens ont en commun une randomisation 1/1 entre un bras curage, pelvien et aortico cave et un bras sans curage, donc sans aucune résection ganglionnaire. Les patientes avec de volumineuses adénopathies avant tout traitement, à l’imagerie ou à la palpation per-opératoire, étaient exclues.  L’essai LION permettait l’inclusion des patientes FIGO IIB-IV, traitées par chirurgie première, avec une chirurgie complète. L’objectif principal était la survie globale. L’hypothèse faisait état d’une amélioration de 6% de la survie globale à 3 ans (de 76% à 82%). Les résultats ont été présentés en communication orale à l’ASCO 2017 et au moment de la rédaction de cet article les résultats n’ont pas encore fait l’objet d’une publication. Au total 650 patientes ont été randomisées, suivie sans différence en survie sans récidive (25,5 mois), ni survie globale (67,2 mois) avec un taux d’envahissement ganglionnaire de 56 % dans le bras curage. La mortalité post-opératoire à 60 jours (3,1% Vs. 0,9%), le taux de reprises chirurgicales (12,4% Vs. 6,5%), le taux d’infections post opératoires (25,8% Vs. 18,6%) ou de lymphocèles abdomino-pelviennes symptomatiques (3% Vs. 0) étaient plus fréquents dans le bras curage. La qualité de vie n’est pas différente entre les deux bras. L’essai Caraco permettait l’inclusion des patientes FIGO III-IV, traitées par chirurgie première ou après chimiothérapie néoadjuvante.  De la même façon la présence d’adénopathies sur le bilan radiologique initial ou en per opératoire excluait la patiente de la randomisation. L’objectif principal était la survie sans récidive. L’analyse des données est actuellement en cours. Les patientes incluses ont bénéficié dans 80 % des cas d’une stratégie de  traitement par chimiothérapie néo adjuvante.  En attendant le recul suffisant pour discuter de  l’impact du curage sur la survie globale et sans récidive, les premiers résultats sur la morbidité post opératoire pourront réveiller les discussions.

 

Au total la lecture de la publication de l’essai LION permettra de statuer sur la validité des résultats et de modifier éventuellement les recommandations de pratiques, au moins en situation de chirurgie première. Les résultats de l’essai CARACO complèteront les informations avec l’ouverture sur la chirurgie d’intervalle.


Références

 

1.  Trétarre B, Molinié F, Woronoff A-S, Bossard N, Bessaoud F, Marrer E, et al. Ovarian cancer in France: trends in incidence, mortality and survival, 1980-2012. Gynecol Oncol. 2015 Nov;139(2):324–9.

2. Baldwin LA, Huang B, Miller RW, Tucker T, Goodrich ST, Podzielinski I, et al. Ten-year relative survival for epithelial ovarian cancer. Obstet Gynecol. 2012 Sep;120(3):612–8.

3. Pereira A, Magrina JF, Rey V, Cortes M, Magtibay PM. Pelvic and aortic lymph node metastasis in epithelial ovarian cancer. Gynecol Oncol. 2007 Jun;105(3):604–8.

4. Di Re F, Fontanelli R, Raspagliesi F, Di Re E. Pelvic and para-aortic lymphadenectomy in cancer of the ovary. Baillieres Clin Obstet Gynaecol. 1989 Mar;3(1):131–42.

5. Onda T, Yoshikawa H, Yokota H, Yasugi T, Taketani Y. Assessment of metastases to aortic and pelvic lymph nodes in epithelial ovarian carcinoma. A proposal for essential sites for lymph node biopsy. Cancer. 1996 Aug 15;78(4):803–8.

6. Ozols RF, Bundy BN, Greer BE, Fowler JM, Clarke-Pearson D, Burger RA, et al. Phase III trial of carboplatin and paclitaxel compared with cisplatin and paclitaxel in patients with optimally resected stage III ovarian cancer: a Gynecologic Oncology Group study. J Clin Oncol Off J Am Soc Clin Oncol. 2003 Sep 1;21(17):3194–200.

7. Vergote I, De Wever I, Tjalma W, Van Gramberen M, Decloedt J, van Dam P. Neoadjuvant chemotherapy or primary debulking surgery in advanced ovarian carcinoma: a retrospective analysis of 285 patients. Gynecol Oncol. 1998 Dec;71(3):431–6.

8. Van der Burg ME, van Lent M, Buyse M, Kobierska A, Colombo N, Favalli G, et al. The effect of debulking surgery after induction chemotherapy on the prognosis in advanced epithelial ovarian cancer. Gynecological Cancer Cooperative Group of the European Organization for Research and Treatment of Cancer. N Engl J Med. 1995 Mar 9;332(10):629–34.

9.  INCa/Département des recommandations pour les professionnels de santé Janvier 2010. 3cancer de l’ovaire".

10. Guidozzi F, Ball JH. Extensive primary cytoreductive surgery for advanced epithelial ovarian cancer. Gynecol Oncol. 1994 Jun;53(3):326–30.

11. Zinzindohoue C, Lujan R, Boulet S, Spirito C, Bobin JY. [Pelvic and para-aortic lymphadenectomy in epithelial ovarian cancer. Report of a series of 86 cases]. Ann Chir. 2000 Feb;125(2):163–72.

12. Joulie F, Morice P, Rey A, Thoury A, Camatte S, Pautier P, et al. [Are nodal metastases in ovarian cancer chemoresistant lesions? Comparative study of initial lymphadenectomy or after chemotherapy]. Gynecol Obstet Fertil. 2004 Jun;32(6):502–7.

13. di Re F, Baiocchi G, Fontanelli R, Grosso G, Cobellis L, Raspagliesi F, et al. Systematic pelvic and paraaortic lymphadenectomy for advanced ovarian cancer: prognostic significance of node metastases. Gynecol Oncol. 1996 Sep;62(3):360–5.

14. Aletti GD, Dowdy S, Podratz KC, Cliby WA. Role of lymphadenectomy in the management of grossly apparent advanced stage epithelial ovarian cancer. Am J Obstet Gynecol. 2006 Dec;195(6):1862–8.

15. Chan JK, Urban R, Hu JM, Shin JY, Husain A, Teng NN, et al. The potential therapeutic role of lymph node resection in epithelial ovarian cancer: a study of 13918 patients. Br J Cancer. 2007 Jun 18;96(12):1817–22.

16. Panici PB, Maggioni A, Hacker N, Landoni F, Ackermann S, Campagnutta E, et al. Systematic aortic and pelvic lymphadenectomy versus resection of bulky nodes only in optimally debulked advanced ovarian cancer: a randomized clinical trial. J Natl Cancer Inst. 2005 Apr 20;97(8):560–6.

17. Maggioni A, Benedetti Panici P, Dell’Anna T, Landoni F, Lissoni A, Pellegrino A, et al. Randomised study of systematic lymphadenectomy in patients with epithelial ovarian cancer macroscopically confined to the pelvis. Br J Cancer. 2006 Sep 18;95(6):699–704.

 

 
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