Prématurité tardive et prééclampsie : attendre ou faire naitre ?

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Choisir entre l’enfant et la mère est un dilemme obstétrical standard, même si nous ne le reconnaissons pas officiellement. C’est le cas dans les pathologies hypertensives, et surtout la prééclampsie, où faire naitre l’enfant dès le diagnostic limiterait les risques maternels, mais souvent au prix des risques néonataux de la prématurité.
Si la France n’a pas encore franchi le pas des recommandations internationales de 2014 sur la prééclampsie (1), la plupart des autres pays riches s’y sont mis. Cela repose sur une modification des critères diagnostiques, essentiellement en cas de prééclampsie sévère, ainsi que sur les seuils d’âges gestationnels pour faire accoucher ces patientes.
Dans l’équilibre des risques maternels et néonataux, il y est recommandé de faire accoucher les patientes avec une prééclampsie modérée à 37SA. Il y a aussi un consensus pour essayer d’attendre dans les prééclampsies (modérées ou sévères) jusqu’à 32-34 SA quand elles surviennent plus précocement.
Il existe donc un dilemme et un désaccord dans la période 34-37SA, désaccord qui n’est pas original car nous le retrouvons dans la rupture des membranes également (2). Dans le cadre de la prééclampsie, cette discussion sur le moment idéal pour faire naitre ces enfants a donné lieux à plusieurs études randomisées européennes et nord-américaines qui ont justement comparé la naissance à l’expectative (avec une surveillance médicale rapprochée) de ces patientes.
Pour tenter d’apporter une réponse à ce débat, Beardmore-Gray et coll. ont réalisé une métaanalyse de données individuelles de patientes des essais randomisés sur le sujet, colligeant ainsi les base de données d’un grand nombre de patientes (3). Ces études sont GRIT (4), HYPITAT (5), DIGITAT (6), Deliver or Deliberate (7), HYPITAT II (8) et PHOENIX (9).

Les auteurs ont commencé par extraire une population de patientes avec une prééclampsie entre 34 et 37SA de ces études afin d’avoir des groupes le plus homogène possible, aboutissant à deux groupes de près de 900 patientes, un dans le bras naissance et l’autre dans le bras expectative.
Le critère de jugement principal maternel était un critère composite fait de la mortalité maternelle et de morbidité maternelle sévère, avec au moins un des critères suivants : éclampsie, AVC, œdème aigu du poumon, syndrome HELLP, insuffisance rénale aigue ou hématome rétroplacentaire.
Le critère de jugement périnatal (fœtal ou néonatal) principal était fait du décès périnatal ou d’un critère composite de complication sévère, incluant des complications en lien avec la prématurité ou le RCIU, qu’elles soient respiratoires, neurologiques, digestive, l’hypoglycémie ou l’ictère qui nécessite une hospitalisation en néonatologie, ou encore un sepsis néonatal confirmé.
Les auteurs ont également collecté une longue liste de critères de jugement secondaires.
Au final, les deux groupes sont identiques, avec un âge maternel entre 29 et 30 ans, essentiellement d’origine ethnique européenne, primipares dans environ 63%, avec une surreprésentation des grossesses multiples (4 à 5%), 15 à 16% de RCIU, 27 à 28% de prééclampsie sévère, et 15 à 16% de prééclampsie sur une HTA chronique.

Les résultats montrent, au niveau maternel, un critère composite de 2,6% dans le groupe accouchement versus 4,4% dans le groupe expectative (RR ajusté 0,59 {0,36 à 0,98}, p=0,041).
Au niveau fœtal/néonatal, les évènements graves sont survenus dans 20,9% dans le groupe naissance versus 17,1% dans le groupe expectative (RR ajusté 1,22 {1,01 à 1,47}, p=0,040).
Ainsi, sans surprise, pour la mère, il vaut mieux faire accoucher le plus tôt possible, et pour le fœtus/nouveau-né, il vaut mieux attendre. Donc, rien de nouveau ?
Les auteurs sont allés plus loin dans leur analyse :

  • D’abord, en moyenne, il n’y a que 4 jours de différence dans l’âge gestationnel naissance, avec 36,2 versus 36,9 SA.
  • Les poids de naissance sont en rapport avec ces quelques jours de différence, avec 2561g versus 2681g.
  • Mais cela donne 7,8% de RCIU < 3e percentile versus 10,6%, donc moins, mais plus d’hospitalisation en soins intensifs de néonatologie avec 6,0% versus 4,6% (NS)
  • Et enfin, parmi tous les critères dons la différence est non statistiquement significative, on note la voie d’accouchement, avec environ 50% de césarienne dans les deux groupes.

Sommes-nous plus avancés ? Les auteurs considèrent que l’accouchement au diagnostic de prééclampsie à 34SA permet d’éviter des complications maternelles sévères (prééclampsies sévères, syndromes HELLP, etc.) au prix d’un peu plus de complications néonatales (dont le principal est la morbidité respiratoire transitoire).
La plupart des cas de complications respiratoires sont survenues dans des études où les patientes recevaient rarement des corticoïdes avant la naissance, et les auteurs interprètent cette information par l’hypothèse qu’une corticothérapie avant la naissance, même après 34SA (oui, vous n’êtes peut-être pas au courant, mais il y a un vrai bénéfice respiratoire à faire des corticoïdes entre 34 et 37SA, avec un prix à payer qui est un peu plus d’hypoglycémies à gérer. Du coup, les pédiatres en France préfèrent gérer la détresse respiratoire transitoire) (10, 11).

Je ne pense pas que le débat autour de la naissance entre 34 et 37SA, en cas de prééclampsie, même modérée, se résume à celui sur la corticothérapie à cette période de la grossesse, mais cela rappelle l’importance du seuil de 37SA, déjà, pour ces grossesses à haut risque de complications sévères.

Références

  • Hypertensive Disorders of Pregnancy: ISSHP Classification, Diagnosis, and Management Recommendations for International Practice. Brown MA, Magee LA, Kenny LC, Karumanchi SA, McCarthy FP, Saito S, Hall DR, Warren CE, Adoyi G, Ishaku S; International Society for the Study of Hypertension in Pregnancy (ISSHP). Hypertension. 2018 ;72:24-43. doi: 10.1161/HYPERTENSIONAHA.117.10803.
  • Immediate delivery compared with expectant management after preterm pre-labour rupture of the membranes close to term (PPROMT trial): a randomised controlled trial. Morris JM, Roberts CL, Bowen JR, Patterson JA, Bond DM, Algert CS, Thornton JG, Crowther CA; PPROMT Collaboration. Lancet. 2016;387:444-52. doi: 10.1016/S0140-6736(15)00724-2.
  • Planned delivery or expectant management in pre-eclampsia: an individual participant data meta-analysis. Beardmore-Gray A, Seed PT, Fleminger J, Zwertbroek E, Bernardes T, Mol BW, Battersby C, Koopmans C, Broekhuijsen K, Boers K, Owens MY, Thornton J, Green M, Shennan AH, Groen H, Chappell LC. Am J Obstet Gynecol. 2022 Apr 26:S0002-9378(22)00315-5. doi: 10.1016/j.ajog.2022.04.034
  • A randomised trial of timed delivery for the compromised preterm fetus: short term outcomes and Bayesian interpretation. GRIT Study Group. BJOG. 2003;110:27-32. doi: 10.1016/s1470-0328(02)02514-4.
  • Induction of labour versus expectant monitoring for gestational hypertension or mild pre-eclampsia after 36 weeks' gestation (HYPITAT): a multicentre, open-label randomised controlled trial. Koopmans CM, Bijlenga D, Groen H, Vijgen SM, Aarnoudse JG, Bekedam DJ, van den Berg PP, de Boer K, Burggraaff JM, Bloemenkamp KW, Drogtrop AP, Franx A, de Groot CJ, Huisjes AJ, Kwee A, van Loon AJ, Lub A, Papatsonis DN, van der Post JA, Roumen FJ, Scheepers HC, Willekes C, Mol BW, van Pampus MG; HYPITAT study group. Lancet. 2009;374:979-988. doi: 10.1016/S0140-6736(09)60736-4.
  • Induction versus expectant monitoring for intrauterine growth restriction at term: randomised equivalence trial (DIGITAT). Boers KE, Vijgen SM, Bijlenga D, van der Post JA, Bekedam DJ, Kwee A, van der Salm PC, van Pampus MG, Spaanderman ME, de Boer K, Duvekot JJ, Bremer HA, Hasaart TH, Delemarre FM, Bloemenkamp KW, van Meir CA, Willekes C, Wijnen EJ, Rijken M, le Cessie S, Roumen FJ, Thornton JG, van Lith JM, Mol BW, Scherjon SA; DIGITAT study group. BMJ. 2010 Dec 21;341:c7087. doi: 10.1136/bmj.c7087
  • Management of preeclampsia when diagnosed between 34-37 weeks gestation: deliver now or deliberate until 37 weeks? Owens MY, Thigpen B, Parrish MR, Keiser SD, Sawardecker S, Wallace K, Martin JN Jr. J Miss State Med Assoc. 2014 Jul;55(7):208-11
  • Immediate delivery versus expectant monitoring for hypertensive disorders of pregnancy between 34 and 37 weeks of gestation (HYPITAT-II): an open-label, randomised controlled trial. Broekhuijsen K, van Baaren GJ, van Pampus MG, Ganzevoort W, Sikkema JM, Woiski MD, Oudijk MA, Bloemenkamp KW, Scheepers HC, Bremer HA, Rijnders RJ, van Loon AJ, Perquin DA, Sporken JM, Papatsonis DN, van Huizen ME, Vredevoogd CB, Brons JT, Kaplan M, van Kaam AH, Groen H, Porath MM, van den Berg PP, Mol BW, Franssen MT, Langenveld J; HYPITAT-II study group. Lancet. 2015;385:2492-501. doi: 10.1016/S0140-6736(14)61998-X.
  • Planned early delivery or expectant management for late preterm pre-eclampsia (PHOENIX): a randomised controlled trial. Chappell LC, Brocklehurst P, Green ME, Hunter R, Hardy P, Juszczak E, Linsell L, Chiocchia V, Greenland M, Placzek A, Townend J, Marlow N, Sandall J, Shennan A; PHOENIX Study Group. Lancet. 2019 Sep 28;394(10204):1181-1190. doi: 10.1016/S0140-6736(19)31963-4.
  • Antenatal Betamethasone for Women at Risk for Late Preterm Delivery. Gyamfi-Bannerman C, Thom EA, Blackwell SC, Tita AT, Reddy UM, Saade GR, Rouse DJ, McKenna DS, Clark EA, Thorp JM Jr, Chien EK, Peaceman AM, Gibbs RS, Swamy GK, Norton ME, Casey BM, Caritis SN, Tolosa JE, Sorokin Y, VanDorsten JP, Jain L; NICHD Maternal–Fetal Medicine Units Network. N Engl J Med. 2016;374:1311-20. doi: 10.1056/NEJMoa1516783.
  • Antenatal corticosteroids for accelerating fetal lung maturation for women at risk of preterm birth. McGoldrick E, Stewart F, Parker R, Dalziel SR. Cochrane Database Syst Rev. 2020;12:CD004454. doi: 10.1002/14651858.CD004454.pub4

 
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