Ne pas jeter la maman avec l’eau du premier bain

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Pourquoi les pathologies obstétricales devraient déclencher un suivi à vie chez la femme ?

Stéphanie, 35 ans, est nullipare sans facteur de risque. Elle est suivie tous les mois à la maternité. Elle est à 33 SA, a eu ses trois échographies, sept consultations de suivi de grossesse et déjà trois cours de préparation à la naissance par une sage-femme libérale. À l’échographie du troisième trimestre, on suspecte un fœtus petit pour l’âge gestationnel. Inquiétude. On intensifie la surveillance, toutes les semaines. Certains vont même la mettre au repos pour que le fœtus, que nous appellerons maintenant bébé, grossisse mieux (bon…).

Puis, à 34 SA, on lui diagnostique une HTA. On lui demande de surveiller ses pressions artérielles à domicile et on lui fait des bilans sanguins et urinaires. Apparait une protéinurie. On fait passer la sage-femme de l’hospitalisation à domicile (HAD) tous les deux jours, voire on l’hospitalise à la maternité, en lui demandant de bien rester allongée sur le côté gauche pour mieux nourrir ce bébé (vraiment ?). C’est une prééclampsie. On enregistre des cardiotocographies tous les jours, voire plusieurs fois par jour. On fait des échographies avec plein de Doppler. La prise en charge devient multidisciplinaire et on décide d’une naissance à 37 SA, avec des pédiatres prêts pour accueillir Tom, ce petit garçon de 2050 g.

Tom nait et après un court câlin va en néonatologie. Stéphanie est transférée au réveil pour être surveillée 5-6 heures, puis retourne dans sa chambre sous monothérapie antihypertensive per os.

À J3, Tom est avec Stéphanie dans sa chambre. À J5, les pédiatres donnent un feu vert pour un retour à domicile avec une HAD pour Tom car il est encore fragile. Stéphanie doit continuer son traitement anti-hypertenseur per os. On inonde Stéphanie de conseils pour Tom, surtout pour qu’elle réussisse son allaitement maternel car c’est important pour Tom. On parle de contraception avant la sortie.

On lui dit d’aller voir son médecin généraliste pour ses pressions artérielles. Et bravo madame !

Cette caricature s’intègre dans l’histoire de la médicalisation de l’accouchement où

  • Il fallait ne pas tuer les mères, à une époque où aller à l’hôpital était plus dangereux car on y mourrait plus et plus vite.
  • Il fallait faire survivre les femmes à des accouchements difficiles ou impossibles, en inventant, entre autres, forceps et outils de destruction/extraction fœtale.
  • Le fœtus a gagné une existence et est devenu un individu :
    • On enregistre les battements de son cœur
    • On le regarde (à l’échographie, qu’on fait même en 3D, à l’IRM…)
    • Quand avant, l’enfant n’existait pas avant d’avoir survécu des jours, des mois, voire des années, il est devenu le centre de l’attention dès sa conception.

Une fois la mère et l’enfant séparés par la naissance, car il faut bien un jour couper ce cordon, la très grande majorité de l’attention reste centrée sur l’enfant, abandonnant la mère. C’est parfois aussi le cas des proches.

Pourtant, ce manque de suivi des soignant.es explique pourquoi si peu sont au courant des risques cardiovasculaires à long terme des femmes qui ont fait une prééclampsie (similaires au tabagisme (1)), pourquoi le dépistage du diabète à long terme après un diabète gestationnel est finalement rare, et pourquoi la première cause de mortalité maternelle est psychiatrique dans le postpartum (2,3)

Nous, professionnel-le-s devons militer pour que la grossesse et ses complications restent des marqueurs médicaux à vie, permettant d’adapter la surveillance dans les semaines, mois et années qui suivent l’accouchement. Le postpartum ne devrait pas être le no man’s land médical actuel, mais un tremplin vers une prise en charge adaptée pour le restant de sa vie. 

La tentative d’introduction de la notion du 4e trimestre n’arrive pas à s’imposer (4). Les propositions d’outils sur la surveillance dans le postpartum peinent aussi à s’imposer (5).

Il faut que les professionnels(les) de santé réinventent le suivi obstétrical postnatal.

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  1. Kara A Nerenberg, Christy-Lynn Cooke, Graeme N Smith, Sandra T Davidge. Optimizing women's cardiovascular health after hypertensive disorders of pregnancy: a translational approach to cardiovascular disease prevention. Can J Cardiol 2021;S0828-282X(21)00652-8. doi: 10.1016/j.cjca.2021.08.007.
  2. https://maternalmentalhealthalliance.org/wp-content/uploads/MBRRACE-UK-Maternal-Report-2015-3.pdf  - Accédé le 01/09/2021
  3. https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/314832/2900906 Accédé le 01/09/2021
  4. Kristin P Tully , Alison M Stuebe, Sarah B Verbiest. The fourth trimester: a critical transition period with unmet maternal health needs. Am J Obstet Gynecol 2017;217:37-41. doi: 10.1016/j.ajog.2017.03.032.
  5. Kelly S Gibson, Afshan B Hameed. Society for Maternal-Fetal Medicine Special Statement: Checklist for postpartum discharge of women with hypertensive disorders. Am J Obstet Gynecol 2020;223:B18-B21.  doi: 10.1016/j.ajog.2020.07.009.

 
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