Comment réduire le recours à l’angioscanner en cas de suspicion d’embolie pulmonaire au cours de la grossesse ?

Auteurs

Les pathologies thrombo-emboliques veineuses, surtout l’embolie pulmonaire et un peu de thromboses veineuses cérébrales, sont une des premières causes de morts maternelles dans les pays industrialisés.

Le dernier rapport français sur la mortalité maternelle nous a montré que celles par causes directes baissent, surtout grâce à la réduction de la mortalité maternelle par hémorragie du postpartum1. Il y a, cependant, certains points d’inquiétude comme la mortalité par causes indirectes, telles que les causes cardio-vasculaires, et la mortalité par pathologies thrombo-emboliques veineuses qui reste stable dans le temps, entre les rapports sur la période 2001-2003 et le dernier sur la période 2010-2012.

La lecture de l’article spécifique sur la mortalité par pathologies thrombo-emboliques veineuses du dernier rapport français nous apprend que certaines morts étaient inévitables, mais d’autres probablement évitables2.

L’enjeu pour ces cas considérés comme évitables au cours de la grossesse, est la prévention, le diagnostic et le traitement précoce.

Le diagnostic est un sujet de débat. Quand lancer la recherche sachant que la dyspnée à l’effort, l’orthopnée et la tachycardie sont des symptômes habituels de la grossesse ? Une fois que la suspicion est suffisamment forte, quels examens doivent être réalisés, avec quelle séquence ?

L’examen de référence est l’angioscanner thoracique, mais il y a des discussions sur les risques, pas tant pour le fœtus que pour l’irradiation médiastinale et mammaire.

La quasi-totalité des articles publiés exclut les femmes enceintes. Les protocoles et recommandations reposent donc sur des extrapolations de données sur des hommes et des femmes hors grossesse. Nous n’avons pas de données spécifiques et ne pouvons certifier que ces extrapolations sont justes.

Cela est l’objectif d’un article du New England Journal of Medicine publié le 21 mars 2019 intitulé « Pregnancy-Adapted YEARS Algorithm for Diagnosis of Suspected Pulmonary Embolism3 ».

Ce travail utilise les données de l’étude internationale multicentrique ARTEMIS, qui a collecté des données d’octobre 2013 à mai 2018 dans 18 centres, spécifiquement sur les femmes enceintes avec une suspicion d’embolie pulmonaire.

Les critères d’inclusion comportaient le fait pour la patiente d’être adressée aux urgences générales ou aux urgences de gynécologie-obstétrique pour une suspicion d’embolie pulmonaire, dont la définition était une apparition ou aggravation d’une douleur thoracique ou d’une dyspnée, avec ou sans hémoptysie ou tachycardie. En fait, c’est l’étude YEARS4 qui a été reproduite et poursuivie uniquement avec des patientes enceintes.

En cas de patiente adressée pour une suspicion d’embolie pulmonaire, il fallait doser les D-dimères et se poser trois questions :

  1. Y a-t-il des signes de phlébite des membres inférieurs ? (Si oui, il fallait commencer par un examen Doppler. Si positif, débuter l’anticoagulation. Si négatif, poursuivre les investigations.)
  2. Y a-t-il une hémoptysie ?
  3. Est-ce que l’embolie pulmonaire est le diagnostic le plus probable.

 

Les auteurs ont inclus près de 500 patientes enceintes et les ont classées dans quatre groupes :

  1. Aucun des trois critères et des D-dimères <1000 ng/ml = pas d’embolie pulmonaire et pas d’anticoagulation. Il y a eu une patiente avec une phlébite dans le suivi.
  2. Aucun des trois critères et des D-dimères >1000 ng/ml = angioscanner et débuter anticoagulation si positif. Il y a eu une patiente avec une embolie pulmonaire confirmée.
  3. Au moins un des trois critères et des D-dimères <500 ng/ml = pas d’embolie pulmonaire et pas d’anticoagulation. Il n’y a eu aucun accident thrombotique.
  4. Au moins un des trois critères et des D-dimères >500 ng/ml = angioscanner et débuter anticoagulation si positif. Il y a eu quinze patientes avec une embolie pulmonaire confirmée.

 

Au total, l’algorithme YEARS4 peut donc être appliqué aux femmes enceintes, et ainsi réduire de près de 40 % la nécessité de réaliser un angioscanner au cours de la grossesse en cas de suspicion d’embolie pulmonaire

Cet article remet au premier plan le rôle des D-dimères, abandonnés par beaucoup à cause du taux important de faux-positifs. Ils sont ici utilisés pour leur valeur prédictive négative uniquement.

Enfin, dans cette étude, il y a eu 5/74 embolies pulmonaires au premier trimestre, 8/193 embolies pulmonaires au deuxième trimestre et 7/231 embolies pulmonaires au troisième trimestre. Ces chiffres rappellent que les risques d’embolies pulmonaires existent à tous les trimestres de la grossesse et qu’une suspicion doit être gérée de la même façon tout au long de la grossesse.

 

En conclusion, l’utilisation des D-dimères dans un algorithme précis diminue de 40% la nécessité de réaliser un angioscanner au cours de la grossesse en cas de suspicion d’embolie pulmonaire. Nous pouvons utiliser ces données pour modifier et adapter nos protocoles de prise en charge. Il est cependant peu probable que cela aboutisse à une diminution de la mortalité maternelle par embolie pulmonaire car elle survient le plus souvent dans le postpartum.

 

Références

  1. Deneux-Tharaux C, Saucedo M. [Epidemiology of maternal mortality in France, 2010-2012]. Gynecol Obstet Fertil Senol 2017;45:S8-S21.
  2. Rossignol M, Morau E, Dreyfus M. [Maternal death by venous thromboembolic disease]. Gynecol Obstet Fertil Senol 2017;45:S31-S7.
  3. van der Pol LM, Tromeur C, Bistervels IM, et al. Pregnancy-Adapted YEARS Algorithm for Diagnosis of Suspected Pulmonary Embolism. N Engl J Med 2019;380:1139-49.
  4. van der Hulle T, Cheung WY, Kooij S, et al. Simplified diagnostic management of suspected pulmonary embolism (the YEARS study): a prospective, multicentre, cohort study. Lancet 2017;390:289-97.

 

 
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