Avoir un enfant quand on est malade ou handicapée

Quand elle envisage une grossesse, une femme souffrant d’une maladie chronique ou vivant en situation de handicap a souvent des difficultés à trouver des réponses à ses interrogations sur sa santé, sur celle du futur enfant, sur l’avenir de sa famille.

Quel impact le problème de santé de la jeune femme aura-t-il sur l’évolution de la grossesse ? Une grossesse est elle susceptible d’induire des complications chez la future mère ? Des mesures de prévention spécifiques sont-elles nécessaires pour préparer la grossesse ou l’accueil de l’enfant ? Comment associer le futur père au choix d’être enceinte ou non ? Comment la grossesse sera-t-elle perçue par la famille élargie, par l’entourage, par les professionnels ? Félicitations ou stigmatisation ? Toutes ces interrogations soulignent la nécessité de préparer la grossesse au cours d’une ou plusieurs consultations « préconceptionnelles » impliquant un spécialiste de la maladie dont souffre la femme, un gynécologue obstétricien familier avec les maladies maternelles, et le cas échéant un anesthésiste réanimateur susceptible de prendre en charge la femme enceinte en cas de complication aigue mettant en jeu le pronostic vital, un pédiatre, un spécialiste du psychisme, un généticien. Cette consultation permet d’évaluer les risques et d’établir une stratégie de préparation et de suivi de la future grossesse.

 

Projet de grossesse

La grossesse peut être planifiée dans une certaine mesure, mais reste parfois un événement imprévu. En pratique habituelle, le projet de faire un enfant se concrétise par le choix de ne plus utiliser de méthode contraceptive. Chez toutes les femmes, des stratégies de prévention des complications de la grossesse sont alors proposées par les professionnels de santé : arrêt du tabac et de l’alcool, sérologies notamment VIH et toxoplasmose, vaccinations (rubéole, coqueluche…), acide folique. Dans le cas d’une femme atteinte d’une maladie chronique ou vivant en situation de handicap, des actions spécifiques, une information adaptée à chaque cas s’ajoutent aux mesures habituelles.

Une première étape consiste à évoquer le projet de grossesse avec le médecin, généraliste ou spécialiste de l’affection en cause, qui est en charge du suivi habituel. Bien des éléments, conscients ou non, peuvent s’y opposer. Parler de la vie sexuelle, du désir de maternité, du rejet de la contraception dans certains cas, c'est lever le voile sur des questions personnelles parfois difficiles. Evoquer la question de la grossesse peut être compliqué pour un médecin qui suit une personne depuis l'enfance. Certaines femmes, craignant une réaction négative du praticien, dont elles supposent à tort ou à raison, qu’il «interdirait» la grossesse, préfèrent le mettre devant le fait accompli. Parfois, la patiente et le médecin se comprennent mal: en réponse à une jeune femme porteuse d’une maladie métabolique grave connue depuis la petite enfance qui l’interroge sur sa possibilité d’être enceinte un jour, le pédiatre qui la suit depuis toujours lui explique qu’elle n’est pas infertile, et l’expression « vous pouvez être enceinte » est comprise par la patiente comme un « feu vert » à la grossesse. Dans certains cas enfin, l’évocation de la grossesse peut être difficile du fait de la nature même de la maladie, par exemple pour les femmes atteintes d’un trouble psychiatrique chronique.

Imaginer que le médecin omniscient pourrait interdire ou autoriser la grossesse est une représentation sommaire de la réalité. Certes, en vertu de son devoir de bienfaisance, il peut déconseiller une grossesse si le risque de mortalité et de morbidité maternelle ou fœtale lui parait trop grand. Cependant, même si il existe un consensus des professionnels pour déconseiller la grossesse dans les cas les plus graves, mais il n’est pas toujours facile de fixer a priori des limites de risque à ne pas franchir. De toute façon, en l’absence d’infertilité, la décision de tenter de mettre en œuvre une grossesse revient de fait au couple. L’information sur les risques potentiels de la grossesse, et les mesures de prévention ou d’accompagnement souhaitables est idéalement discutée avant même l’arrêt de la contraception.

 

Consultation préconceptionnelle

 

La consultation préconceptionnelle est idéalement informative et non-directive permettant un choix bien informé, et respectant l’autonomie de décision de la personne. C’est un exercice difficile, qui nécessite une bonne connaissance des enjeux médicaux, mais aussi la capacité de les traduire de façon suffisamment simple pour être compréhensible, en avouant les limites de nos connaissances. La présence du partenaire est souhaitable, car il a souvent le sentiment de partager la responsabilité si des complications survenaient du fait de la grossesse.

En pratique, un consensus est souvent trouvé entre le couple et les professionnels médicaux. Une approche psychothérapeutique peut aider, non pas à prendre une décision, mais à mettre en lumière les enjeux de chacun et à favoriser le dialogue à l’intérieur du couple, de la famille, ou avec les soignants.

Consulter avant la conception nécessite la collaboration d’au moins deux intervenants: un spécialiste de la maladie familiarisé avec les enjeux de la grossesse, et un obstétricien ayant l’habitude des grossesses chez des femmes malades ou handicapées. L’intervention d’un anesthésiste, d’un généticien ou d’un pédiatre peut être nécessaire à ce stade.

Un premier objectif de cette consultation est de préciser la prise de risque que constitue la grossesse. C’est aussi l’occasion de préparer la grossesse, par exemple en favorisant l'équilibre d’un diabète insulinodépendant ou en adaptant un traitement anti-épileptique. Enfin, une approche psychologique est souvent utile, par exemple quand existe une tension entre désir de grossesse et crainte des complications, ou quand on devine des difficultés de communication entre la patiente et son entourage ou l’équipe médicale.

La démarche préconceptionnelle est assez standardisée.

En termes d’évaluation des risques, un premier questionnement est de savoir si la maladie est susceptible de retentir sur l’évolution de la grossesse ou sur le développement de l’enfant. Un déséquilibre du diabète peut provoquer des malformations ou une mort périnatale. En cas d’infection par le VIH l’absence de contrôle de la réplication virale ferait courir un risque de la transmission du virus à l’enfant et au partenaire. Chez une femme épileptique, le choix des traitements doit prendre en compte la toxicité fœtale. Dans certaines cardiopathies, la dégradation de la santé de la mère peut rendre nécessaire un accouchement prématuré comportant des risques pédiatriques. Un effet indirect de la maladie sur la descendance peut aussi être lié à son caractère génétiquement transmissible. Une consultation de conseil génétique est alors utile. L’autre aspect de l’évaluation des risques est de chercher à savoir si la grossesse pourrait aggraver la maladie, soit parce qu’une complication chronique évoluerait à bas bruit (insuffisance rénale ou atteinte oculaire par micro angiopathie diabétique), soit parce que pourrait survenir une complication aiguë (par exemple insuffisance cardiaque), parfois grave au point de nécessiter d’une hospitalisation en réanimation, ou d’être à l’origine d’une mort maternelle. Des complications graves peuvent aussi être liées à l’arrêt intempestif d’un traitement, par crainte de sa nocivité (trouble de l’humeur grave après arrêt brutal d’un traitement psychotrope).

Après l’évaluation des risques, l’objectif est d’établir une stratégie de prévention des complications de la grossesse. Cette stratégie peut viser à stabiliser la maladie (équilibration d’un diabète, cure chirurgicale d’une malformation cardiaque, greffe rénale chez une femme dialysée…), à choisir des médicaments adaptés à la grossesse (recours aux centres de pharmacovigilance par exemple www.lecrat.org). Il faut aussi déterminer un suivi de la grossesse adapté à la maladie maternelle, avec dans la mesure du possible sur le même site, un service de gynécologie obstétrique, un service de spécialité correspondant à la maladie en cause, une possibilité de réanimation maternelle en cas de complication, un service de médecine néonatale adapté aux complications pédiatriques. Les questions des suites de couches et de l’allaitement doivent aussi être abordées dès la période préconceptionnelle. Dans les cas simples, on peut recourir aux établissements de proximité, pour ne pas éloigner la future mère de son domicile ou de celui de son entourage. Cependant, quand il s’agit d’une maladie rare ou grave, le centre le mieux adapté à la maladie peut être éloigné du domicile, et les problèmes logistiques peuvent être délicats à résoudre.

Une situation particulière est constituée par le « handicap ». Les déficiences sensorielles posent des problèmes particuliers : il s’agit plus d’adapter les modes de communication en usage dans le système de santé que de prendre en charge une véritable maladie. Les déficiences motrices nécessitent, certes, une adaptation des locaux, mais peut être plus encore une compréhension par les soignants des astuces de la vie quotidienne, et des particularités de certaines perceptions somatiques. Les enjeux anesthésiques peuvent être au premier plan (possibilité ou non de réaliser une anesthésie loco régionale, insuffisance respiratoire associée…).

Au terme de cette consultation, il est tentant de vouloir quantifier les risques, au moins en ordre de grandeur. C’est un exercice délicat, car on ne dispose pas toujours de données suffisantes sur des femmes ayant non seulement la même maladie, mais aussi le même type d’évolution. Par ailleurs, comment définir un risque « très » ou « trop » élevé ? L’expérience quotidienne montre combien la perception d’un risque est subjective. Une piste est de comparer l’ordre de grandeur d’un risque de mortalité ou de morbidité à celui de la « population générale » des femmes sans pathologie médicale connue. Pour mémoire, dans ce groupe, il persiste un taux de mortalité maternelle de l’ordre de grandeur de 1/10.000 et la mortalité périnatale de 22 semaines d’aménorrhée aux premières semaines de vie, reste de l’ordre de grandeur de 1/100.

 
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