Avenir de l’obstétrique

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Demain, l’obstétrique sera…

L’obstétrique est une spécialité très différente des autres spécialités médicales pour au moins deux raisons : elle repose en grande partie sur la culture de la communauté et elle a longtemps été immune à la science. De plus, elle partage avec la pédiatrie, le fait de voir en majorité des patients en bonne santé.

Les femmes sont toutes les mêmes, partout dans le monde… ou pas.

Dans certains pays, il est normal d’accoucher à la maison et accoucher à l’hôpital peut alors être vécu comme un échec. C’était le cas aux Pays-Bas jusqu’à récemment. Dans d’autres régions, comme en Scandinavie par exemple, les femmes demandent rarement une analgésie péridurale pour l’accouchement et ce malgré une disponibilité des anesthésistes. C’est pourtant quasiment la règle dans d’autres pays d’Europe (plus au sud, notamment).

La durée d’hospitalisation après un accouchement est aussi un exemple de disparités importantes. Dans certains pays, plus la femme reste longtemps hospitalisée, plus elle a l’impression qu’on s’occupe d’elle, alors que dans d’autres pays qui n’ont pas plus de ressources au domicile que les premiers, il est inquiétant de rester plus de quelques heures car cela signifie qu’il y a un problème médical. Enfin, dans certains pays il faut éviter l’hôpital public où le soin est de mauvaise qualité et où le matériel est rare et défaillant alors que dans d’autres (la plupart des pays occidentaux), quand la situation devient grave et compliquée, mieux vaut aller dans le système public où l’on trouve plus de compétences et moins de risques, comme l’a démontré l’équipe française EPOPé dans l’une de ses dernières publications (1).

Nos systèmes de soins périnataux doivent donc être en phase avec les croyances, attentes et habitudes de la population qu’ils accompagnent et traitent.

L’obstétrique a longtemps été la lanterne rouge de la médecine basée sur les preuves (l’Evidence Based Medicine). Les soignants travaillaient selon leurs croyances et en fonction de ce que leurs ainés leur avaient transmis, sans questionnement. Les pratiques étaient différentes d’un professionnel à l’autre au sein d’un même service et les différences étaient énormes entre les hôpitaux, villes, régions, etc. À cette époque, les indicateurs de santé, tels que la mortalité périnatale ou la mortalité maternelle étaient mauvais presque partout. Puis la science a essayé de faire un peu de ménage dans les pratiques : cela est illustré par l’effort colossal d’organisations telles que la Cochrane Library qui s’est attaquée en priorité à l’obstétrique, jusqu’à en faire son logo (avec un diagramme symbolisant les résultats d’une revue systématique sur la corticothérapie en cas de menace d’accouchement prématuré, soit un exemple du potentiel d’amélioration des soins de santé que représentent les revues systématiques (2)).

Depuis vingt ans, les auteurs publient études randomisées, revues systématiques et métaanalyses, et les organisations nationales, régionales ou mondiales rédigent des recommandations pour la pratique clinique basées sur ces travaux. Ces recommandations mènent à l’écriture ou à la mise à jour de protocoles de service et de réorganisation des systèmes de soins. Toutes ces démarches sont améliorées par les échanges entre professionnels de différents pays, et tous les indicateurs se sont globalement améliorés.

Nous venons donc de voir ce que nous allons appeler l’étape A, la mise en lumière des données de la science que nous avons illustrées par l’exemple de la Cochrane Library. L’étape B a consisté en l’organisation et la structuration des soins à tous les niveaux, européen, national, régional, dans les villes et les services, entre les services et les professionnels libéraux de ville.

Nous avons déjà commencé à vivre l’étape C de ce grand cycle vertueux. Nos indicateurs sont au mieux (ou presque), et le soin est globalement homogénéisé. Nous avons classé les maternités en types pour la prise en charge de la prématurité et piétinons encore un peu pour l’organisation du soin pour la santé de la mère, mais ça avance. Les soignants sont plutôt obéissants, ou ont appris à le devenir. Si les données de la littérature disent X, les professionnels écriront X dans les protocoles et feront X quand il sera temps de les appliquer, avec toujours un zest de désobéissance car la France est quand même un pays d’insoumis.

Mais voilà, le patient reste maître du choix de son soin. Il peut choisir de ne pas se faire soigner, et privilégier un soin différent de celui qu’on lui propose. Cela entraîne des conflits fondamentaux dans nos systèmes. Nous sommes ainsi passés du temps où le professionnel régnait en maître absolu et dont on ne discutait pas les choix thérapeutiques, à celui où le professionnel recommande le soin le plus adapté. Dans la situation actuelle, les choix se discutent entre professionnels et patientes. Ce dernier changement est rude pour certains soignants, voire encore plus violent que ne l’a été la mise en place des recommandations et protocoles pour certains.

C’est ainsi que dans notre service, là où il était écrit « Il faut… », nous changeons progressivement en « Il est raisonnable de proposer… » lors des mises à jour et réécritures des protocoles. C’est également ainsi que certains pays ont fermé les petites maternités pour n’en avoir que des grandes, voire très grandes, mais se sont simultanément ouverts aux maisons de naissance et à l’accouchement à domicile encadrés par des textes et recommandations.

Les consultations de suivi de grossesse illustrent bien ce changement. Le toucher vaginal systématique a disparu (ou aurait dû disparaître) et nous passons une grande partie du temps de la consultation à expliquer et reporter dans le dossier les choix qui ont été faits collégialement. Il faut que la médecine évolue vite pour limiter les conflits entre soignants et patients.

Il persiste des points de friction. Le payeur, chez nous la Sécurité sociale, veut le mieux au meilleur prix, privilégiant les soins d’intérêt collectif aux soins d’intérêt individuel. Le soignant veut le soin qui donne le meilleur résultat, les meilleurs indicateurs, sans que le coût soit la priorité. Le patient veut un mélange de ce qui donne le meilleur résultat et correspond le plus à ses attentes ; et les attentes sont nombreuses en obstétrique. Ces trois principaux acteurs sont souvent en désaccord en obstétrique.

Sans remettre en cause les changements qui ont permis les avancées importantes dans la santé de la mère et du nouveau-né, nous devons intégrer cette nouvelle étape.

Cela va s’illustrer par la nette diminution des épisiotomies, la fermeture de petites maternités, la reconnaissance de l’accouchement à domicile et sa structuration, l’acceptation de la maturation cervicale et de la césarienne à la demande de la patiente sans indication médicale, l’ouverture de nos maternités comme plateaux techniques pour les sages-femmes et médecins libéraux et la professionnalisation de la médecine maternelle, par exemple.

L’obstétrique de demain ne sera pas un retour en arrière, comme certains le prédisent. Elle donnera plus de liberté aux femmes et aux couples, augmentant leur satisfaction, tout en continuant à améliorer les indicateurs de qualité de soins.

L’avenir sera fait de patients et des soignants à l’écoute les uns des autres.

PS : je ne vous ai pas parlé de l’amélioration des conditions de travail des professionnels, mais c’est beaucoup trop long pour ce petit texte éditorial…

  1. Saucedo M, Bouvier-Colle MH, Blondel B, Bonnet MP, Deneux-Tharaux C, Group ES. Delivery Hospital Characteristics and Postpartum Maternal Mortality: A National Case-Control Study in France. Anesth Analg 2019.
  2. "The difference we make | Cochrane: Our logo tells a story". www.cochrane.org. Accès le 9 déembre 2019.

 
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