Faut-il dépister l’hypothyroïdie maternelle en debut de grossesse chez une patiente n’ayant aucun antécedent de dysthyroïdie ?

Lecture critique de l’article : Lazarus et al. Antenatal thyroid screening and childhood cognitive function. N Engl J Med 2012 ; 366 :493-501.

De manière générale, la mise en œuvre d’un dépistage est justifiée pour une pathologie fréquente et grave, pour laquelle il existe un test de dépistage efficace, acceptable, simple et peu coûteux. Enfin, ce dépistage ne sera réellement justifié que s’il existe un traitement efficace à proposer aux patients pour lesquels la maladie dépistée a été diagnostiquée. Par sa fréquence et l’existence de tests diagnostiques simples et efficaces, il est légitime de se poser la question de l’intérêt du dépistage de l’hypothyroïdie maternelle en début de grossesse. Si cette pathologie n’est pas un enjeu de santé publique pour les femmes enceintes, la question de l’impact de l’hypothyroïdie maternelle en cours de grossesse sur le développement psychomoteur du nouveau-né reste en suspens. Plusieurs larges études de cohorte observationnelles ont mis en évidence un lien entre l’hypothyroïdie maternelle et le risque de retard psychomoteur des enfants de ces femmes. Une première étude publiée en 1971 avait décrit un retard intellectuel des enfants nés de mère ayant une hypothyroïdie non liée à un déficit en iode pendant leur grossesse (1). Une autre étude avait mis en évidence un QI inférieur à 85 chez 19 % des enfants nés de mères ayant un niveau de TSH élevé contre 5 % des enfants dont la mère avait un taux de TSH normale (p=0,005) (2). Deux autres études, une néerlandaise (3) et une chinoise (4), avaient également montré un risque accru de retard de développement neurologique à 2 ans chez les enfants nés de mère ayant une hypothyroïdie biologique asymptomatique. De tels résultats suggèrent la nécessité de systématiquement dépister l’hypothyroïdie maternelle en début de grossesse afin de permettre la mise en place d’un traitement adapté visant à prévenir une atteinte du développement psychomoteur de l’enfant à naître. C’est précisement ce qu’a évalué l’essai prospectif randomisé publié par Lazarus et al.  dans le « New England Journal of Medicine » du mois de février 2012 (5).

Au total, ce sont 21846 femmes enceintes sans antécédent de dysthyroïdie ayant une grossesse unique de moins de 16 SA (terme médian 12 SA et 3 jours) qui ont participé à cette étude multicentrique (Angleterre et Italie) et ont été dépistées par le dosage combiné de la TSH plasmatique et de la T4 libre. Les patientes étaient ensuite randomisées entre deux groupes : un groupe dépistage (10924 patientes) dans lequel les patientes ayant une hypothyroïdie (TSH > 97,5e percentile et/ou T4 libre < 2,5e percentile, soit 499 patientes) étaient ensuite traitées par Levothyroxine à la dose initiale de 150 µg par jour avec une adaptation secondaire des doses 6 semaines plus tard, puis à 30 SA. Pour les patientes du groupe témoin (10922 patientes), les prélèvements sanguins réalisés pour le dosage de la TSH et de la T4 libre étaient congelés et stockés pour n’être testés qu’en fin d’étude. Dans ce groupe témoin, rétrospectivement, 551 avaient un dépistage positif sans avoir été traitées. Enfin, tous les enfants étaient revus à 3 ans de vie pour un test de QI. Le nombre de sujets à inclure avait été calculé pour mettre en évidence une probabilité de QI ≤ 85 trois fois plus importante dans le groupe des patientes non dépistées et non traitées (15 %) que dans le groupe ayant bénéficié d’un dépistage et d’un traitement (5 %) ; soit l’inclusion de 22000 patientes : 440 ayant des résultats de TSH et/ou T4 libre anormaux dans chaque groupe de 11000.

Au final, 390 patientes du groupe dépistage et 404 du groupe témoin avaient des dosages de la TSH et/ou de la T4 libre anormaux selon les critères d’inclusion et avaient suivi le protocole de l’étude de façon complète. Aucune différence n’a été observée entre le QI moyen à 3 ans des enfants dont la mère avait un taux de TSH et/ou de T4 libre anormal du groupe dépistage et les autres : 99,2 et 100 (différence : 0,8 ; IC à 95 % : -1,1 à 2,6 ; p=0,40). En analyse en intention de traiter, le taux d’enfants ayant un QI inférieur à 85 dans le groupe dépistage et le groupe témoin était 12,1 % et 14,1 %, respectivement (p=0,39).

En ne montrant aucun gain significatif sur le QI à 3 ans, cette étude conclue qu’il est inutile de dépister l’hypothyroïdie maternelle en début de grossesse par un dosage systématique de la TSH et de la T4 libre. Ces résultats peuvent paraître surprenants car ils sont en complète contradiction avec ceux précédemment publiés. Néanmoins, il s’agit de la première étude prospective randomisée de large échelle dont la méthodologie permet de fournir un niveau de preuve 1. Le caractère observationnel simple des études précédentes peut expliquer la différence de résultats observés du fait de biais de confusion. On peut néanmoins de demander si l’absence de différence de QI à 3 ans des enfants des deux groupes ne peut pas être expliqué par la mise en route trop tardive d’un traitement de l’hypothyroïdie maternelle, dont l’impact est supposé être maximal avant 18-20 SA du fait des étapes du développement du cerveau embryonnaire et foetal. Avec un traitement démarré à un terme médian de13 SA et 3 jours, il est possible que son effet ait été minimisé par une mise en œuvre trop tardive. Mais seule la réalisation d’une étude évaluant un dépistage anténatal systématique permettrait de répondre à cette question. Enfin, on peut également se demander si une évaluation du QI à 3 ans n’est pas trop précoce. Une évaluation plus tardive, vers 7 ans reste nécessaire pour affiner l’impact de ce dépistage sur le long terme.

Pour conclure, cette étude montre qu’il n’y a pas de bénéfice en terme de QI à 3 ans à doser en début de grossesse la TSH et la T4 libre maternelle pour le dépistage et le traitement d’une hypothyroïdie maternelle biologique chez une femme sans aucun antécédent de dysthyroïdie. La fréquence de cette pathologie et l’existence de tests biologiques simples et acceptables ne suffisent pas à justifier la réalisation de tels tests qui, s’ils sont peu coûteux à l’échelle individuelle, entraîneraient des frais importants et totalement injustifiés à l’échelle nationale.  En plus de n’avoir pas montré de bénéfice, il ne faut pas négliger la morbidité potentielle d’un tel dépistage pour nos patientes. Sachons leur éviter le stress d’un résultat anormal et la mise en œuvre d’un traitement injustifié. 

 

Pour en savoir plus :

  1. Man et al. Thyroid function in human pregnancy: retardation of progeny aged 7 years ; relationships to maternal age and maternal thyroid function. Am J Obstet Gynecol 1971; 111: 905-16.
     
  2. Haddow et al. Maternal thyroid deficiency during pregnancy and subsequent neuropsychological development of the child. N Engl J Med 1999; 341: 549-55.
     
  3. Smit et al. Neurologic development of the newborn and young child in relation to maternal thyroid function. Acta Ped 2000; 89: 291-5.
     
  4. Li et al. Abnormalities of maternal thyroid function during pregnancy affects neuropsychological development of their children at 25-30 months. Clin Endocrinol 2010; 72: 825-9.
     
  5. Lazarus et al. Antenatal thyroid screening and childhood cognitive function. N Engl J Med 2012; 366: 493-501.

 
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