Introduction
L’endométriose est une pathologie complexe, de plus en plus étudiée mais malheureusement encore insuffisamment comprise, avec des challenges tant au niveau diagnostique que thérapeutique. L’intelligence artificielle (IA) est actuellement en plein développement, notamment dans le champ de la médecine, et pourrait apporter certaines réponses. En tout cas, la recherche sur l’apport potentiel de l’IA dans l’endométriose est floride, si on en juge le nombre exponentiel de publications sur ce domaine dans Pubmed durant ces 10 dernières années (figure 1).
L’IA en médecine utilise une variété d'approches, depuis des systèmes basés sur des règles simples d’apprentissage automatisé, supervisé ou non (machine learning), jusqu'à des technologies plus avancées d’apprentissage profond utilisant des réseaux de neurones (deep learning), ou encore des grands modèles de langage (large language model). Ces outils peuvent transformer des tâches médicales complexes en solutions plus rapides, mais aussi et surtout plus efficientes, précises et personnalisées, contribuant potentiellement à améliorer les diagnostics, les traitements et l'expérience des patients.
Nous évoquerons ici les principaux apports potentiels de l’IA dans la prise en charge de l’endométriose, et aborderons brièvement les perspectives en discutant les forces et limites de ces nouvelles approches.
Diagnostic clinique et biologique
Un des principaux enjeux de l’endométriose est le retard au diagnostic. L’apport potentiel de l’IA peut être envisagé selon différents points de vue. Tout d’abord (et tout simplement), les LLM (large language models) tels que ChatGPT pourraient permettre de faciliter l’accès à la connaissance de l’endométriose pour les patientes (qui n’osent parfois pas consulter) et les professionnels de santé (qui peuvent parfois banaliser certains symptômes). Une étude a montré que ChatGPT était capable de répondre de façon appropriée à 91% de questions sur l’endométriose, même si seulement 67% des réponses étaient basées sur les recommandations de l’European Society of Human Reproduction and Embryology (ESHRE) (1). Des progrès doivent donc encore être faits en la matière, mais vu la vitesse de développement de ces algorithmes, on peut considérer ces résultats préliminaires prometteurs. D’après certains, ces copilotes devraient être capables de générer des hypothèses et même obtenir le Prix Nobel d’ici quelques années !
Ensuite et surtout, les modèles d’IA, de par leur capacité à analyser d’énormes volumes de données, pourraient être une aide précieuse pour le dépistage comme pour le diagnostic d’endométriose. Pour construire de tels algorithmes, il est nécessaire non seulement de disposer de bases de données conséquentes, mais aussi et surtout d’identifier quelles données sont susceptibles de participer au diagnostic d’endométriose. Plusieurs types d’approche ont été décrits et il sera vraisemblablement pertinent de les combiner dans le futur : données cliniques, biomarqueurs, génomique, transcriptomique, métabolomique, protéomique, méthylomique ou encore lipidomique. Citons par exemple le diagnostic de l’endométriose par l’analyse des micro ARN salivaires du Ziwig Endotest® (2).
IRM et échographie
De façon générale, l’imagerie est un champ de jeu pour l’IA, et en particulier dans l’imagerie de l’endométriose, l’intégration d’algorithmes d’IA aurait toute sa place. Le niveau de connaissances et d’expertise en IRM comme en échographie est actuellement insuffisant parmi les radiologues et les gynécologues obstétriciens. Il y a donc un double intérêt potentiel de l’IA : améliorer le diagnostic (pour réduire l’errance diagnostique) et améliorer l’expertise (notamment dans les situations complexes où une chirurgie est envisagée). Une revue de la littérature évaluant la fiabilité d’algorithmes d’IA pour le diagnostic d’endométriose en IRM rapporte une sensibilité entre 91 et 93,5 %, et une spécificité entre 86 et 87,5 % (3). A noter que le type de séquences utilisé est également déterminant, puisque des coupes larges peuvent conduire à passer à côté de lésions superficielles. En tout cas, l’utilisation de l’IA dans la pratique clinique de l’IRM en endométriose est prometteuse et une start-up française, Matricis.ai, a justement l’ambition de développer un outil spécifique d’aide au diagnostic et d’expertise.
L’échographie pelvienne, qui est généralement l’examen réalisé en première ligne, a toute sa place dans le diagnostic d’endométriose. Si ses inconvénients sont d’être opérateur-dépendant et de ne pas permettre le diagnostic d’endométriose extra-pelvienne, l’échographie présente l’intérêt d’offrir une meilleure résolution que l’IRM. Surtout, c’est un examen dynamique permettant notamment d’apprécier les potentielles adhérences en évaluant la perte du glissement entre les organes pelviens. C’est aussi la raison qui fait que l’intégration d’algorithmes d’IA en échographie pelvienne est plus complexe quoique pertinente et prometteuse (4). Notons enfin, qu’avec ou sans IA d’ailleurs, c’est sans doute la combinaison des approches d’imagerie qui permettrait le diagnostic le plus précis.
Prise en charge thérapeutique
L’intégration de l’IA pourrait être intéressante dans la prise en charge thérapeutique de l’endométriose à plus d’un titre. Tout d’abord par leurs capacités prédictives sans équivalent, des algorithmes d’IA pourraient prédire quelle stratégie médicamenteuse et quelles mesures hygiéno-diététiques seraient les plus pertinents, pour chaque femme, avec l’horizon d’une médecine individualisée, sur-mesure.
Par ailleurs, l’intérêt potentiel de l’IA et des LLM pour informer les femmes et réduire l’errance diagnostique a déjà été évoqué plus haut, mais de façon générale, l’IA générative pourrait être un outil intéressant dans l’éducation thérapeutique des femmes présentant de l’endométriose (5).
Concernant la prise en charge chirurgicale, là encore c’est la capacité prédictive de l’IA qui pourrait être particulièrement utile : en prédisant quelle patiente aurait à bénéficier d’une exérèse chirurgicale, en prédisant quelle lésion plus particulièrement est responsable d’un symptôme donné, et enfin en prédisant les éventuelles difficultés chirurgicales.
Pour finir sur une note futuriste, citons cette étude qui explore jusqu’à la possibilité de chirurgie robotique complètement automatisée, grâce à l’apport de l’intelligence artificielle, avec l’idée d’apporter précision et fiabilité (6).
Perspectives
Le développement de l’IA en médecine, et plus particulièrement dans le champ de l’endométriose, n’en est qu’à son début mais est de toute évidence très prometteur. Deux revues de la littérature publiées en 2024 permettent d’aller plus loin (7,8). Les bénéfices potentiels sont très importants et concernent tant les enjeux diagnostiques (clinique, biologique, radiologique) que thérapeutiques (éducation thérapeutique, choix des molécules, intérêt et modalité d’une éventuelle chirurgie).
Il faut noter cependant que la majorité des études sur l’apport de l’IA dans le champ de l’endométriose ont un design rétrospectif, souvent sur des populations dans lesquelles la proportion de patientes atteintes est prépondérante, et que les résultats doivent impérativement être validés de façon prospective, en population et dans des essais randomisés.
De façon générale, le développement de l’IA devrait suivre des principes tels que ceux proposés par l’OMS, de façon à améliorer les soins et apporter un bénéfice, tout en évitant mésusage et maléfice (9). Ces six principes directeurs sont : protéger l’autonomie humaine, promouvoir le bien-être et la sécurité des personnes, s’assurer de la transparence et de l’intelligibilité, favoriser la mise en place de responsabilités, s’assurer de l’équité et de l’inclusion, promouvoir une IA responsable et durable.
Références
- Ozgor BY, Simavi MA. Accuracy and reproducibility of CHATGPT ’s free version answers about endometriosis. Intl J Gynecology & Obste. mai 2024;165(2):691‑5.
- Bendifallah S, Dabi Y, Suisse S, Delbos L, Spiers A, Poilblanc M, et al. Validation of a Salivary miRNA Signature of Endometriosis — Interim Data. NEJM Evidence [Internet]. 27 juin 2023 [cité 14 déc 2024];2(7). Disponible sur: https://evidence.nejm.org/doi/10.1056/EVIDoa2200282
- Avery JC, Knox S, Deslandes A, Leonardi M, Lo G, Wang H, et al. Noninvasive diagnostic imaging for endometriosis part 2: a systematic review of recent developments in magnetic resonance imaging, nuclear medicine and computed tomography. Fertility and Sterility. févr 2024;121(2):189‑211.
- Avery JC, Deslandes A, Freger SM, Leonardi M, Lo G, Carneiro G, et al. Noninvasive diagnostic imaging for endometriosis part 1: a systematic review of recent developments in ultrasound, combination imaging, and artificial intelligence. Fertility and Sterility. févr 2024;121(2):164‑88.
- Oliveira JA, Eskandar K, Kar E, De Oliveira FR, Filho ALDS. Understanding AI’s Role in Endometriosis Patient Education and Evaluating Its Information and Accuracy: Systematic Review. JMIR AI. 30 oct 2024;3:e64593.
- Saadati S, Amirmazlaghani M. Revolutionizing endometriosis treatment: automated surgical operation through artificial intelligence and robotic vision. J Robotic Surg. 26 oct 2024;18(1):383.
- Dungate B, Tucker DR, Goodwin E, Yong PJ. Assessing the Utility of artificial intelligence in endometriosis: Promises and pitfalls. Womens Health (Lond Engl). janv 2024;20:17455057241248121.
- Cetera GE, Tozzi AE, Chiappa V, Castiglioni I, Merli CEM, Vercellini P. Artificial Intelligence in the Management of Women with Endometriosis and Adenomyosis: Can Machines Ever Be Worse Than Humans? JCM. 16 mai 2024;13(10):2950.
- WHO Guidance: Ethics and governance of artificial intelligence for health [Internet]. 2021. Disponible sur: https://www.who.int/publications/i/item/9789240029200
Figure 1 : Nombre de publications dans Pubmed sur IA et endométriose