INTRODUCTION
Les lésions obstétricales du sphincter anal (LOSA) sont des complications graves de l’accouchement vaginal et peuvent être responsables d’une incontinence anale et d’une altération de la qualité de vie. Les principaux facteurs de risques sont la primiparité et les extractions instrumentales. Les LOSA varient selon les pays, entre 0,1 et 6 % pour les accouchements naturels sans instrumentation (ANSI) et entre 6 et 24 % pour les accouchements avec instrumentation (AAI).
L’effet préventif de l’épisiotomie n’est pas certain dans la littérature. Une revue de la Cochrane a conclu qu’une épisiotomie systématique augmentait le risque de LOSA sur les ANSI mais diminuait ce risque pour les AAI (Jiang et al, 2017). Et une nouvelle méta analyse récente a montré une diminution significative du risque lors de la réalisation d’une épisiotomie avec un Odd Ratio à 0,51 (CI : 0,42 – 0,84) (Okeahialam et al, 2022). Cependant d’autres études n’ont pas retrouvé ce bénéfice (Schreiber et al, 2021), voire même l’effet inverse (Frênette et al, 2019). Les recommandations dans certains pays encouragent à réaliser une épisiotomie en systématique pour tous accouchements avec ventouse chez la primipare, mais adapté aux conditions/circonstances et laissant le choix final à l’operateur. Ceci entraine une grande variabilité entre les pays : 17,1% d’épisiotomies pour les AAI au Danemark versus 97,2% en Pologne.
Mais toutes ces études observationnelles peuvent avoir des biais et notamment la non standardisation de l’épisiotomie : type, l’angle, et le point de section. Et il ne semble pas y avoir, à ce jour, une étude observationnelle contrôlée pour évaluer l’effet protecteur d’une épisiotomie sur les LOSA lors d’extraction avec ventouse. C’est pourquoi les auteurs ont émis l’hypothèse que la réalisation d’une épisiotomie latérale en systématique pour tout accouchement avec ventouse réduirait le risque de LOSA et propose alors un essai contrôlé randomisé évaluant l’effet d’une épisiotomie latérale versus pas d’épisiotomie sur le risque de LOSA lors d’un accouchement par voie vaginale avec ventouse chez la nullipare.
MÉTHODES
- Design de l’étude
L’essai « Episiotomie in Vacuum Assisted delivery » est une large étude contrôlée randomisée comparant les effets d’une épisiotomie médiane versus pas d’épisiotomie (1 :1) sur le risque de LOSA lors d’un accouchement par voie vaginale avec ventouse chez la nullipare. Huit hôpitaux suédois ont participé entre le 1er juillet 2017 et le 15 février 2023.
- Participantes
Ont été incluses : les femmes primipares enceintes d’un singleton vivant, en présentation céphalique, à 34 SA ou plus, nécessitant une extraction par ventouse.
Ont été exclues : les femmes ayant eu une chirurgie anale, urinaire ou pour prolapsus.
Le consentement a été obtenu par les obstétriciens ou les sage femmes à partir 18 SA jusque pendant le travail si la gestion de la douleur permettait de l’obtenir après réflexion.
- Randomisation
La décision de réaliser une extraction par ventouse était décidée par l’obstétricien selon les indications classiques (indépendamment de l’essai). La randomisation a été réalisée après la décision d’extraction avec une allocation 1 :1 via des enveloppes sellées. Le résultat était annoncé clairement dans la salle.
- Épisiotomie :
Après vidange vésicale et contrôle d’une bonne analgésie, l’obstétricien guidait/tractait le fœtus avec la ventouse en même temps que la parturiente réalisait les efforts expulsifs jusqu’au couronnement. C’est à ce moment que l’accoucheur réalisait une épisiotomie standardisée :
- 1 à 3 cm au dessus de la fourchette
- angle de 60 ° (45 à 80°) à partir de la ligne médiane
- 4 cm de longueur (3 à 5 cm)Toutes les équipes de tous les hôpitaux participants ont reçu une formation concernant cette technique standardisée.
Toutes les femmes bénéficiaient d’un accompagnement verbal durant l’accouchement et d’une prévention des LOSA avec une extraction lente et contrôlé de la tête fœtale et l’application de compresses chaudes. L’examen initial, la suture des lésions périnéales, et les soins du post partum ont été faits selon la technique conventionnelle. L’évaluation de la douleur a été faite quotidiennement entre J1 et J7 avec une échelle numérique (de 0 à 10) et un questionnaire de suivi a été envoyé 2 mois après l’accouchement.
- Issues :
Concernant la parturiente, le critère principal a été le taux de LOSA de 3ème et 4ème degré dont le diagnostic a été porté par l’accoucheur immédiatement après la naissance par une inspection visuelle et des touchers vaginaux et rectaux. Les critères secondaires étaient : les lésions périnéales autres que les LOSA (1er et 2ème degré), la durée d’hospitalisation, la douleur périnéale ressentie quotidiennement et le vécu subjectif de l’accouchement. Une douleur supérieure ou égale à 7 a été arbitrairement classée comme sévère. Un vécu d’accouchement inferieur ou égal à 3 a été défini comme une expérience négative. Le questionnaire à 2 mois interrogeait sur les douleurs périnéales, sur les complications des sutures, les infections et les ré hospitalisation. D’autres résultats via un autre questionnaire à 1 an seront disponibles en 2025.
Concernant le nouveau né, les critères d’évaluation ont été : le score d’Apgar inferieur à 7 à 5 min, acidose métabolique avec un pH < 7,05 ou un déficit de base > 12 mmol/L, l’admission en néonatalogie, la dystocie des épaules, les hématomes du scalp, les fractures, les lésions du plexus brachial, l’encéphalopathie hypoxique et les crises convulsives néonatales.
Les critères de sécurité maternels étaient évalués avec l’hémorragie du post partum (> 1 L) et les douleurs périnéales sévères (EN > 7).
RÉSULTATS
Durant la période du 1 juillet 2017 au 15 février 2023, 61 150 femmes ont été éligibles à l’essai ; 6218 ont validé le consentement pour être incluses si une extraction par ventouse était nécessaire. Parmi elles, 717 ont nécessité une extraction par ventouse et ont été randomisées par 255 accoucheurs : 354 (39%) dans le groupe épisiotomie et 363 (51%) dans le groupe sans épisiotomie. Une femme dans le groupe épisiotomie a retiré son consentement et a été exclue. Un accouchement spontané est survenue avant la pose de la ventouse chez 9 patientes dans le groupe épisiotomie et 5 dans le groupe sans, et elles ont donc été exclues de l’analyse. Au total : 344 (49%) ont été incluses dans le groupe avec épisiotomie et 358 (51%) dans le groupe sans.
Parmi les 344 femmes du groupe épisiotomie, 310 (90%) ont bien eu une épisiotomie tandis qu’elle n’a pas été faite chez 34 (10%). Parmi les 358 femmes du groupe sans épisiotomie, 291 (81%) n’ont pas eu d’épisiotomie et 67 (19%) en ont finalement eu une. A noter que 22 femmes (6%) ont finalement eu une césarienne dans le groupe épisiotomie et 5 (1%) dans le groupe sans épisiotomie (1%) pour échec d’extraction (aucune épisiotomie n’a été faite).
Les 2 groupes étaient similaires concernant les caractéristiques de la mère et de l’enfant.
Une LOSA a été diagnostiquée chez 21 (6%) femmes dans le groupe avec épisiotomie et 47 (13%) dans le groupe sans épisiotomie (6 vs 13 %, P : 0,002) avec une différence de -7 % (CI : - 11, 7 à – 2,5 %) et un risk ratio de 0,46 (CI : 0,28 à 0,78). Les résultats étaient constants dans tous les centres. Le nombre de patientes à traiter avec une épisiotomie pour éviter une LOSA est de 14,3 (CI : 8,6 à 40,0).
Si l’analyse est faite en prenant compte des patientes qui ont réellement eu une épisiotomie et celles qui n’en ont finalement pas eu : 29 ont eu une LOSA après 377 extractions par ventouse avec épisiotomie (8%) et 39 ont une LOSA après 325 extractions par ventouse sans épisiotomie (12%). La différence de -4,3% n’est plus statistiquement significative (CI – 8,9% à 0,2)
Les périnées intacts ont été très rares et la plupart du temps chez les patientes ayant accouché par césarienne. Dans le groupe avec épisiotomie, les déchirures de grade 1 ont été moins fréquentes que dans le groupe sans épisiotomie alors que les déchirures de grade 2 (incluant l’épisiotomie) ont été plus fréquentes. Il n’y a pas eu de différence significative concernant les hémorragies de la délivrance, la douleur périnéale sévère, la durée, d’hospitalisation, le vécu de l’accouchement et les issues néonatales.
Les infections et les déhiscences ont été plus fréquentes dans le groupe avec épisiotomie. Il y a eu une infection pour 21,7 épisiotomies et un lâchage de suture pour 16,9 épisiotomies. Il n’y a pas eu d’autres différences significatives concernant les complications entre 2 groupes. Il n’y a avait pas différence significative concernant la douleur mais une plus fréquente consommation d’antalgiques dans le groupe épisiotomie après la sortie de l’hôpital (mais pas plus longue).
DISCUSSION
- Résultats :
Dans cet essai incluant 702 primipares accouchant avec une ventouse, il apparaît qu’une épisiotomie latérale permet de diviser par 2 le risque de LOSA, sans différence significative concernant la perte sanguine, la douleur périnéale, le vécu de l’accouchement, la durée d’hospitalisation, les issues néonatales à court terme et le total des complications. Seuls les infections, les lâchages de suture et les reprises chirurgicales sont significativement augmentées dans le groupe avec épisiotomie. Mais si on inclut les exérèses de granulome, la différence des reprises chirurgicales n’est plus significative.
- Forces et limites
Cette étude est la première de grande taille, contrôlée et randomisée évaluant l’impact d’une épisiotomie latérale chez la nullipare qui accouche avec l’assistance d’une ventouse.
L’autre point fort de cet essai est que la différence entre la randomisation et le traitement réellement appliqué est très faible avec une très bonne représentativité de la population et des équipes de 8 hôpitaux de Suède.
Une des limites est que le diagnostic de LOSA n’a pas été masqué pour l’ « allocation » car ca a été jugé impossible à cause de l’épisiotomie. De plus, le diagnostic devait être validé par 2 praticiens, en accord avec les recommandations suédoises, parmi lesquels était souvent l’operateur de la ventouse. Bien que ceci reflète parfaitement la réalité, ceci peut induire un biais si l’operateur a déjà un avis concernant l’impact de l’épisiotomie. Et puisque les ventouses ont du être réalisées sans planification, la présence d’un investigateur indépendant n’a pas pu être envisagé. La réalisation d’une échographie post natale n’a pas été jugée faisable et ne fait pas partie des recommandations. Cependant, pour vérifier la précision du diagnostic une échographie 3D endo anale et endo vaginale (en aveugle) va être réalisée pour les accouchements à risque dans les 6/12 mois du post partum et les résultats seront publiés dans une autre étude en 2025.
- Comparaison avec les autres études
Il existe 2 études contrôlées randomisées, ayant évalué l’effet d’une épisiotomie sur les accouchements avec instrumentation (Murphy et al, 2008 ; Sagi Dain et al, 2020) mais aucune n’avait un effectif suffisant pour conclure. Le niveau de la diminution du risque et l’effectif conséquent de cette étude confirme les résultats des méta analyses des études observationnelles (Okeahialam et al, 2022 ; Mind et al, 2016).
Classiquement, il est rapporté que l’épisiotomie est associée à une perte de sang et des douleurs plus importantes, or ceci n’a pas été retrouvé dans cette étude. De plus, il ne semble pas que l’épisiotomie impacte significativement le vécu de l’accouchement, la durée d’hospitalisation et les issues néonatales. L’augmentation du taux d’infection rapportée après épisiotomie est cohérente avec les données précédentes et la prophylaxie avec antibiotique pourrait diminuer ce risque (Knight et al, 2019).
L’objection principale adressée à l’épisiotomie en systématique est la section inutile entrainant plus de lésion que nécessaire. Cette étude valide la notion que l’épisiotomie entraine plus de lésion de grade 2 avec moins de lésion de grade 1 ou LOSA.
L’appréciation clinique de la nécessité ou non d'une épisiotomie n'a pas amélioré la réduction des LOSA. Cet effet est cohérent avec une méta-analyse antérieure indiquant qu'un taux d'épisiotomie de plus de 75 % avait un effet protecteur plus important (Lund et al, 2016).
Mais, il semble possible de maintenir un faible taux d'épisiotomie et un faible taux LOSA dans certains contextes, ce qui suggère que d'autres facteurs, tels que les compétences de l'opérateur peuvent y contribuer (Bergendahl et al, 2019)
CONCLUSION
Jusqu’à présent, les recommandations conseillaient d’envisager la réalisation d’une épisiotomie pour les accouchements avec l’aide d’une ventouse chez les nullipares. Avec les résultats de cette étude, il semble que cette épisiotomie soit plutôt recommandée en systématique pour prévenir les LOSA. Cependant, une évaluation des effets à long terme tels que la qualité de vie et la fonction du plancher pelvien, sera à prendre en compte (Suite à long terme de cet essai EVA)
COMMENTAIRE DU RÉDACTEUR :
Il s’agit d’une étude intéressante montrant, au travers un effectif conséquent, l’intérêt de l’épisiotomie systématique sur la prévention des lésions du sphincter anal lors des accouchements par ventouse chez les patientes nullipares. Elle monte également que la LOSA n’est pas une complication si rare de l’accouchement instrumental (6 à 13%).
Elle permet aussi de relativiser certaines idées sur l’épisiotomie qui ne semble pas plus douloureuse (douleur : 2,3 vs 2,2 P : 0,82), qui n’entraine pas plus de perte sanguine et qui n’impacte pas la durée d’hospitalisation ou le vécu de l’accouchement.
Rappelons qu’aujourd’hui, il est nécessaire d’expliquer à la parturiente l’indication qui motive la réalisation d’une épisiotomie et de recueillir le consentement.