INTRODUCTION
Les femmes enceintes ayant contracté la Covid 19 ont eu un risque plus élevé de complications durant la grossesse (Alcover et al, 2023). C’est pourquoi les autorités ont recommandé la vaccination de toutes femmes enceintes. Mais ces femmes n’ont pas pu être incluses dans études randomisées pour évaluer la sécurité avant la mise sur le marché. Les études observationnelles publiées après l’utilisation des vaccins ont été rassurantes, ne montrant pas d’augmentation du risque de complications obstétricales (Shafiee et al, 2023).
Cependant, il existe peu d’études évaluant le risque de malformations majeures suite à une infection ou à une vaccination contre la Covid 19. Une étude (Hernandez-Diaz et al, 2022) comparant 92 femmes contaminées à 292 sans infection, ne retrouve pas de sur risque (RR : 1,2 CI : 0,3 à 4,4). Dans une étude de registre écossais, il n’ pas été retrouvé d’augmentation du risque de malformation lors d’une infection Covid (OR : 0,94 CI : 0,57 à 1,54) ou lors d’une vaccination (OR : 1,00 CI : 0,81 à 1,22) (Calvert et al, 2023). Dans une étude israélienne portant sur 24288 grossesses dont 2134 vaccinées au 1er trimestre, il n’y a pas été retrouvé d’augmentation du risque (OR 0.69, CI 0.44 à 1.04) (Goldshtein et al, 2022). Et aux Etats Unis, il y a 27 enfants nés avec une malformation sur 534 chez les femmes vaccinées en comparaison de 109 sur 2622 chez les mères non vaccinées (P : 0,35) (Ruderman et al, 2022). Enfin, une étude franco suisse concernant 1450 femmes vaccinées au 1er trimestre n’a également pas retrouvé d’augmentation du risque (RR : 0.89, CI 0.12 to 6.80) (Favre et al, 2022).
La plupart de ces études ont un échantillonnage trop faible pour pouvoir conclure de manière solide. L’exposition au 1er trimestre est potentiellement à risque tératogène et comme certaines malformations ne sont pas détectées à la naissance, un suivi à un an est nécessaire pour réduire les probabilités de non diagnostics. Et c’est donc seulement maintenant qu’il est possible d’étudier les issues de grossesse post infection Covid ou post vaccination précoce. L’objectif de cette étude est donc d’évaluer le risque de malformations graves après infection ou vaccination Covid au 1er trimestre.
MÉTHODES
- Population
Les auteurs ont étudié au travers les registres nationaux de Suède, du Danemark et de Norvège, les enfants singletons dont le début de grossesse a été estimé entre le 1er mars 2020 et le 14 février 2022, avec un suivi post natal d’au moins 9 mois. Pour éviter un sur échantillonage des grossesses prématurées, les auteurs ont exclu les naissances qui n’ont pas pu atteindre de moins de 42 semaines de gestation et/ou qui n’avaient pas un suivi de 9 mois. Les informations sur les mesures socio-économiques maternelles, les infections Covid et la vaccination contre le Covid ont été obtenues à partir des bases de données nationales.
- Infection Covid et vaccination
L'infection ou la vaccination contre le Covid au cours du premier trimestre (jusqu’à 13 SA et 6 jours) ont été évaluées séparément. L’impact d'une exposition combinée n’a pas été étudié. Le début de la grossesse a été estimé par échographie pour plus de 90 % des naissances. Les informations concernant les tests positifs PCR Covid ont été obtenues à partir des rapports obligatoires de l'Agence de Santé Publique pour la Suède, du système norvégien de surveillance des maladies transmissibles pour la Norvège, et sur la base de données microbiologiques de l'Institut National du Sérum pour le Danemark.Les informations sur la vaccination ont été obtenues à partir des registres nationaux. Seuls les vaccins ARNm de Pfizer-BioNTech et de Moderna ont été étudiés et les femmes ayant reçu d'autres vaccins ont été exclues. Au début de la pandémie, la vaccination n'était pas recommandée au premier trimestre, mais pouvait être envisagée pour les femmes à haut risque. Il a été conseillé aux femmes enceintes de se faire vacciner à au deuxième trimestre, à partir de mai 2021 en Suède, de juillet 2021 au Danemark et d'août 2021 en Norvège.
Ont été retenues, les femmes vaccinées avant de savoir qu'elles étaient enceintes et celles qui présentaient un risque élevé d'infection ou de maladie grave en raison de maladies chroniques sous-jacentes ou de leur travail (professionnelles de la santé). Seule la Norvège a recommandé la vaccination de les femmes enceintes au cours du premier trimestre en janvier 2022.
- Anomalies congénitales
Les anomalies congénitales majeures ont été identifiées au cours des neuf premiers mois selon la classification EUROCAT (European Surveillance of Congenital Anomalies), Les registres nationaux de patients incluent tous les contacts avec les services de santé spécialisés, qu'ils soient hospitaliers ou ambulatoires, sur la base d'une déclaration obligatoire. Les anomalies ont été classées: anomalies congénitales majeures, malformations cardiaques congénitales, anomalies du système nerveux, anomalies des yeux, anomalies de l'oreille, du visage et du cou, anomalies respiratoires, fentes oro-faciales, anomalies gastro-intestinales, anomalies de la paroi abdominale, anomalies congénitales des reins et des voies urinaires, anomalies des organes génitaux et anomalies des membres.
- Autres informations :
D’autres données ont été récupérées et analysées comme facteur potentiel de confusion pour l’infection Covid et la vaccination : l'âge maternel, la parité, le niveau d'éducation maternelle, le revenu du ménage, la région de naissance de la mère, l’âge gestationnel, tabagisme, indice de masse corporelle, et les maladies chroniques préexistantes.
- Analyse statistique
Les analyses ont été faites pour chaque pays indépendamment puis combinées en méta analyse. Une régression logistique a été faite pour évaluer le risque d’anomalies congénitales pour les infections Covid au 1er trimestre, puis une analyse multi variée a été faite avec les facteurs de potentiel de confusion. Une analyse spécifique a été faite pour chaque variant du virus.L’évaluation de l’impact de la vaccination au 1er trimestre sur les anomalies congénitales a également été réalisée pour chaque vaccin suivie d’une analyse multi variée avec les mêmes facteurs de confusion.
RESULTATS :
Au total 343066 enfants ont été inclus dans le groupe infection. Les caractéristiques étaient très similaires dans les 3 pays (un peu plus d’enfants nés de mère Afrique/Moyen Orient en Suède et un peu moins d’enfant nés de mère avec une pathologie chronique au Danemark). Il y a eu 17 704 enfants diagnostiqués avec une malformation congénitale majeure au cours de 9 mois de suivi (516 pour 100 000). Parmi eux, 737 (4.2%) avaient 2 malformations ou plus
- Risque d’anomalies congénitales en fonction de l’infection Covid
Au total, 10099 (3%) enfants sont nés alors que leur mère a été infectée au 1er trimestre de la grossesse. Ces mères avaient une plus grande parité, un niveau d’éducation plus bas, des revenus plus faibles et étaient plus d’origine Afrique/Moyen orient.
Il n’apparaît pas d’augmentation du risque de malformations majeures avec un OR : 0,96 (CI : 0,87 à 1,05). De plus, il n’apparaît pas non plus de sur risque pour les sous groupes d’anomalies spécifiques allant d’un OR : 0,84 (CI 0,51 à 1,40) pour les malformations ophtalmiques à un OR : 1,12 (CI 0,68 à 1,84) pour les fentes oro-faciales.Concernant le virus, 3124 femmes ont été contaminées par la souche initiale, 2065 par le variant alpha et 5040 par le variant Delta. Et il n’a pas été observé de différence notable en fonction du type de virus (malgré un degré élevé d’incertitude).
- Risque d’anomalies congénitales en fonction de la vaccination
Parmi les 152 261 enfants nés de mères ayant été vaccinées durant la grossesse, 29 135 (19%) mères ont été vaccinées au 1er trimestre : 22322 (77%) avec Pfizer et 6813 (23%) avec le Moderna. Ces femmes vaccinées au 1er trimestre avaient un niveau d’éducation et des revenus plus élevés, et avaient tendance à avoir plus de maladies chroniques et à être plus en surpoids/obèses.
Il n’apparaît pas d’augmentation du risque de malformations majeures avec un OR : 1,03 (CI : 0,97 à 1,09). De plus, il n’apparaît pas non plus de sur risque pour les sous groupes d’anomalies spécifiques allant d’un OR : 0,84 (CI 0,31 à 2,31) pour les malformations du système nerveux à un OR : 1,69 (CI 0,76 à 3,78) pour les anomalies de la paroi abdominale. L’OR de 10 des 11 sous groupe a été inferieur à 1,04, indiquant une absence de sur risque. Il n’y a pas non plus de différence entre les 2 vaccins.
- Morts fœtales et fausses couches tardives
En Norvège, grâce au registre des naissances, les informations sont disponibles concernant les morts fœtales et les pertes fœtales après 12 SA. Sur les naissances vivantes précédemment étudiées, s’ajoutent alors 1227 grossesses, parmi lesquels 64 malformations majeures ont pu être diagnostiquées (552 sur 100000). En additionnant ces malformation, les résultats restent identiques lors d’une infection Covid, : 0,98 (CI : 0,86 à 1,11) vs 0,97 (0,85 à 1,11) et lors d’une vaccination Covid :1.07 (CI 0.97 à 1.17) vs 1.06 (CI 0.97 à 1.17).
DISCUSSION
- Résultats :
Cette étude basée sur les registres nordiques ne retrouve pas d’augmentation du risque d’anomalies congénitales majeures en cas d’infection Covid ou de vaccination Covid au cours du 1er trimestre de la grossesse. Il ne semble pas avoir de différences en fonction des variants (ou des vaccins)
- Forces et limites :
Les forces de cette étude sont : une très large population, l’inclusion de 3 pays et l’évaluation des anomalies en sous groupe. Le taux d’anomalies est plus élevé que dans les données EUROCAT, mais ceci peut être expliqué par un meilleur suivi post natal et plus de diagnostics tardifs.
Mais cette étude a également des limites et notamment le choix de ne pas inclure les enfants né sans vie car la présence d’anomalies est généralement faiblement documentés dans ces cas et les données n’étaient pas disponibles dans tous les pays. Cependant, il est peu probable que les résultats soient faussés pour vaccination Covid car elle ne semble n’impacter pas le risque de fausse couche ou de mort fœtale (Magnus et al, 2022). De plus, un certain nombre de femmes ont réalisé un auto test Covid sans confirmation par PCR et n’ont donc pas été analysé comme positive
- Comparaison avec les autres études
Ces résultats sont concordants avec d’autres études publiées et confirment l’absence de sur risque de malformations majeurs après une infection ou une vaccination Covid. La plupart des études précédentes avait un échantillon modeste ou une faible puissance et n’étudiaient pas les sous-groupes de malformation. Ces études étaient aussi limitées concernant le suivi post natal, et sous estimaient possiblement un certain nombre de malformation.
- Implication
Il a été montré dans d’autres études que l’infection Covid augmentait le risque de prématurité et de mort fœtal in utero (Magnus et al, 2023). Cette étude n’a pas retrouvé d’augmentation du risque de malformation majeure mais les nouveaux variant n’ont pas été étudiés, cependant ces derniers apparaissent moins virulents.
La vaccination protège la mère et le nourrisson contre la maladie et ses complications, sans augmentation du risque de malformation majeure. Ces conclusions soutiennent les recommandations de vaccination des femmes enceintes au 1er trimestre.
COMMENTAIRE DU RÉDACTEUR :
Cette large étude basée sur les registres des pays nordiques et avec un long suivi post natal, permet de rassurer sur l’absence de sur risque malformatif grave concernant l’infection et la vaccination Covid au 1er trimestre de la grossesse (période à risque tératogène).
Références :
- Alcover N, Regiroli G, Benachi A, Vauloup-Fellous C, Vivanti AJ, De Luca D. Systematic review and synthesis of stillbirths and late miscarriages following SARS-CoV-2 infections. Am J Obstet Gynecol2023;229:118-28.
- Shafiee A, Kohandel GargariO, Teymouri, Athar MM, Fathi H, Ghaemi M, Mozhgani SH. COVID-19 vaccination during pregnancy: a systematic review and meta-analysis. BMC Pregnancy Childbirth2023;23:45.
- Hernández-Díaz S, Smith LH, Wyszynski DF, Rasmussen SA. First trimester COVID-19 and the risk of major congenital malformations-International Registry of Coronavirus Exposure in Pregnancy. Birth Defects Res2022;114:906-14.
- Calvert C, Carruthers J, Denny C, et al. A population-based matched cohort study of major congenital anomalies following COVID-19 vaccination and SARS-CoV-2 infection. Nat Commun2023;14:107
- Goldshtein I, Steinberg DM, Kuint J, et al. Association of BNT162b2 COVID-19 vaccination during pregnancy with neonatal and early infant outcomes. JAMA Pediatr2022;176:470-7.
- Ruderman RS, Mormol J, Trawick E, et al. Association of COVID-19 vaccination during early pregnancy with risk of congenital fetal anomalies. JAMA Pediatr2022;176:717-9.
- Favre G, Maisonneuve E, Pomar L, et al., COVI-PREG group. Risk of congenital malformation after first trimester mRNA COVID-19 vaccine exposure in pregnancy: the COVI-PREG prospective cohort. Clin Microbiol Infect2023;29:1306-12.
- Magnus MC, Örtqvist AK, Dahlqwist E, et al. Association of SARS-CoV-2 vaccination during pregnancy with pregnancy outcomes. JAMA 2022;327:146977.
- Magnus MC, Ortqvist AK, Urhoj SK, et al. Infection with SARS-CoV-2 during pregnancy and risk of stillbirth: a Scandinavian registry study. BMJ Public Health2023
- Revue : British Medical Journal (BMJ, Juin 2024)
https://www.bmj.com/content/386/bmj-2024-079364