Intelligence artificielle en gynécologie, perspectives en fertilité et en obstétrique

Directeur médical de la start up ELIXIR- HEALTH

Définir l’intelligence artificielle, un historique

Le concept d’intelligence artificielle remonte aux travaux de McCulloch et Pitts qui ont imaginé en 1943 le premier neurone artificiel, en réalité une simplification mathématique et informatique du fonctionnement du neurone humain. Un neurone artificiel va recevoir un signal (des données d’entrée) comme un neurone biologique reçoit un potentiel d’action via ses dendrites, sa réponse (donnée de sortie) va dépendre du traitement de ces données, et du seuil d’activation qui est lui même défini par une fonction mathématique.
Le terme “intelligence artificielle” est inventé après ces premiers travaux en 1956 par John Mccarthy à l’occasion de l’organisation d’un premier colloque à la faculté de Dartmouth où il propose d’étudier “la conjecture selon laquelle chaque aspect de l'apprentissage ou toute autre caractéristique de l'intelligence peut en principe être décrit avec une telle précision qu'une machine peut être fabriquée pour le simuler.”
La compréhension du fonctionnement du cortex visuel dans les années 60 va ensuite inspirer les ingénieurs qui vont proposer l’organisation des neurones artificiels en de multiples couches traitant des informations de plus en plus complexes. En effet, dans le cortex visuel les couches superficielles traitent une partie de l’information: elles détectent les traits et leur orientation, et transmettent leur signal aux couches profondes, qui en déduisent les formes. C’est en imitant cette organisation que vont être développés les premiers Réseaux de Neurones Artificiels Profonds, en anglais Deep Artificial Neural Networks, dont découle le terme Deep Learning.

Ces premiers concepts vont générer des attentes élevées et dès 1958 le New York Times publie un article évoquant “l'embryon d'un ordinateur électronique qui... pourra marcher, parler, voir, écrire, se reproduire et être conscient de son existence”.  Ces attentes élevées ne se sont bien sûr pas concrétisées pour de multiples raisons, la plus évidente étant les limites de l’époque en termes de puissance de calcul des processeurs informatiques.
L’utilisation du terme d’intelligence artificielle va alors progressivement laisser place à celui de machine learning, notamment pour des raisons de popularité scientifique et industrielle. Le machine learning peut se définir comme un sous domaine de l’intelligence artificielle. Il se concentre sur la conception de programme informatique orienté sur la résolution de tâche précise, programme ne faisant pas nécessairement appel aux concepts de neurones artificiels mais à des systèmes experts ou des concepts statistiques adaptés aux tâches identifiées, concept parmi lesquels on peut citer la régression linéaire, les forêts aléatoires, le K nearest neighbour, aussi parfois regroupés sous le terme d’Intelligence Artificielle Symbolique.

Le regain d’intérêt pour l’intelligence artificielle depuis quelques années fait suite à un évènement particulier, la victoire d’un réseau de neurones artificiels à une compétition de vision par ordinateur en 2012, cet algorithme intitulé “Super Vision” a été développé notamment par Geoffrey Hinton et Ilya Sutskever (aujourd’hui directeur technologique de OpenAI, la société ayant créé ChatGPT). Lors de cette compétition de reconnaissance d'image, le réseau de neurones artificiels a présenté des scores 2 fois supérieurs aux autres méthodes. Les limites historiques des réseaux de neurones artificiels s’étant partiellement résolues grâce à 2 évolutions, celle de la puissance de calcul des processeurs, et celle de la quantité de données disponibles pour les entraîner.
Ce regain de popularité a permis le financement de nombreuses études et le développement de nombreux algorithmes de deep learning dans le domaine médical, mais aussi par extension l’utilisation de méthode de machine learning utilisée par certains secteurs (notamment en économie et économétrie) et jusqu’à présent peu utilisée de manière pratique en médecine.
Des premières méta-analyses discutant de ces études ont été publiées et l’on y retrouve de nombreux articles dédiés à l’obstétrique et l’assistance médicale à la procréation.

 

Intérêt de la vision par ordinateur en assistance médicale à la procréation (AMP)

Le deep-learning et l’analyse d’embryon

Les performances des algorithmes de deep learning dans la reconnaissance d’image ont suscité de l’intérêt dans les spécialités où cette tâche est centrale, bien sûr la radiologie, mais également la biologie médicale et notamment la biologie de la reproduction.
Le rôle du biologiste de la reproduction est vaste et ne se limite bien évidemment pas à l’analyse visuel de la viabilité embryonnaire mais l’impact de cette action sur les parcours d’AMP a fait l’objet de nombreuses publications, concluant à une variabilité intra et inter opérateur pouvant avoir des impacts sur les taux de succès.
De plus l’introduction depuis plusieurs années de vidéo-microscopes appelés Time-Lapse qui filment l’évolution embryonnaire pendant l’incubation permet d’avoir des bases de données importantes sur lesquelles entraîner des algorithmes.
L’utilisation du deep-learning pour l’analyse visuel de la viabilité embryonnaire a ainsi fait l’objet de publications depuis 2019 (1). On notera ici que ces algorithmes n’ont pour le moment pas fait l’objet d'études prospectives robustes pour évaluer leur impact sur le taux de grossesses vivantes cumulées.
Cette analyse visuelle de la viabilité embryonnaire repose à l’heure actuelle principalement sur l’aspect de l’embryon au cinquième jour de son développement. L’analyse des vidéos du développement embryonnaire grâce au deep learning pourrait aussi permettre de dégager des indicateurs morphocinétiques de viabilité au cours du développement, différents indicateurs ayant déjà été proposés dans la littérature (2).

Autres applications possibles de la vision par ordinateur en AMP

Pour le biologiste, d’autres études mentionnent l’utilisation du deep learning pour estimer la viabilité des ovocytes (3). L’intérêt d’estimer cette viabilité devient de plus en plus important aujourd’hui avec l’élargissement de l’accès à la préservation ovocytaire, de plus il n’existe à l’heure actuelle pas de score visuel validé pour la viabilité ovocytaire, contrairement au score existant pour la viabilité embryonnaire. D’autres travaux s’intéressent encore à la détection non invasive d’anomalie chromosomique (4).

L’intelligence artificielle également au service du clinicien en AMP

De nombreuses tâches réalisées par les gynécologues de la fertilité correspondent à de la prédiction, l’intelligence artificielle permet ainsi le développement de système d’aide à la décision clinique où des algorithmes entraînés sur des données historiques peuvent assister le clinicien dans sa prise de décision, avec entre autre objectif d’améliorer les compétences des professionnels moins expérimentés, ou de permettre une homogénéisation des pratiques dans les situations cliniques où cela peut être approprié.
Lors d’une fécondation in vitro, les ovaires des patientes sont stimulés à l’aide de gonadotrophines pour obtenir un maximum raisonnable d’ovocytes tout en évitant le syndrome d’hyperstimulation. Pour cela il faut définir une dose initiale optimale pour la patiente en fonction de ses antécédents et de ses paramètres de réserve ovarienne.
L’intelligence artificielle pourrait ici permettre de déterminer la dose initiale optimale de gonadotrophine à administrer, en se basant sur les critères définis dans la littérature mais également en incluant de nouveaux critères (4).
Des ajustements de doses sont parfois réalisés au sixième jour du traitement (même si leur efficacité restent débattus) et une prédiction du jour optimal de déclenchement de l’ovulation est réalisée en vue de la ponction ovocytaire. Là encore l’intelligence artificielle en étant entraîné sur de grandes bases de données historiques pourrait prédire l’intérêt éventuel d’augmentation de doses et les fenêtres optimales de déclenchement de l’ovulation pour maximiser le nombre d’ovocytes recueillis en tenant compte du profil clinico-biologique des patientes (5).

De nombreuses autres décisions sont prises par les gynécologues de la fertilité au cours d’une prise en charge en AMP et l’intérêt d’apporter une aide à la décision par l’IA est à définir avec ces spécialistes.

Perspective en obstétrique

Les apports en imagerie obstétrique

De la même manière qu’en fertilité de nombreuses études ont commencé à s’intéresser à l’apport du deep learning dans l’interprétation des examens en imagerie obstétricale, notamment en échographie. Une récente méta-analyse a ainsi pu analyser 127 articles dédiés à l’utilisation de l’intelligence artificielle en échographie obstétricale (6). Les articles analysés traitent de multiples sujets: échographie du premier trimestre, biométrie, clarté nucale, malformation congénitale. Cette méta-analyse suggère ainsi que l’IA a le potentiel de simplifier les tâches fastidieuses liées à l'échographie en offrant des capacités comme la détection automatique et la mesure des paramètres biométriques fœtaux. Elle pourrait également jouer un rôle crucial dans l'amélioration de la détection des anomalies congénitales. Des articles mentionnés dans l’étude se sont concentrées sur les malformations cardiaques congénitales. Les auteurs de la méta-analyse s’attardent sur 2 études, celle de Sakai et al (7). qui a combiné l’expertise des cliniciens à des techniques de deep learning pour visualiser les structures cardiaques dans des vidéos d'échographie 2D, montrant une amélioration dans la détection des malformations, quel que soit le niveau d'expertise des praticiens. Puis celle de Arnaout et al (8). qui ont développé des réseaux de neurones pour automatiser la détection de différentes vues cardiaques et différencier les images d'échographie fœtale normales des anormales, contribuant à accélérer l'apprentissage des médecins, et améliorant la détection des malformations cardiaques.

Intérêt prédictif de l’IA en obstétrique

L’usage de l’IA pour déterminer le risque de survenue d’accouchement prématuré est étudié et a fait l’objet de publications prometteuses dans lesquelles la stratification des patientes à risque permet des interventions ciblées, l’objectif final étant de réduire le nombre d’accouchements prématurés et le nombre d’admission en soins intensifs néonataux dans un système de soin défini (9).
D’autres méta-analyses parlent plus largement des autres usages de l’IA en obstétrique tels que la prévision et la gestion des complications liées à la grossesse (pré-éclampsie, accouchement prématuré, diabète gestationnel), et l'accouchement (10,11).
Les auteurs de ces méta-analyses considèrent ainsi que l’IA pourrait permettre d’améliorer la performance diagnostique globale mais que plusieurs limites persistent, la plupart des articles traitant de l’IA appliquée à la gynécologie ne sont pas publiées dans des journaux médicaux mais dans des revues dédiées à l’IA, les travaux sont le plus souvent préliminaires et manquent encore de validation clinique.

Conclusion

Le terme “intelligence artificielle” recouvre différentes réalités, il est nécessaire de distinguer les approches dites “symboliques” de l’apprentissage automatique avec des réseaux de neurones artificiels (deep-learning). Cette distinction est importante car chacune de ces technologies possède ses avantages et ses limites propres, définissant la manière dont elles doivent être évaluées dans le futur par les professionnels qui souhaitent pouvoir les utiliser. Comme illustré dans cet article les perspectives offertes par ces technologies sont nombreuses, il appartient aux praticiens de s’en emparer, d’en comprendre les principes, pour les évaluer sur les critères cliniques les plus pertinents avec toute la rigueur de la médecine basée sur les preuves.

 

Bibliographie

  1. Khosravi, Pegah, et al. "Deep learning enables robust assessment and selection of human blastocysts after in vitro fertilization." NPJ digital medicine 2.1 (2019): 21.
  2. Coticchio, Giovanni, et al. "Cytoplasmic movements of the early human embryo: imaging and artificial intelligence to predict blastocyst development." Reproductive biomedicine online 42.3 (2021): 521-528.
  3. Nayot, D., et al. "P-274 Clinical limitations of manual oocyte quality scoring by embryologists are overcome by an artificial intelligence (AI) oocyte image analysis tool." Human Reproduction 38.Supplement_1 (2023): dead093-632.
  4. Correa, Nuria, et al. "Supporting first FSH dosage for ovarian stimulation with machine learning." Reproductive BioMedicine Online 45.5 (2022): 1039-1045.
  5. Hariton, Eduardo, et al. "A machine learning algorithm can optimize the day of trigger to improve in vitro fertilization outcomes." Fertility and Sterility 116.5 (2021): 1227-1235.
  6. Horgan, Rebecca, Lea Nehme, and Alfred Abuhamad. "Artificial intelligence in obstetric ultrasound: A scoping review." Prenatal Diagnosis 43.9 (2023): 1176-1219.
  7. Sakai, Akira, et al. "Medical professional enhancement using explainable artificial intelligence in fetal cardiac ultrasound screening." Biomedicines 10.3 (2022): 551.
  8. Arnaout, Rima, et al. "An ensemble of neural networks provides expert-level prenatal detection of complex congenital heart disease." Nature medicine 27.5 (2021): 882-891.
  9. Shields, Lisa B., et al. "Impact of Technology on Neonatal Intensive Care Unit Admissions and Length of Stay: A Retrospective Study." Cureus 15.6 (2023).
  10. Sarno, Laura, et al. "Use of artificial intelligence in obstetrics: not quite ready for prime time." American Journal of Obstetrics & Gynecology MFM 5.2 (2023): 100792.
  11. Dhombres, Ferdinand, et al. "Contributions of artificial intelligence reported in obstetrics and gynecology journals: systematic review." Journal of medical Internet research 24.4 (2022): e35465.