Indication de la technique du ganglion sentinelle en cancérologie gynécologique pelvienne

Auteurs

Introduction

La technique du ganglion sentinelle (GS) vise à analyser le premier ganglion recevant le drainage lymphatique d’une tumeur et ainsi déterminer le statut ganglionnaire de la région concernée. Pour la détection des GS pelviens en cas de cancer du col ou de l’endomètre, l’injection du traceur, quel que soit celui utilisé, se fait dans le col utérin (injections sur le rayon de 3h et sur le rayon de 9h, en superficie et en profondeur).  Il s’agit d'identifier les patientes présentant une atteinte ganglionnaire tout en évitant la morbidité du curage en l’absence d’envahissement. Cette technique est particulièrement pertinente dans les pathologies malignes où le risque d'envahissement ganglionnaire est faible et/ou le curage est très morbide. L'autre avantage est d'identifier des drainages atypiques, en dehors de la zone classique de curage, et ainsi de ne pas considérer à tort que la patiente est indemne d’atteinte ganglionnaire, ce qui entraînerait un risque de sous-traitement. L'utérus étant un organe sagittal avec plusieurs drainages uni- et bilatéraux, il n'existe pas de classification consensuelle concernant le drainage du col et du corps de l'utérus. Plusieurs classifications ont été proposées, dont celle de Marnitz et al. qui définit 11 zones de drainage possibles, fondée sur une large expérience du GS dans les cancers du col (151 patientes) : latéro-aortique, iliaque commun bilatéral, iliaque externe bilatéral, iliaque interne bilatéral incluant la région présacrée, interiliaque bilatéral et paramétrial bilatéral [1]. Dans un curage classique, toutes ces régions ne sont pas explorées bien que les drainages « atypiques » puissent représenter 20 % des localisations de GS.

Enfin, en identifiant le principal ganglion à risque d'envahissement, une ultrastadification peut être réalisé sur celui-ci pour dépister des micrométastases et cellules tumorales isolées qui, avec les techniques classiques d'histologie de routine, ne sont pas identifiées. Cette ultrastadification coûteuse et longue ne peut être réalisée en routine sur l'ensemble des ganglions d'un curage. La technique du GS est largement utilisée et a prouvé son efficacité dans plusieurs cancers comme les cancers du sein ou de l’endomètre. Son indication se développe également dans le cancer du col utérin [2,3]. Concernant le cancer de l’ovaire, il n’a pas été à ce jour défini d’indication faisant l’objet d’une recommandation et les applications du GS dans cette pathologie sont évaluées dans le cadre de projet de recherche.

Cancer du col utérin

Le taux d'atteinte ganglionnaire (avec des techniques d'histologie classique) varie, selon les études, de 0 % à 4,8 % pour les stades IA et de 0 % à 17 % pour les stades IB. Dans la série de Minig et al., parmi 271 patientes présentant un carcinome du col utérin au stade IA2 ou IB1 de moins de 2 cm sans embole, le taux d’atteinte ganglionnaire était de 2,9% [4].

Le GS dans le cancer du col a d'abord été détecté en utilisant comme marqueur le bleu patenté puis un marqueur isotopique (radiocolloïde) puis enfin une méthode combinée. L’utilisation du vert d’indocyanine (ICG) dans cette indication permet désormais un meilleur taux de détection que la technique combinée [5] (avant ou après conisation [6]), ainsi qu’une simplification des conditions d’utilisation. Le recours à la fluorescence permet en effet de se soustraire à l’organisation qu’implique un passage de la patiente dans le service de médecine nucléaire pour l’injection du marqueur isotopique avant l’intervention [7]. L’administration de l’ICG se fait en début d’intervention au bloc opératoire.

En 2023 les sociétés européennes ont mis à jour les recommandations pour la prise en charge des patientes présentant un cancer du col utérin [8]. Il est recommandé d’utiliser le vert d’indocyanine pour la détection. Les indications du GS sont les suivantes :

  • Stadification ganglionnaire des cancers « micro-invasifs » IA de la classification de la FIGO 2018, en cas de stade 1A1 en présence d’embole et dans tous les cas en cas de stade 1A2.
  • Pour les cancers localisés strictement au col utérin et à la partie supérieure du vagin, jusqu’à 4 cm, en l’absence d’atteinte ganglionnaire suspectée à l’imagerie (IRM lombo-pelvienne et TEP scanner), correspondant aux stades 1B1-1B2-2A1 il convient de réaliser un préalable du traitement chirurgical une stadification ganglionnaire pour affirmer l’absence d’envahissement à l’étage pelvien. Cette stadification repose sur la réalisation bilatérale de la détection du GS, pour examen extemporané puis ultrastadification, ainsi que sur la réalisation des curages pelviens.

Les équipes françaises sont particulièrement dynamiques dans l’évaluation de la technique du GS dans le cancer du col utérin. L’essai SENTICOL 1 a confirmé la faisabilité de la technique du GS avec de bon taux de détection et l’absence de faux négatif [9]. L’essai SENTICOL 2 a montré que l’exérèse du GS permet de diminuer la morbidité liée au curage ganglionnaire. L’essai SENTICOL 3, en cours d’inclusion, a pour objectif de démontrer l’équivalence de la procédure en termes d’impact sur la survie sans récidive des patientes, et sa supériorité en termes de qualité de vie, en comparaison avec la lymphadénectomie pelvienne [10].

Cancer de l’endomètre

La technique de détection du GS pour le cancer de l’endomètre est la même que pour le cancer du col utérin. Les recommandations européennes de 2021 ont élargi les indications du GS dans la pathologie endométriale [11]. Elles y sont ainsi présentées : La technique du GS peut être envisagée à des fins de stadification chez les patientes présentant une maladie à risque faible ou intermédiaire. La lymphadénectomie systématique n'est pas recommandée dans ce groupe, et la stadification peut être omise en l’absence d'invasion du myomètre. Une stadification ganglionnaire chirurgicale doit être réalisée chez les patientes présentant une maladie à risque intermédiaire élevée ou élevée. Dans ces cas, la technique du GS est une alternative acceptable à la lymphadénectomie systématique aux stades I/II de la classification FIGO. Si une biopsie du GS est réalisée :

- Le vert d'indocyanine avec injection cervicale est la technique de détection à privilégier.

- La ré-injection du traceur est une option si le GS n'est pas visualisé d'emblée.

- Une lymphadénectomie systématique spécifique à un côté doit être réalisée chez les patientes

risque intermédiaire élevée ou élevée si le GS n’est pas détecté d’un côté ou de l’autre du pelvis.

- L’ultrastadification des GS prélevés est recommandée.

Cancer de l’ovaire

Le cancer de l’ovaire est le seul cancer gynécologique pour lequel le GS n’a pas d’indication faisant l’objet d’une recommandation. Pourtant, les cancers de l’ovaire sont diagnostiqués à un stade précoce, limité au pelvis, dans 20 % des cas [12]. Parmi ces-derniers, en moyenne 14 % présentent des métastases ganglionnaires, qui les font passer à un stade avancé (stade IIIA) selon la classification 2014 de la Fédération Internationale des Gynécologues – Obstétriciens (FIGO) [13,14]. Les examens d’imagerie pré-opératoires seuls ont une sensibilité insuffisante pour détecter l’atteinte ganglionnaire dans le cancer de l’ovaire [15,16]. C’est pourquoi dans les cas de cancer de l’ovaire diagnostiqué à un stade présumé précoce (FIGO I-II), il est recommandé de réaliser une chirurgie de stadification comprenant une hystérectomie avec annexectomie bilatérale, une omentectomie infra-colique, une appendicectomie, une exploration péritonéale avec des biopsies multiples et des curages pelviens et lombo-aortique remontant jusqu’à la veine rénale gauche [17]. Cette chirurgie de stadification détermine le pronostic et guide la décision de traitement adjuvant.

Cependant les curages pelviens et lombo-aortique sont associés à une morbidité importante, avec notamment une durée opératoire augmentée, un risque de plaie vasculaire, une augmentation des pertes sanguines et des transfusions per-opératoires, et un risque de lymphocèle et de lymphœdème post-opératoire [18–20]. Le GS dans cette indication pourrait réduire cette morbidité en apportant la valeur pronostique du statut ganglionnaire, ce qui serait particulièrement pertinent alors qu’il a été montré l’absence de bénéfice à la réalisation des curages ganglionnaires en situation de cancer de l’ovaire de stade avancé [21].

Une revue de la littérature montre, malgré un nombre de patientes peu important, que la procédure du GS dans le cancer de l’ovaire semble être faisable avec un taux de détection global de 87,7%. Cependant, plusieurs points restent à définir en vue d’utiliser cette technique en pratique courante, puisque les études utilisent diverses techniques d’injection et types de marqueurs [22]. Des études anatomiques ont montré qu’il existe deux voies majeures de drainage lymphatique : la première passant par le ligament utéro-ovarien vers les ganglions iliaques internes et de la fosse obturatrice, et la seconde passant par le ligament lombo-ovarien vers les ganglions para-aortiques et para-caves. Il existe également une troisième voie mineure passant par le ligament round de l’utérus vers les ganglions inguinaux [23]. Ceci explique que les métastases ganglionnaires retrouvées dans le cancer de l’ovaire stade FIGO I-II soient dans 50% des cas en lombo-aortique, dans 20% des cas en pelvien, et dans 30% des cas dans ces deux régions [13]. Dans la majorité des études, le marqueur est injecté dans les ligaments utéro-ovarien et lombo-ovarien, ce qui paraît être une méthode fiable avec un taux de détection élevé. L’injection semble également plus efficace lorsqu’elle était faite avec l’annexe encore en place.  La sensibilité du GS pour la détection de métastases ganglionnaires du cancer de l’ovaire était de 90,9% avec une valeur prédictive négative de 98,8%, mais avec un nombre de ganglions positifs trop faible pour pouvoir conclure sur la fiabilité de cette procédure.

Actuellement, il est recommandé de réaliser un curage ganglionnaire bilatéral, y compris dans le cas d’un cancer ovarien unilatéral, puisque les métastases ganglionnaires sont controlatérales dans 16-18% des cas [13]. Il pourrait être intéressant de comparer la sensibilité du GS avec un protocole d’ultrastadification par rapport à un examen anatomopathologique simple des ganglions du curage pour la détection de métastases ganglionnaires microscopiques du cancer de l’ovaire.

Enfin, s’il était montré que la technique du GS est fiable et faisable dans le cancer de l’ovaire, il resterait à déterminer l’intérêt pour la survie de réaliser un curage ganglionnaire en cas de GS atteint.

Conclusion

La technique du GS fait partie intégrante de la prise en charge chirurgicale des cancers du col et du corps utérin. Ses indications se sont élargies récemment et contribuent à une tendance à la désescalade de la radicalité des procédures chirurgicales tout en améliorant la qualité de la stadification. L’ensemble de ces évolutions apporte un bénéfice aux patientes par une diminution des séquelles post-opératoires et une sélection plus précise des patientes éligibles à traitement adjuvant.

 

Références

1. Marnitz S, Köhler C, Bongardt S, Braig U, Hertel H, Schneider A, et al. Topographic distribution of sentinel lymph nodes in patients with cervical cancer. Gynecol Oncol 2006;103(1):3544.

2. Skanjeti A, Dhomps A, Paschetta C, Tordo J, Giammarile F. Sentinel Node Mapping in Gynecologic Cancers: A Comprehensive Review. Semin Nucl Med 2019;49(6):52133.

3. Euscher ED, Malpica A. Gynaecological malignancies and sentinel lymph node mapping: an update. Histopathology 2020;76(1):13950.

4.  Minig L, Fagotti A, Scambia G, Salvo G, Patrono MG, Haidopoulos D, et al. Incidence of Lymph Node Metastases in Women With Low-Risk Early Cervical Cancer (<2 cm) Without Lymph-Vascular Invasion. Int J Gynecol Cancer Off J Int Gynecol Cancer Soc 2018;28(4):78893.

5. Buda A, Crivellaro C, Elisei F, Di Martino G, Guerra L, De Ponti E, et al. Impact of Indocyanine Green for Sentinel Lymph Node Mapping in Early Stage Endometrial and Cervical Cancer: Comparison with Conventional Radiotracer (99m)Tc and/or Blue Dye. Ann Surg Oncol 2016;23(7):218391.

6. Buda A, Papadia A, Di Martino G, Imboden S, Bussi B, Guerra L, et al. Real-Time Fluorescent Sentinel Lymph Node Mapping with Indocyanine Green in Women with Previous Conization Undergoing Laparoscopic Surgery for Early Invasive Cervical Cancer: Comparison with Radiotracer ± Blue Dye. J Minim Invasive Gynecol 2018;25(3):45560.

7. Azaïs H, Canlorbe G, Kerbage Y, Grabarz A, Collinet P, Mordon S. Image-guided surgery in gynecologic oncology. Future Oncol Lond Engl 2017;13(26):23218.

8.  Cibula D, Raspollini MR, Planchamp F, Centeno C, Chargari C, Felix A, et al. ESGO/ESTRO/ESP Guidelines for the management of patients with cervical cancer - Update 2023. Int J Gynecol Cancer Off J Int Gynecol Cancer Soc 2023;33(5):64966.

9. Lécuru F, Mathevet P, Querleu D, Leblanc E, Morice P, Daraï E, et al. Bilateral negative sentinel nodes accurately predict absence of lymph node metastasis in early cervical cancer: results of the SENTICOL study. J Clin Oncol Off J Am Soc Clin Oncol 2011;29(13):168691.

10. Lecuru FR, McCormack M, Hillemanns P, Anota A, Leitao M, Mathevet P, et al. SENTICOL III: an international validation study of sentinel node biopsy in early cervical cancer. A GINECO, ENGOT, GCIG and multicenter study. Int J Gynecol Cancer Off J Int Gynecol Cancer Soc 2019;29(4):82934.

11. Concin N, Matias-Guiu X, Vergote I, Cibula D, Mirza MR, Marnitz S, et al. ESGO/ESTRO/ESP guidelines for the management of patients with endometrial carcinoma. Int J Gynecol Cancer Off J Int Gynecol Cancer Soc 2021;31(1):1239.

12. Torre LA, Trabert B, DeSantis CE, Miller KD, Samimi G, Runowicz CD, et al. Ovarian cancer statistics, 2018. CA Cancer J Clin 2018;68(4):28496.

13. Kleppe M, Wang T, Van Gorp T, Slangen BFM, Kruse AJ, Kruitwagen RFPM. Lymph node metastasis in stages I and II ovarian cancer: A review. Gynecol Oncol 2011;123(3):6104.

14. Lago V, Minig L, Fotopoulou C. Incidence of Lymph Node Metastases in Apparent Early-Stage Low-Grade Epithelial Ovarian Cancer: A Comprehensive Review. Int J Gynecol Cancer Off J Int Gynecol Cancer Soc 2016;26(8):140714.

15. Yuan Y, Gu ZX, Tao XF, Liu SY. Computer tomography, magnetic resonance imaging, and positron emission tomography or positron emission tomography/computer tomography for detection of metastatic lymph nodes in patients with ovarian cancer: A meta-analysis. Eur J Radiol 2012;81(5):10026.

16. Benoit L, Zerbib J, Koual M, Nguyen-Xuan HT, Delanoy N, Le Frère-Belda MA, et al. What can we learn from the 10 mm lymph node size cut-off on the CT in advanced ovarian cancer at the time of interval debulking surgery? Gynecol Oncol 2021;S0090-8258(21)00521-7.

17. Colombo N, Sessa C, du Bois A, Ledermann J, McCluggage WG, McNeish I, et al. ESMO–ESGO consensus conference recommendations on ovarian cancer: pathology and molecular biology, early and advanced stages, borderline tumours and recurrent disease††These consensus statements were developed by the European Society for Medical Oncology (ESMO) and the European Society of Gynaecological Oncology (ESGO) and are published jointly in the Annals of Oncology and the International Journal of Gynecological Cancer. The two societies nominated participants who attended the consensus conference and co-authored the final manuscript. Ann Oncol 2019;30(5):672705.

18. Di Re F, Baiocchi G. Value of lymph node assessment in ovarian cancer: Status of the art at the end of the second millennium. Int J Gynecol Cancer Off J Int Gynecol Cancer Soc 2000;10(6):43542.

19. Maggioni A, Benedetti Panici P, Dell’Anna T, Landoni F, Lissoni A, Pellegrino A, et al. Randomised study of systematic lymphadenectomy in patients with epithelial ovarian cancer macroscopically confined to the pelvis. Br J Cancer 2006;95(6):699704.

20. Bogani G, Borghi C, Ditto A, Signorelli M, Martinelli F, Chiappa V, et al. Impact of Surgical Route in Influencing the Risk of Lymphatic Complications After Ovarian Cancer Staging. J Minim Invasive Gynecol 2017;24(5):73946.

21. Harter P, Sehouli J, Lorusso D, Reuss A, Vergote I, Marth C, et al. A Randomized Trial of Lymphadenectomy in Patients with Advanced Ovarian Neoplasms. N Engl J Med 2019;380(9):82232.

22. Van NT, Nguyen-Xuan HT, Koual M, Bentivegna E, Bats AS, Azaïs H. [Sentinel lymph node biopsy in the management of early-stage ovarian cancer: A systematic review of the literature]. Gynecol Obstet Fertil Senol 2022;50(1):7581.

23. Kleppe M, Kraima AC, Kruitwagen RFPM, Van Gorp T, Smit NN, van Munsteren JC, et al. Understanding Lymphatic Drainage Pathways of the Ovaries to Predict Sites for Sentinel Nodes in Ovarian Cancer. Int J Gynecol Cancer 2015;25(8):140514.