Les cancers de l'ovaire
1-Cancer de l’ovaire séreux de haut grade (CSHG)
Déficience de la recombinaison homologue : BRCA1, 2 et bientôt les autres.
Les gènes BRCA1 et 2 ont été initialement identifiés par leur responsabilité dans les formes familiales de cancers du sein et de l’ovaire sans que leur rôle physiologique ne soit connu, en 1994 et 1995, respectivement. Leur rôle dans la réparation de l’ADN par recombinaison homologue (HRR) a été précisé par de nombreux travaux ultérieurs.
Ce système de réparation des cassures double-brin est très fidèle et indispensable pour la cellule qui peut cependant contourner ce système en cas de déficience due à des mutations de BRCA1 et 2 sur les deux copies (maternelle et paternelle) de ces gènes.
Cependant, si on inactive la voie de réparation des cassures simple-brin (voie base excision repair) en inactivant par des inhibiteurs pharmacologiques d’une enzyme clé de la famille des Poly (ADP-ribose) polymerase (PARPs), dans une cellule déficiente pour la HRR, cette cellule utilise alors des systèmes de réparation peu fidèles entrainant la perte de fonction de nombreux gènes et la mort cellulaire. C’est ce concept de « létalité synthétique » développé par Alan Ashworth et son équipe qui est à l’origine du traitement par les inhibiteurs de PARP (iPARP) et de l’augmentation spectaculaire de l’intérêt des oncologues pour la déficience d’HRR et les mutations responsables de sa présence dans la tumeur.
C’est d’abord sur la présence de mutations inactivatrices de BRCA1 et 2, que le concept thérapeutique de létalité synthétique a été appliqué avec l’Olaparib dans l’étude princeps qui a objectivé le résultat thérapeutique et la sélectivité d’action de cette classe médicamenteuse sur les tumeurs avec HRR.
Cependant, certains PARPi ont des propriétés pharmacologiques qui leur permettent d’être actifs même dans les tumeurs non HRR. Les mécanismes d’inactivation de la voie HRR ne sont pas réduits aux mutations mais peuvent être liés à des modifications chimiques des bases dans les régions régulatrices des gènes, la méthylation, et l’hyperméthylation peut inactiver ces gènes.
Ce phénomène est bien démontré pour BRCA1 et RAD51C. En outre, la voie HRR inclut d’autres gènes que BRCA1 et 2 et leur inactivation peut compromettre la fonctionnalité de la voie. Il était donc intéressant d’avoir une approche permettant de reconnaitre les tumeurs déficientes pour la voie de la recombinaison homologue, quel que soit son origine, et qui serait candidate pour un traitement par PARPi. Le test Mychoice de Myriad Genetics a été le premier à proposer la détection des cicatrices génomiques caractéristiques de la déficience de la voie HRR sur le génome des tumeurs, qualifiant la tumeur de HRD (déficiente pour la recombinaison homologue) ou non.
Ce test est fondé sur l’analyse de 3 paramètres et fournit un score dont la distribution est bimodale. Les tumeurs mutées BRCA1/2 ont une probabilité plus grande d’être au-dessus de ce score et les non mutées, en dessous. Des tumeurs non mutées BRCA sont susceptibles d’être au-dessus du score, soit par hyperméthylation de BRCA1 ou RAD51C/D, soit par mutation portant sur les 2 copies d’autres gènes de la voie HRR comme RAD51 Cou D, PALB2, BRIP1 ou ATM. D’autres laboratoires publics et privés proposent des tests permettant d’évaluer la voie par différentes approches. La disponibilité de matériel biologique utilisé pour des études antérieures permet de confronter la performance de ces tests par rapport au test de référence Mychoice.
Approuvé dans un premier temps, en 2014, suite à des résultats remarquables pour le traitement de maintenance des cancers séreux de haut grade mutés BRCA1/2 ou HRD en récidive et sensibles aux sels de platine, l’olaparib est maintenant approuvé en première ligne en maintenance dans les cancers de l’ovaire avancés. Plusieurs autres inhibiteurs de PARP sont disponibles (Niraparib, Rucaparib entre autres). Des recommandations sont disponibles pour l’ensemble des inhibiteurs de PARP sur le site de la HAS.
Ces tests, HRR et détection de mutation par séquençage du gène, sont pratiqués sur la tumeur et une étude à grande échelle a montré que près de 50% des tumeurs SHG de l’ovaire étaient HRD par mutation de BRCA1/2 ou des autres gènes ou par méthylation de BRCA1 et RAD51C. En revanche, 10 à 13% des patientes atteintes de CSHG ont un variant pathogène de BRCA1/2.
En cas de variant pathogène détecté sur BRCA1 ou 2, il est nécessaire de savoir si la patiente est porteuse de la mutation sur son ADN germinal, avec possibilité de transmission de la mutation, ou si la mutation est restreinte à la tumeur.
L’analyse de l’ADN germinal est faite dans le cadre d’une consultation d’oncogénétique qui permet d’informer la patiente des conséquences des résultats, notamment en termes de risques d’autres cancers chez elle et de transmission à la descendance.
BRCA1 et 2 et le phénotype HRD ont un intérêt majeur au niveau thérapeutique mais il est également important de rechercher une prédisposition héréditaire dans ce type de cancer.
C’est pourquoi un test constitutionnel est préconisé en parallèle chez les patientes de moins de 70 ans. Ce test génétique porte sur les gènes BRCA1/2, RAD51C et D, BRIP1 et PALB2 dans le cadre du panel défini par le Groupe Génétique et Cancer (GGC, Unicancer et CHU), auxquels on peut ajouter BRIP1, non inclus dans ce panel. Les panels testés comportent d’autres gènes impliqués dans d’autres formes de tumeur mais groupés pour des raisons de logistique des analyses moléculaires.
2- Autres Tumeurs de l’ovaire :
Les carcinomes de type endométrioïde et à cellules claires : le syndrome de Lynch par mutation germinale des gènes la voie de réparation des mésappariements de l’ADN entraine un risque de tumeur de l’ovaire variable selon lequel des 4 gènes est muté : 15-20% pour MSH2 et MLH1, 10% pour MSH6 et moins de 5% pour PMS2. La réalisation d’une immunohistochimie systématique explorant la voie MMR sur les tumeurs de l’ovaire de ce type (immunohistochimie des 4 gènes d’emblée ou en deux temps sur MSH6 et PMS2 d’abord puis les autres si une perte d’expression est détectée) permet de détecter les tumeurs liées à une déficience de la voie MMR (en abrégé dMMR), et qui s’accompagne d’une instabilité des microsatellites dans la tumeurs (MSI élevée) qui est détectée en biologie moléculaire et peut confirmer les données d’IHC. Dans certains cas, la perte d’expression peut ne pas être d’origine germinale mais résulter d’une double mutation tumorale. On reverra plus loin les implications d’une déficience de la voie MMR dans les cancers de l’endomètre.
Les cancers de l’endomètre :
Classification histologique et marqueurs moléculaires
Les types histologiques de cancers de l’endomètre (CE) comprennent les types endométrioïdes que l’on classe selon le grade de sévérité de 1 à 3.
Les 3 autres types non-endométrioïdes sont les types séreux, à cellules claires et les sarcomes de l’endomètre.
Les données du TCGA (The Cancer Genome Atlas) et leur analyse par les consortium PROMISE et PORTEC ont fourni une classification moléculaire qui complète et affine la traditionnelle classification histologique pour mieux préciser le pronostic et pour définir le choix des stratégies thérapeutiques.
Quatre types principaux sont reconnus par les marqueurs moléculaires.
1/ Les formes « ultramutées » résultent de mutations somatiques du gène POLE et représentent environ 9,3% des cas. Le gène POLE code pour la polymérase de relecture epsilon (ε), et les mutations de ce gène sont généralement observées dans les formes endométrioïdes de grades 1 à 3. Les mutations qui entraînent une perte de fonction de la polymérase POLE se situent principalement dans son domaine exonucléasique de relecture, avec cinq mutations récurrentes sur des points chauds. Ces mutations peuvent induire des mutations secondaires sur divers gènes en raison du caractère ultra-mutateur de ces tumeurs, telles que TP53 ou les gènes MMR mentionnés ci-dessous.
Les laboratoires de routine détectent les mutations récurrentes de POLE en routine.
Une mutation de POLE se traduit également par un taux élevé de mutations dans la tumeur, appelé TMB (tumor mutational burden) très élevé (plus de 150 mutations/mégabase). Ce paramètre est mesuré via le séquençage de panels étendus de gènes (>1,5 Mb de régions exoniques codantes des gènes), qui n'est pas couramment réalisé sauf dans le cadre de tests de « profils génomiques globaux » (comprehensive genomic profiling) (par exemple, le test FoundationMedecine One des laboratoires Roche).
Les cancers de l'endomètre (CE) porteurs de mutations dans POLE ont un pronostic très favorable sauf dans les cas de cancers avancés ou métastatiques, possiblement par acquisition par les cellules tumorales de mutations favorables à leur survie et leur prolifération.
Il convient de noter que ces mutations se limitent aux tumeurs et qu'il n'y a pas de mutation constitutionnelle du gène, sauf dans des cas très rares.
2/ D'autre part, les formes « hypermutées », également appelées MSI-H, sont liées à des pertes de fonction des gènes de réparation des mésappariements de l'ADN (MMR pour DNA mismatch repair). Ces pertes de fonction peuvent être dues à des variants pathogènes constitutionnels dans l'un de ces gènes ou à des pertes de fonction restreintes à la tumeur résultant de doubles mutations ou d'hyperméthylation du promoteur de MLH1.
Ces formes représentent environ 25% des formes endométrioïdes.
Elles sont qualifiées de dMMR (déficientes de la voie MMR), par opposition aux tumeurs pMMR (proficientes de la voie MMR). Le TMB de ces tumeurs se situe entre 20 et 45 mutations/mégabase. Environ 27% des CE endométrioides sont de type dMMR et seulement 10% de ces cas dMMR présentent une altération constitutionnelle d'un gène MMR.
Ainsi, les syndromes de Lynch, causés par des mutations dans l'un des quatre gènes MMR (plus le gène EPCAM indirectement), représentent 3% du total des CE endométrioïdes et un peu plus de 2% du total des cancers de l’endomètre.
D'un point de vue histopathologique, les cancers de l'endomètre liés à un déficit de la voie MMR se manifestent principalement sous forme d’un CE endométrioïde de grade 1 et 2 dans environ 75% des cas. Au niveau histologique, une diminution de l'expression d’un ou plusieurs gènes de réparation des mésappariements de l'ADN (MMR) est détectée dans la tumeur par immunohistochimie, ce qui résulte d'une altération génique engendrant une perte de fonction et d'expression du gène. Divers mécanismes peuvent expliquer cette diminution d'expression des gènes MMR dans les tumeurs. Dans environ 75% des cas de MMRd, c’est une hyperméthylation somatique du gène MLH1 qui est responsable de la perte de l'expression de MLH1 dans la tumeur en affectant les deux allèles du gène. Cette hypermethylation est analysable en routine sur la tumeur et permet d’écarter un syndrome de Lynch.
Dans d'autres cas, la perte d'expression d’un gène MMR en IHC résulte d'une double mutation sur le même gène MMR acquise par les cellules tumorales. Sur le plan moléculaire tumoral, le profil sera identique à celui d'un syndrome de Lynch authentique. L'absence d'antécédents familiaux significatifs (comme des cas de cancer du côlon) et de mutation décelable au niveau constitutionnel sur les gènes MMR constituent de solides arguments pour cette hypothèse et c’est la détection des deux mutations dans la tumeur qui affirment cette origine (rarement faite en dehors des laboratoires hospitaliers).
3/ Les formes de CE porteuses de mutations somatiques de TP53 sont observées essentiellement dans les types endométrioïdes de haut grade et les types séreux et sont détectables par IHC sous la forme d’un p53-anormal (p53abn). Ces tumeurs sont par ailleurs non mutées PolE et sont pMMR. L’expression anormale de p53 (p53abn) consiste en une surexpression ou une expression cytoplasmique ou l’absence totale d’expression. Les données d’IHC sont concordantes dans 90% des cas avec le séquençage du gène TP53. La surexpression d’HER2 est observée de façon peu fréquente (6 % environ) dans tous les types de CE vus plus haut et préférentiellement dans les CE non endométrioïdes avec p53abn car 95 % des surexpression d’HER2 sont associées à p53abn. La surexpression d’HER2 n’est pas un facteur pronostic en soi mais seulement par son association avec les mutations de TP53 et les autres facteurs de mauvais pronostic.
Ces mutations sont tumorales et il n’y a pas lieu de faire la recherche de mutation TP53 au niveau constitutionnel. Il en est de même des mutations du gène K-RAS dont certaines publications ont rapporté un effet sur le pronostic.
4/ il s’agit d’un type endométrioïde de bas grade, sans altérations somatiques du nombre de copies de gènes (SCNA) et ayant un profil pronostic intermédiaire. Il n’y a pas de marqueur moléculaire spécifique pour ce type en routine.
En pratique, mutations hot-spots de PolE, analyse du statut MMR proficient ou déficient par immunohistochimie des produits des gènes MMR (MSH2, MSH6, MLH1 et PMS2 revus plus loin) et/ou par étude de l’instabilité des microsatellites en biologie moléculaire, recherche d’une expression anormale de p53, recherche de surexpression d’Her2 sont des compléments moléculaires indispensables des analyses histologiques des CE.
Certains gènes sont fréquemment sujets à des mutations dans les cancers de l'endomètre (CE), à l'exemple du gène PTEN, qui n'est pas systématiquement analysé en routine. Ces mutations constitutionnelles du gène PTEN sont rares mais importantes à détecter dans le contexte des CE. Les variants pathogènes du gène PTEN à l’état hétérozygote entraînent la formation d'hamartomes, ce qui explique le nom du syndrome associé aux mutations de PTEN (syndrome des tumeurs à hamartomes de PTEN). Ces mutations sont notamment responsables de la formation de polypes hamartomateux dans le système digestif. La prévalence du syndrome de Cowden, lié à ces mutations, est estimée à environ 1 individu sur 200 000. Les localisations variées des cancers au sein du syndrome de Cowden englobent le sein, la thyroïde, l'endomètre, le rein, le côlon et le mélanome cutané. Le risque cumulatif de développer l'un de ces cancers au cours de la vie est estimé à 85%. Pour ce qui est du cancer de l'endomètre, le risque cumulatif varie entre 19 et 28% à l'âge de 70 ans. Il est important de noter que l'âge moyen de survenue des cancers dans ce contexte est de 44 ans, ce qui est plus précoce que les cas sporadiques.
Le type histologique des CE au cours du Cowden est endométrioïde le plus souvent de bas grade ou parfois séreux et de type pMMR. En IHC, on observe une perte d’expression du gène PTEN.
Devant un CE endométrioïde de la femme avant 50 ans (c’est le cas pour 40% des CE au cours du Cowden), avec perte de PTEN, des signes cliniques évocateurs (lésions cutanées, macrocéphalie), d’autres antécédents médicaux éventuels de la patiente, il faut demander un test génétique moléculaire qui peut mettre en évidence un variant pathogène constitutionnel.