Existe-t-il une méthode simple pour prédire la nécessité d’adaptation de traitement en cas de thyroïdite de Hashimoto ?

Lors de la grossesse, la production d’hormones thyroïdiennes augmente d’environ 50 %. La thyroïdite de Hashimoto (TH) est la principale cause hypothyroïdie gestationnelle dans les zones où les apports iodés sont suffisants. En effet, la réserve fonctionnelle de la glande thyroïde est souvent alors défaillante face à l’augmentation des besoins de production en hormones thyroïdiennes. Il peut ainsi apparaitre de réelles hypothyroïdies subcliniques ou avérées chez des femmes antérieurement en euthyroïdie. Il peut aussi s’agir de l’apparition d’un sous-dosage thérapeutique chez une femme auparavant bien équilibrée sous levothyroxine (LT4). Des complications de la grossesse et des conséquences néonatales peuvent survenir du fait d’un équilibre thyroïdien inadéquat en début de grossesse en particulier chez les femmes dont les anticorps antiperoxydase (ATPO) sont positifs. Ainsi, la limite de la TSH au-dessus de laquelle des complications peuvent apparaitre semble se situer à 2,5 mUI/L en cas de positivité des ATPO. Un chiffre de TSH supérieur à 4 mUI/L confère un risque significativement supérieur de complications. De ce fait, des recommandations ont été émises par diverses sociétés savantes pour initier ou adapter un traitement par LT4 en cas de TSH> 4 mUI/L en cas de ATPO+. Cette adaptation est conseillée par de nombreux spécialistes dès que la TSH est supérieure à 2,5 mUI/L en cas de TH.

La restauration d’une euthyroïdie grâce au traitement substitutif nécessite quelques semaines ce qui veut dire qu’anticiper les modifications avant la conception serait idéal afin d’obtenir un chiffre de TSH <2,5 mUI/L avant puis durant toute la grossesse chez les femmes atteinte de TH. Il était habituellement conseillé aux femmes d’augmenter leur dose de LT4 d’approximativement 20 à 30% dès le diagnostic de la grossesse.

Une équipe sicilienne a cherché à déterminer s’il était possible de prédire en préconceptionnel la nécessité de mise en route ou d’augmentation d’un traitement pat LT4 selon les chiffres de TSH. Pour cela, uniquement les femmes avec une TH équilibrée (TSH < 2,5 mIU/L) avec ou sans LT4 6 mois avant la conception ont été sélectionnées.

Ainsi, 260 femmes atteintes de TH ont été suivies depuis la période préconceptionnelle jusqu’au terme de leur grossesse. 122 d’entre elles étaient bénéficiaient déjà d’un traitement substitutif alors que les 138 autres étaient en euthyroïdie sans LT4. Leur TSH a été dosée toutes les 4 à 6 semaines durant toute cette période. L’idée était de déterminer les chiffres de TSH préconceptionnels capables de prédire une TSH>2,5 mUI/L ou > 4, mUI/L au premier trimestre de grossesse.

Lors du premier trimestre de la grossesse, la TSH était supérieure à 2,5 mUI/L chez 30% environ des femmes qu’elles soient déjà traitées ou non par levothyroxine. La TSH était supérieure à 4 mUI/L chez 19,7% des femmes déjà substituées et 10,1% de celles initialement en euthyroïdie sans LT4 avant la grossesse.

Les cut-off de TSH permettant de prédire une élévation de la TSH au-dessus de 2,5 mUI/L étaient calculés à 1,24 mUI/L chez les femmes déjà traitées et  1,73 mUI/L chez les femmes sans LT4. Les cut-off de TSH permettant de prédire une élévation de la TSH au-dessus de 4 mUI/L étaient calculés à 1,74 mUI/L chez les femmes déjà traitées et à 2,07 mUI/L chez les femmes sans LT4.

Les valeurs de TSH excédant ces limites augmentaient significativement le risque d’insuffisance thyroïdienne lors du premier trimestre de la grossesse avec des odds ratio suivants :

  • OR= 15,92 (IC à 95%  5,06-50,15) d’avoir une TSH> 2,5 mIU/L chez les femmes sous LT4 antérieurement
  • OR= 16,68 (IC à 95%  5,13-54,24) d’avoir une TSH> 4 mIU/L chez les femmes sous LT4 antérieurement
  • OR= 16,14 (IC à 95%  6,47-40,30) d’avoir une TSH> 2,5 mIU/L chez les femmes sans LT4 antérieurement
  • OR= 17,36 (IC à 95%  4,30-70,08) d’avoir une TSH> 4 mIU/L chez les femmes sans LT4 antérieurement

D’après cette étude d’observation prospective, il conviendrait donc de mettre en route un traitement de LT4 chez les femmes encore euthyroïdiennes atteintes de TH dès lors que leur TSH préconceptionnelle dépasse 1,73 mIU/L et 2,07 mIU/L pour éviter d’avoir une TSH> 2,5 mUI/L et > 4 mIU/L respectivement. Pour les femmes initialement déjà substituées ces chiffres sont de 1,24 mIU/L et 1,74 mIU/L respectivement.

Les données obtenues doivent cependant être interprétées avec précaution du fait d’une part du design de l’étude et d’autre part des grands IC dans les résultats proposés. Il n’en reste pas moins vrai qu’il est impératif d’anticiper en préconceptionnel, chez les femmes atteintes de TH, l’augmentation des besoins en hormones thyroïdiennes inéluctable dès le premier trimestre de la grossesse. Une augmentation des posologies de LT4  de 20 à 30% doit être rapidement proposée dès le diagnostic de grossesse. L’objectif idéal chez les femmes atteintes de TH  est d’obtenir une TSH< 2,5 mIU/L tout au long de la grossesse. Une évaluation mensuelle de la TSH reste donc impérative au moins jusqu’au milieu de grossesse puis au minimum une fois jusqu’à l’accouchement pour atteindre cet objectif.

Les femmes atteintes de TH doivent être informées de la nécessité d’initier ou d’ajuster un traitement substitutif en cas de projet de grossesse et durant toute sa durée. Un contrôle biologique confirmant l’objectif thérapeutique 4 à 6 semaines après cette modification permet alors d’autoriser plus sereinement la grossesse.

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Moleti M, Alibrandi A, Di Mauro M et al. Preconception thyrotropin levels and thyroid function at early gestation in women with Hashimoto thyroiditis. JCEM 2023, 108 :e464-e473.