Grossesse après cancer du sein

Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez les femmes en âge de procréer. Le pronostic du cancer du sein chez les femmes jeunes s’est amélioré même s’il reste de plus mauvais que celui des femmes avec un cancer du sein entre 50 et 60 ans. L’âge lors de la première grossesse s’est élevé et il n’est pas rare d’observer des femmes avec un cancer du sein alors qu’elles n’ont pas mené à bien leur projet parental. Les traitements (chimiothérapie, hormonothérapie) vont interférer avec leur fertilité, la chimiothérapie peut induire une insuffisance ovarienne prématurée et la durée de l’hormonothérapie de 5 à 10 ans est incompatible avec une grossesse. Par ailleurs elles peuvent avoir peur de même que leurs médecins des répercussions éventuelles des traitements sur leurs futurs enfants et avoir peur d’une éventuelle majoration du risque de rechute liée à la grossesse.
Qu’en est-il ?

  1. La grossesse après un cancer du sein s’accompagne -t-elle de davantage de complications ? De nombreuses études et revues ont été publiée sur le sujet et sont globalement rassurantes. La dernière méta-analyse a regroupé 39 études incluant 8 093 401 femmes de la population générale, 112 840 femmes ayant eu un cancer du sein et 7505 ayant eu une grossesse après le diagnostic. Elle a repris différentes interrogations, tout d’abord par rapport à la population générale la probabilité d’être enceinte chez les femmes ayant eu un cancer du sein est diminuée : RR = 0,40 (0,32-0,49). Il n’a pas été observé davantage de fausses couches ou d’interruption de grossesse ni de prééclampsies ou d’hémorragies du post partum. En revanche, il a été retrouvé davantage de césarienne (OR = 1,14, IC : 1,04-1,25), de plus petit poids de naissance (OR = 1,50 IC : 1,31-1,73) de petite taille pour l’âge gestationnel (OR = 1,16, IC : 1,91-1,33) , de prématurité (OR = 1,45 IC : 1,11-1,88) Il n’a pas été mis en évidence d’augmentation du risque d’anomalie congénitale (OR = 1,63 IC : 0,89 -2,98). Concernant le plus petit poids de naissance et la petite taille pour l’âge gestationnel cela a en a en fait été retrouvé chez les enfants des femmes qui avaient été traitées par chimiothérapie.
  2. La grossesse après un cancer du sein augmente-t-elle le risque de rechute ? Toujours dans cette même publication il est confirmé qu’il n’en est rien. En fait la survie sans rechute des femmes enceintes après avoir eu un cancer du sein est meilleure que celle des témoins appariés : HR = 0,66 (IC : 0,49-0,89) de même que la survie globale : HR = 0,56 (IC : 0,45-0,68). Cette absence d’effet délétère a été observé quel que soit le statut ganglionnaire (N- ou N+) (1).
  3. Qu’en est-il en cas de cancer du sein RH+ : On ne retrouve pas non plus d’effet délétère. A une médiane de suivi de 7 ans, il n’y a pas davantage de rechute chez ces patientes : HR = 0,94 (IC : 0,70 – 1,26 p = 0,68) dans l’étude publiée par Lambertini (2) de même que dans l’étude de Azim (3).
  4. Les résultats sont-ils similaires chez les femmes présentant un variant pathogène BRCA ? La même méta-analyse de Lambertini donne également des résultats rassurants : HR = 0,85 (IC : 0,51 – 1,43)
  5. Peut-on envisager une aide à la procréation après cancer du sein ? Les données sont peu nombreuses mais là encore ne montre pas d’effet délétère. Une étude suédoise a été rapportée en 2018 (4) avec une médiane de suivi de 5,8 ans. En cas de stimulation hormonale il n’a pas été observé de risque accru de rechute : IRR = 0,59 (IC : 0,34-1,04).  Une méta-analyse publiée en 2022 rapporte une diminution du taux de rechute : RR = 0,34 ( IC : 0,17–0,70) et une meilleure survie sans évènement : HR = 0,43 (0,17–1,11) (5). Il semble en être de même chez les patientes qui présentent un variant pathogène BRCA (6).
  6. Que faire en cas d’hormonothérapie par tamoxifène ? Il n’est pas recommandé d’être enceinte sous tamoxifène, cette molécule ayant un effet tératogène. Le tamoxifène est actuellement prescrit pour 5 ans voire 10 ans en cas de facteur de mauvais pronostic ce qui empêche toute grossesse. L’étude POSITIVE récemment présentée au congrès de San Antonio vient nous conforter dans notre attitude empirique. 518 patientes de moins de 43 ans désirant être enceinte se sont vues proposé un arrêt de l’hormonothérapie après 18 à 24 mois de traitement afin de pouvoir avoir une grossesse et de reprendre l’hormonothérapie à l’issue. Il a été observé un taux de rechute à 3 ans de 8,9% identique à celui des essais d’hormonothérapie SOFT/TEXT (9,2%). Sur les 497 patientes suivies sur leur statut par rapport à la grossesse 74% ont eu au moins une grossesse et 63,9% une naissance (365 bébés nés). 76,3% des patientes ont repris une hormonothérapie à l’issue (7).

Au Total :
Toutes les données à notre disposition sont rassurantes, elles montrent une réduction du risque de rechute chez les femmes qui sont enceintes après avoir eu un cancer du sein. Il n’a pas non plus été mis en évidence d’excès de risque de rechute en cas de tumeur RE+. Cet effet ”bénéfique” s’expliquerait par ”l’healthy mother effect” les femmes qui deviennent enceintes auraient de base un meilleur pronostic, il faut cependant noter qu’une méta-analyse menée pour éliminer ce biais a également retrouvé cet effet positif de la grossesse après cancer du sein (8). Il existe d’autres pistes à creuser: le rôle protecteur de l’HcG, de la prolactine et des fortes doses d’estrogènes, ainsi que les interférence avec l’immunité maternelle. Faut –il proposer un délai avant ces grossesses? En cas de cancer du sein de bon pronostic (in situ, N- grade I...) aucun délai d’attente n’est médicalement justifié. En cas de cancer de plus mauvais pronostic (N+, triple négatif, grade III) un conseil d’attendre 2 à 3 ans après la fin des traitements (5 ans pour certains) semble raisonnable afin de ”passer” le premier pic de rechute. Reste le problème de l’hormonothérapie proposée pendant 5 ans voire 10 ans et qui va rendre tout projet de grossesse impossible. Il est proposé de conseiller  à ces patientes de poursuivre le tamoxifène pendant 2 ou 3 ans, de l’arrêter le temps de la grossesse et de le reprendre à l’issue. Peut-on proposer des technique de PMA à ces femmes? Nous avons fort peu de données mais les plus (relativement) importantes séries sur le sujet sont rassurantes.

Bibliographie :

  1. Lambertini M, Blondeaux E, Bruzzone M, Perachino M, Anderson RA, de Azambuja E, et al. Pregnancy After Breast Cancer: A Systematic Review and Meta-Analysis. J Clin Oncol. 10 oct 2021;39(29):3293‑305.
  2. Lambertini M, Kroman N, Ameye L, Cordoba O, Pinto A, Benedetti G, et al. Long-term Safety of Pregnancy Following Breast Cancer According to Estrogen Receptor Status. J Natl Cancer Inst. 2018;110(4):426‑9.
  3. Azim HA, Kroman N, Paesmans M, Gelber S, Rotmensz N, Ameye L, et al. Prognostic impact of pregnancy after breast cancer according to estrogen receptor status: a multicenter retrospective study. J Clin Oncol. 1 janv 2013;31(1):73‑9.
  4. Rodriguez-Wallberg KA, Eloranta S, Krawiec K, Lissmats A, Bergh J, Liljegren A. Safety of fertility preservation in breast cancer patients in a register-based matched cohort study. Breast Cancer Res Treat. févr 2018;167(3):761‑9.
  5. Arecco L, Blondeaux E, Bruzzone M, Ceppi M, Latocca MM, Marrocco C, et al. Safety of fertility preservation techniques before and after anticancer treatments in young women with breast cancer: a systematic review and meta-analysis. Hum Reprod. 3 mai 2022;37(5):954‑68.
  6. Condorelli M, Bruzzone M, Ceppi M, Ferrari A, Grinshpun A, Hamy AS, et al. Safety of assisted reproductive techniques in young women harboring germline pathogenic variants in BRCA1/2 with a pregnancy after prior history of breast cancer. ESMO Open. déc 2021;6(6):100300.
  7. Partridge A, Niman SM, Ruggeri M. Pregnancy outcome and safety of interrupting therapy for women with endocrine responsitive breast cancer. Primary Results from the positive Trial. In San Antonio; 2022, SABCS Abstract GS4-09.
  8. Valachis A, Tsali L, Pesce LL, Polyzos NP, Dimitriadis C, Tsalis K, et al. Safety of pregnancy after primary breast carcinoma in young women: a meta-analysis to overcome bias of healthy mother effect studies. Obstet Gynecol Surv. déc 2010;65(12):786‑93.