Cancer du sein : Survie après Chirurgie conservatrice ou mastectomie

Avec environ 58450 cas par an en France, le cancer du sein est le cancer le plus fréquent de la femme, avec un taux de survie proche de 88% à 5ans.

Si la recherche actuelle est centrée sur le développement de nouvelles thérapeutiques moléculaires et immunologiques afin d’améliorer le pronostic des patientes, le pilier du traitement reste la chirurgie.

La publication d'essais clés confirmant l'équivalence oncologique de la chirurgie mammaire conservatrice (mastectomie partielle-MP) suivie d'une radiothérapie adjuvante (RT) et d'une mastectomie totale (MT) a largement contribué à désescalader la prise en charge chirurgicale.

Lors du choix de l'une des deux options chirurgicales (MP vs MT), de nombreux facteurs sont pris en considération : le volume de résection anticipé et son association avec le volume du sein, la localisation de la tumeur dans le sein et la faisabilité de la RT postopératoire, ainsi que les comorbidités, l'âge, les préférences et les croyances de la patiente.

La mastectomie totale est aussi parfois proposée aux patientes afin d’éviter la radiothérapie, lorsqu’elles habitent loin d’un centre de radiothérapie.

Les avantages  d’un traitement conservateur par rapport à une mastectomie totale sont largement rapportés en terme de diminution de morbidité à court et long terme ainsi que leur moindre impact sur la qualité de vie.

Le but de cette étude était d’explorer l'association entre les facteurs socio-économiques et la comorbidité, d'une part, et la survie globale et spécifique au cancer du sein après MP+RT, MT seule, MR+RT d'autre part.

Les auteurs  ont utilisé le registre de cancer suédois (NKBC : National Breast Cancer Register) dans lequel sont collectées les données de plus de 90% des patientes traitées pour cancer en Suède. De 2008 à 2017, toutes les patientes opérées d’une chirurgie du sein pour un cancer infiltrant T1-2, N0-2, ont été incluses.

Toute comorbidité entre 2008 et 2017 et dans les 12 mois précédant le traitement, ont été répertoriées dans l'indice de comorbidité de Charlson du Royal College of Surgeons. Le niveau d’éducation (primaire <9ans, secondaire 10-13ans, tertiaire >13ans), le revenu familial au cours de l'année civile précédant la chirurgie du cancer et le pays de naissance  ont été répertoriés.

48 986 femmes ont été incluses, 29 367 (59,9 %) ont reçu une MP+RT, 12 413 (25,3 %) une MT seule et 7206 (14,7 %) une MT+RT.

Le suivi médian était de 6,28 ans. Au total, 6573 décès sont survenus au cours du suivi, dont 2313 (35,2%) étaient dus au cancer du sein. La survie à cinq ans était de 91,1 % (Survie Globale) et de 96,3 % (Survie Spécifique au Cancer du Sein), tandis que la survie à dix ans était de 79,5 % (SG) et de 93,1 % (SSCS).

Outre les différences attendues au niveau des paramètres cliniques, les femmes recevant une MT étaient plus âgées, avaient un niveau d'éducation inférieur et un revenu plus faible. Dans l'analyse non ajustée, la MT seule était associée à la plus faible SG et la MT+RT à la plus faible SSCS. Dans les modèles de régression de Cox ajustés sur l'âge, l'année et la région, la MT seule a été associée à une augmentation du taux de mortalité globale (HR, 1,94 ; 95% CI, 1,82-2,06) et du taux de mortalité spécifique au cancer du sein (HR, 1,89 ; 95% CI, 1,69-2,10) Les associations étaient encore plus fortes pour la MT+RT (SG : HR, 2.36 ; 95% CI, 2.21-2.53 ; SSCS: HR, 4.30 ; 95% CI, 3.88-4.76). Après ajustement pour le stade, le sous-type et le grade de la tumeur, les associations ont été réduites mais sont restées significatives. Des ajustements supplémentaires pour le niveau d'éducation, le revenu familial et le pays de naissance et l'ajout de l'ICC n'ont pas modifié les estimations de manière substantielle.

Lors de la stratification par groupe pronostique, la MT seule a été associée à une augmentation des taux de mortalité globale (HR, 1,79 ; IC à 95% 1, 66-1,92) et spécifique (HR, 1,66 ; IC à 95% 1, 45-1,91) par rapport à la MP+RT, quel que soit le groupe pronostique, à l'exception de T1N1 pour lequel aucune association n'a été trouvée (SSCS : HR, 0,99 ; IC à 95 %, 0,60-1,64).  
A noter que pour les tumeurs T1N0 et T2N0, les HR ajustés pour la SG et la SSCS ont montré un avantage significatif de la MP+RT par rapport à la MT (T1N0 : HR, 1,56 ; IC à 95% 1, 40-1,74 et T2N0 : HR, 1,70 ; IC à 95% 1, 46-1,98). En ce qui concerne la MT+RT, elle était associée à une SSCS plus faible que le MP+RT dans tous les groupes pronostiques (HR, 1,24 ; 95% CI, 1,13-1,37) et au SSCS le plus faible dans tous les groupes d'âge. Parmi les stades d’intérêt, les patientes atteintes de T1N1 présentaient des taux de mortalité (SG et SSCS) plus faibles avec la MP+RT qu'avec la MT+RT (SG : HR, 1, 43 IC à 95% 1, 13-1,81) et pour celles T2N1 seule la SG était plus faible (SG : HR, 1,32; IC à 95% 1, 08-1,60).
Lors de la stratification par durée de suivi, les associations ajustées pour tous les groupes pronostiques combinés ne variaient pas selon que le suivi était court (0-5 ans) ou long (>5 ans) pour les taux de mortalité globaux, alors que les associations pour les taux de mortalité spécifiques au cancer du sein étaient plus fortes peu de temps (0-5 ans) après la chirurgie. La décision d'opter pour la mastectomie partielle ou la mastectomie totale est plurifactorielle. Il est important de noter qu'elle est influencée par le degré d'information et d'implication perçu par la patiente, la peur d'une récidive du cancer, la perception que la santé l'emporte sur la conservation du sein, le risque de ré-opération en cas de marges positives.
Ces obstacles peuvent être surmontés par une information et une éducation dédiées de la patiente et une évaluation collaborative des avantages et des inconvénients par le clinicien traitant et la patiente.

Parmi les limites de l'étude figurent l'absence de facteurs de confusion potentiels, tels que le tabagisme et l'indice de masse corporelle, et la sous-estimation potentielle des affections/comorbidités non répertoriées. Le suivi est encore court si l'on considère les récidives tardives, en particulier dans le cas du cancer du sein de type luminal.

En conclusion, ces résultats corroborent les recommandations de mastectomie partielle suivie de radiothérapie dans le cancer du sein avec ou sans envahissement ganglionnaire. Ni le contexte socio-économique, ni la comorbidité, ni l'ajout d'une RT postopératoire après la mastectomie totale n'ont réduit les différences de survie.

Cette étude remet donc en question la pratique consistant à proposer une mastectomie totale aux patientes éligibles à un traitement conservateur.

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Survival After Breast Conservation vs Mastectomy Adjusted for Comorbidity and Socioeconomic Status
A Swedish National 6-Year Follow-up of 48 986 Women
JAMA Surg. 2021 Jul; 156(7): 628–637. 

Jana de Boniface, PhD, 1,2 Robert Szulkin, PhD,3,4 and Anna L. V. Johansson, PhD4,5